Jade descendit de la voiture de Grayson — une berline noire brillante, silencieuse comme une menace — avec la grâce d’un chat qui détestait être traîné en laisse. Elle n’avait pas eu le temps de se changer. Elle portait encore son jean, son tee-shirt froissé, et sa veste en jean trop grande. La seule chose neuve sur elle, c’était une paire de ballerines que l’assistante de Grayson lui avait littéralement lancé dans les bras à la dernière seconde.Grayson, lui, avait l’air sorti d’un magazine de luxe. Costume sur-mesure, cravate parfaitement nouée, regard de glace.Ils n’avaient rien à faire ensemble. Et pourtant.— Prête ? demanda-t-il en ajustant sa montre.— Non. Et j’aurais préféré me faire renverser par un bus.— Trop tard. Le contrat est signé.Jade leva les yeux au ciel.Ils entrèrent.La salle était presque vide. Juste un petit bureau administratif, une secrétaire aux cheveux bleus mâchant du chewing-gum, et un vieux juge au regard aussi vif qu’un détecteur de mensonges.— Mons
Jade avait passé la nuit entière à veiller sur son père. Installée dans ce fauteuil d’hôpital trop dur, elle n’avait pas fermé l’œil. Pas une seconde. Elle avait tenu sa main, veillé à chaque bip des machines, vérifié les moindres mouvements, comme si elle pouvait le protéger par la seule force de sa présence.Et enfin, au petit matin, Graham était passé en salle de réveil. L’opération s’était bien déroulée, d’après les médecins. Il était désormais réveillé, bien que faible et encore engourdi par les calmants. Mais il était là. Vivant. Et Jade pouvait respirer à nouveau.La lumière orangée du matin filtrait doucement à travers les stores. Jade, toujours assise au bord du lit, serrait la main de son père avec tendresse. Elle n’arrivait pas à détacher les yeux de lui. Chaque respiration était une victoire.— Tu te souviens, murmura-t-elle, la gorge nouée, quand je voulais repeindre la voiture rouge du garage en violet fluo ?Un léger grognement lui répondit. Graham entrouvrit les yeux.
La visite de Jade s’achevait à contre-cœur. Elle échangea un dernier regard complice avec son père avant qu’une silhouette habillée de noir ne se détache dans le couloir.Le chauffeur personnel de Grayson.Cravate droite, chaussures cirées, oreillette vissée à l’oreille comme s’il sortait d’un film d’espionnage. Il s’approcha avec le respect mécanique d’un robot bien huilé.— Madame Blackwell, dit-il d’un ton neutre. Monsieur Grayson m’a demandé de vous conduire à la résidence. La styliste vous attend.— Ah, super, souffla Jade. Une styliste. C’est tout ce que je voulais aujourd’hui. Une inconnue qui va me tirer les cheveux en me disant que j’ai “le teint un peu fade mais une belle structure osseuse”.Le chauffeur ne réagit pas. Soit il avait une patience légendaire, soit il était formé à ignorer le sarcasme.Jade embrassa son père une dernière fois, le cœur lourd, puis suivit le chauffeur jusqu’à la berline. Le trajet se fit en silence, si ce n’est quelques messages audio énervés que
Jade essayait robe après robe, toutes plus compliquées les unes que les autres. Une avait une traîne qui traînait jusqu’à la salle de bains. Une autre semblait construite uniquement avec des perles. Une troisième la faisait ressembler à un cupcake de mariage.Et tout ce temps-là, Grayson assistait en silence.Assis sur un fauteuil en cuir, le regard noir, les doigts tapotant nerveusement l’accoudoir. Il tentait désespérément de rester calme.Mais Jade le poussait à bout. Encore. Toujours.— C’est censé être chic ou est-ce que j’ai été recouverte par une nappe de mariage ? demanda-t-elle en sortant d’une cabine d’essayage, enveloppée dans une robe blanche bardée de froufrous.— C’est du Givenchy, répliqua Grayson entre ses dents.— Eh ben, Givenchy a des goûts chelous.La styliste glapit.— On va essayer la numéro quarante-quatre. Une coupe sirène, bustier cœur, légèrement fendue. Tu vas voir, Jade. Tu vas leur voler la vedette.— Je veux pas voler la vedette. Je veux voler un jean, un
Grayson monta sur l’estrade au centre de la salle, une coupe de champagne à la main. Les conversations se turent instantanément. Tout le monde attendait. Le PDG Blackwell parlait rarement en public en dehors du monde des affaires — et quand il le faisait, le silence était automatique.Jade, restée au pied des marches, sentit une bouffée d’angoisse grimper dans sa gorge.— Si ce type ose me faire un discours dégoulinant, je fais demi-tour, marmonna-t-elle pour elle-même.Grayson prit la parole, son ton grave et posé résonnant dans la salle.— Merci à tous d’être présents ce soir. Votre présence signifie beaucoup, pour moi… et pour mon épouse.Un léger frisson traversa Jade. Ce mot. Épouse. Il sonnait étrange. Froid. Faux.Et pourtant, quand son regard croisa celui de Grayson, il la fixait avec une intensité calme, comme s’il disait : Tu n’as pas à t’enfuir. — Comme certains d’entre vous le savent, ce mariage n’était pas prévu dans l’agenda stratégique de Blackwell Industries, plaisant
Les convives avaient senti le changement d’atmosphère dès qu’Annelise avait franchi les portes. Maintenant, ils faisaient tous semblant de ne pas écouter… tout en tendant ostensiblement l’oreille.Annelise s’approcha davantage de Jade, un sourire venimeux sur les lèvres, comme une actrice sur scène savourant chaque réplique.— Alors, Jade, c’est ça ? Quel prénom… exotique. Tu faisais quoi déjà, avant de devenir madame Blackwell ? Nettoyeuse de carburateurs ? Tu lui as changé ses bougies et il t’a mise dans son lit, c’est ça ?Jade ne bougea pas tout de suite. Elle inspira lentement. Elle sentait Grayson se raidir à côté d’elle. Mais elle leva la main pour le faire taire avant qu’il intervienne.— T’inquiète, chéri. Je gère, dit-elle avec un sourire si doux que ça aurait presque pu être un compliment.Puis elle se tourna vers Annelise.— Et toi, Annelise, c’est ça ? C’est ton prénom ou le nom de ton parfum de vengeance bon marché ?Des rires étouffés fusèrent autour d’eux. Grayson, lui
La réception s’était à peine terminée que Jade claqua la porte du salon privé avec une force que même une mariée rebelle n’était pas censée avoir. Grayson, resté à l’intérieur, faisait tomber sa cravate, fatigué. Mais il aurait dû savoir que le calme n’existerait pas ce soir.— C’est qui, cette femme ? lança Jade en revenant à la charge, les bras croisés, toujours en robe de mariée mais avec l’attitude d’une générale en guerre.— Quelle femme ? fit-il, sachant très bien de qui elle parlait.— Ne joue pas à ça, Grayson. La Barbie venimeuse qui voulait me découper avec ses talons. Annelise. Qui est-elle ? Une ex ? Une psychopathe ? Les deux ?Grayson soupira longuement et se massa les tempes.— Ce n’est pas important.— Tu plaisantes ? Elle a failli me mordre devant cent personnes et tu veux me faire croire que c’est une anecdote ?— Jade…— Ne “Jade” pas. J’ai le droit de savoir avec quel genre de sorcière je vais devoir me battre en duel dans la salle à manger. C’est ta fiancée ? Ton e
Le silence dans la maison Blackwell était assourdissant.Jade, seule au milieu du luxe et du marbre, regardait autour d’elle comme si elle venait d’atterrir sur une autre planète. Les murs immaculés, les lustres dorés, les tapis épais, tout criait richesse… mais pas chaleur. Pas vie. Pas elle.Elle passa une main dans ses cheveux, toujours un peu ondulés de la coiffure de tout à l’heure, puis baissa les yeux vers la robe de mariée qu’elle portait encore.— J’ai l’air d’un fantôme de gala, souffla-t-elle.Sans cérémonie, elle quitta ses ballerines, attrapa un jean troué dans son sac et l’enfila, troquant son corset de soie contre son vieux tee-shirt à l’effigie d’un groupe de rock oublié. Elle noua ses baskets, attrapa son blouson en jean et se glissa hors de la chambre.Une idée fixe lui brûlait l’esprit : voir son père.Elle avait promis d’être raisonnable, mais l’idée de rester dans cette forteresse de solitude alors que Graham était seul à l’hôpital, lui, la rendait malade. Tant pi
La journée avait été longue. Trop longue.Jade, affalée sur sa chaise en cuir, était à deux doigts de sortir son téléphone pour faire défiler des vidéos de chiots qui tombent dans des piscines. Elle baillait à s’en décrocher la mâchoire tandis que les cadres en costume débattaient de « performance trimestrielle », « KPI » et autres acronymes barbares.Grayson, droit comme un piquet, écoutait, impassible. De temps en temps, son regard glissait vers Jade. Chaque fois, il la voyait lutter comme une héroïne silencieuse contre l’ennui absolu. Mais il ne flanchait pas. Il voulait la garder là. Sous contrôle. Même si ça voulait dire la faire mourir à petit feu d’ennui.Puis…La double porte du hall exécutif s’ouvrit.Annelise Kesington entra comme une actrice montant sur scène : talons claquant, brushing aérien, dossier en main et sourire carnassier.— Grayson, lança-t-elle avec un air de conquérante. J’ai eu la confirmation de papa ce matin. Je suis ici pour intégrer officiellement le comit
Le week-end passa dans un silence assourdissant.Pas un mot. Pas un regard.Grayson errait dans l’aile droite de la résidence, enfermé dans son mutisme glacé, absorbé par des appels cryptés et des réunions à distance. Jade, elle, restait enfermée dans sa chambre, l’estomac noué, oscillant entre rancune, colère et tristesse.Les rares fois où ils se croisèrent dans les couloirs, leurs yeux s’effleuraient… et se fuyaient aussitôt. Même Hattie, d’habitude bavarde et maternelle, n’osait plus parler fort. L’ambiance était aussi lourde que du plomb.Puis, vint le lundi matin.Le soleil était à peine levé quand un petit toc discret résonna à la porte de Jade.Elle ouvrit. Hattie se tenait là, les mains croisées devant elle, l’air navré.— Ma chérie… il faut que tu te prépares.— Pourquoi ? demanda Jade, encore ensommeillée.— Grayson m’a demandé de te prévenir. Vous partez ensemble dans une heure pour les bureaux du Groupe Blackwell.Jade cligna des yeux, abasourdie.— Attends… il était séri
Grayson sortit de la salle de conférence, les mâchoires serrées. Les mots de Richard Kesington résonnaient encore dans sa tête, mais il refusait de leur accorder une seconde de plus. Il devait garder l’esprit clair. Il avait signé le pacte avec le diable, maintenant il allait le faire exploser de l’intérieur, point.Mais en atteignant le couloir de marbre, son téléphone vibra. Il consulta l’écran : un message sans expéditeur identifié, juste un fichier vidéo joint.Il ouvrit.Et son monde s’embrasa.Sur l’écran, Mike. Le fichu garagiste.Dans son garage crasseux, celui-là même que Grayson méprisait.Il tenait Jade dans ses bras.Longuement.Elle ne résistait pas. Elle avait l’air brisée, vulnérable… et elle acceptait cette étreinte.La mâchoire de Grayson se crispa au point de craquer. Son souffle se fit plus rauque. Le sang cognait à ses tempes. Il referma violemment l’écran.Il composa le numéro de Knox.— Tu peux m’expliquer CE BORDEL ?! hurla-t-il dès que la ligne décrocha. — Tu m
Trois jours.Grayson était parti depuis trois jours. Un appel en pleine nuit, une urgence stratégique à Dubaï. Il n'avait laissé qu'une note froide et brève : « Je reviens vite. Tu es en sécurité ici. »Mais Jade n’était pas en sécurité dans une cage, fût-elle dorée.Les murs de la maison Blackwell lui donnaient la nausée. Le silence pesait. Le vide de son père lui rongeait les entrailles. Elle avait besoin d’air. De concret. De graisse de moteur et de mains sales. De quelque chose de vrai.Alors, ce matin-là, elle enfila son vieux jean, attacha ses cheveux en une queue de cheval haute, et claqua la porte sans prévenir. Direction Mike’s Garage.Le bruit des clés, des outils, l’odeur d’huile, de métal chaud. Jade respira enfin.Mike, surpris mais heureux, la serra dans ses bras sans un mot. Il savait aussi qu’elle avait besoin d’autre chose que des condoléances.— Tu veux bosser ou juste traîner ? demanda-t-il.Jade leva les yeux avec défi.— Passe-moi une clé de 13.La journée passa
Le moteur du SUV ronronnait doucement sur l’autoroute, mais à l’intérieur du véhicule, un silence pesant régnait.Jade regardait par la fenêtre, les yeux rouges et fatigués, les traits figés dans une expression que Grayson ne lui connaissait pas encore. Ce n’était plus la Jade rebelle, ni la Jade provocante. Ce n’était même pas celle qui souriait timidement sous les compliments ou celle qui lui lançait des répliques acides pour masquer son trouble. Non. C’était une autre version d’elle-même. Une Jade que la douleur avait vidée.Et il n’y avait rien qu’il puisse faire.Il lui avait pourtant tout proposé : un vol privé, une équipe de soutien psychologique, un séjour prolongé à Elkridge Falls, même l’enterrement intégralement organisé selon ses souhaits, sans discussion. Mais elle avait refusé tout ce qui ressemblait à du luxe. Elle voulait la simplicité. La vérité. Celle de son père, celle de sa vie d’avant. Celle qu’elle avait perdue.Et maintenant, elle rentrait dans cette immense mai
Le monde de Jade s’était arrêté. Plus rien n’avait de sens.Le sol sous ses pieds, l’air qu’elle respirait, le poids de son propre corps… tout semblait irréel. Comme si elle flottait dans un cauchemar dont elle ne parvenait pas à s’extirper.Graham Carter. Son père. Son pilier. Son dernier repère. Parti. À jamais.Jade n’avait pas fermé l’œil depuis l’annonce du décès. Elle n’avait pas mangé non plus. Tout lui paraissait secondaire, inutile, sans couleur. Elle ne voulait voir personne. Ne voulait parler à personne.Grayson était là. Toujours. Silencieux, solide, inébranlable comme un roc dressé face à la tempête.C’était lui qui avait tout pris en charge. Dès l’instant où le médecin avait prononcé les mots fatidiques, il avait agi : appels, autorisations, organisation des funérailles, gestion du corps… Il ne lui avait rien imposé. Juste demandé doucement :— Où veux-tu qu’il repose ?Sa voix tremblait quand elle avait répondu :— À Elkridge Falls. Il adorait cet endroit. Il a toujours
Le médecin revint les voir dans la chambre.— Nous allons l’emmener à l’hôpital pour des examens plus approfondis.Grayson acquiesça d’un signe de tête ferme.— Très bien. Nous vous suivons immédiatement.Jade, encore blottie contre lui, releva la tête, les yeux gonflés de larmes.— Je... je veux être à ses côtés.— Tu le seras, répondit Grayson doucement.Il l’aida à se lever. Elle vacilla un peu, alors il la soutint sans hésiter, passant un bras autour de sa taille. Ils descendirent rapidement. Le médecin et son équipe montèrent Graham dans l’ambulance. Grayson, de son côté, ouvrit la portière de sa voiture à Jade et la fit s’asseoir à l’avant.Le trajet jusqu’à l’hôpital fut silencieux. Jade fixait la route d’un air absent, les mains jointes sur ses genoux, les lèvres tremblantes. Grayson jetait des coups d’œil vers elle, le cœur serré.Quand ils arrivèrent, l’ambulance venait tout juste d’entrer dans l’enceinte de l’établissement. Grayson descendit en premier et contourna le véhic
Jade avait pris sa journée. Pas pour se reposer, mais pour passer du temps avec son père. Ils avaient prévu de déjeuner tranquillement chez elle, puis de se rendre ensemble à l’hôpital pour un contrôle de routine. Il faisait doux, les rideaux laissaient passer une lumière tamisée, et le petit appartement embaumait l’odeur de la soupe faite maison.— Tu vois, Papa ? Tu ne peux pas dire que je ne prends pas soin de toi, plaisanta Jade en remplissant son bol.Graham sourit, un peu fatigué, mais heureux.— Je n’en ai jamais douté, ma puce. Tu es ma force. Depuis toujours.Ils commencèrent à manger, échangeant quelques souvenirs. Jade riait doucement en entendant son père évoquer sa naissance, sa première chute de vélo, son insistance à vouloir devenir « mécanicienne de moto » à huit ans. Mais soudain, le visage de Graham changea. Il pâlit, posa sa main sur sa poitrine, et ses traits se crispèrent.— Papa ? Papa, qu’est-ce qu’il y a ?Graham tenta de parler, mais sa respiration devint irré
Un long silence suivit la dernière déclaration de Grayson. John avait reposé sa tasse. Il n’écrivait plus rien. Il observait simplement son ami.Grayson passa une main dans ses cheveux, visiblement tendu. Son regard s’assombrit.— Tout a dérapé, John.— Je m’en doutais. T’es pas toi-même quand tu parles d’elle. Et encore moins quand tu la regardes.Grayson se leva, alla vers la fenêtre, dos à son ami. Il parla d’une voix plus basse, presque murmurée.— Elle me hante. Jour et nuit. Chaque fois qu’elle sourit. Chaque fois qu’elle se rebelle. Chaque fois qu’elle pleure, putain. Je deviens fou.Il se retourna brutalement, les poings serrés.— Je devais garder le contrôle. C’était le but du contrat. Et maintenant, c’est l’inverse : je suis obsédé par elle. Par sa peau. Sa voix. Son odeur. Sa présence. Et ça… ce n’était pas prévu.John croisa les bras.— Et tu penses vraiment qu’un second contrat arrangera les choses ? Celui où tu veux qu’elle devienne ta... soumise ?Grayson ne détourna pa