La chambre d’ami était minuscule. Un vieux lit grinçant, une lampe à l’abat-jour taché, une commode bancale dont un tiroir ne fermait pas. Pas de serrure à la porte. Pas de rideaux aux fenêtres. Grayson s’y sentait exposé.
Il avait l’habitude des suites d’hôtel, des murs insonorisés, des doubles verrous. Là, chaque craquement du plancher lui rappelait qu’il n’était pas chez lui. Il s’allongea tout habillé. Le matelas s’enfonça mollement sous son poids. Il garda son arme à portée de main, sous l’oreiller. Vieille habitude.
Mais le sommeil ne vint pas facilement. Il tourna. Et retourna. Jusqu’à ce que le corps cède, malgré la méfiance. Et alors, les rêves vinrent.
Un couloir blanc. Trop blanc. Trop silencieux.
Des portes alignées, toutes fermées. Grayson marche. Pieds nus. Le sol est glacé. Il entend un bourdonnement. Une voix, lointaine, féminine. Elle appelle.— Elias… Elias, reviens ici.
Il s’arrête. Ce prénom. Il ne l’utilise plus. Personne ne l’appelle comme ça depuis…
Il tourne. Une porte entrouverte. Il pousse. Et là — une chambre d’enfant. Des murs couleur lavande. Un mobile au plafond. Un berceau vide. Du sang. Partout. Sur les murs. Les draps. Ses mains.Il recule.
Une silhouette dans l’ombre, fine, les cheveux attachés à la va-vite.
Jade. Mais ses yeux sont noirs. Sans pupille. Elle sourit.— Tu n’as pas pu la sauver. Tu ne peux rien contrôler ici.
Il hurle. Mais aucun son ne sort.
Grayson se redressa en sursaut. Respiration haletante. Gorge sèche. La sueur trempait sa chemise. Il chercha son arme à tâtons. Toujours là.
Il mit plusieurs secondes à se rappeler où il était.
Le vieux parquet grinça dehors.
Il se leva d’un bond, silencieux. Avança à pas de loup jusqu’à la porte entrouverte. Il jeta un œil dans le couloir.
Rien.
Mais une lumière était allumée dans la cuisine, en bas. Il descendit.
Jade était là. En sweat trop grand, une tasse entre les mains. Les yeux cernés. Les pieds nus sur le carrelage froid.
Elle ne sursauta pas en le voyant.
— Mauvais rêve ? demanda-t-elle sans détour.
— Tu veilles souvent à trois heures du matin ? rétorqua-t-il.
— Mon cerveau aime pas dormir quand j’ai dû tuer quelqu’un, répondit-elle sans émotion.
Un silence. Il s’assit en face d’elle, sans un mot. Elle poussa une tasse vers lui.
— Tisane. Pas ton genre, j’imagine.
Il la fixa un instant. Puis prit la tasse. Une gorgée. Amère. Presque chaude.
— Je t’ai vue dans mon rêve, murmura-t-il.
Elle haussa un sourcil.
— J’étais sympa ou flippante ?
— Les deux.
Un micro-sourire naquit sur ses lèvres, mais il ne dura pas.
Il baissa les yeux. Murmura :
— J’ai perdu quelqu’un, y’a longtemps. Une petite. Une… presque fille.
Elle ne dit rien.
— Elle n’était pas à moi. Mais j’aurais dû la protéger.
Jade ne parla pas. Ne le jugea pas. Elle s’adossa simplement à la table, le regardant avec une intensité tranquille.
— Tu crois que tu peux contrôler le monde, dit-elle. Mais y’a toujours quelque chose qui t’échappe. Quelque chose qui te bouffe quand tu dors.
Leurs regards se croisèrent.
Grayson sentit quelque chose se fissurer en lui.
Pas une faiblesse.
Une faille.
Et Jade… elle la voyait. Elle ne l’exploitait pas. Elle la reconnaissait.
— Tu ferais mieux d’aller dormir, dit-elle finalement. Demain, ça ira encore plus mal.
— Tu crois que je suis en danger ?
— Je crois que t’es un type puissant, et que quelqu’un t’a attiré dans un piège. Et que si t’étais tout seul ce soir, tu serais peut-être déjà mort.
Il hocha lentement la tête.
— Tu veux que je parte demain matin, c’est ça ?
— Je veux que tu survives. Ensuite, tu fais ce que tu veux.
Elle se leva, sans attendre de réponse.
— Bonne nuit, Blackwell.
Et elle disparut dans le couloir, laissant Grayson seul avec sa tasse tiède et ses pensées plus glaciales que jamais.
La porte explosa contre le mur dans un vacarme sec.— Alors c’était vrai ? hurla Annelise, le visage rouge, les talons claquant sur le sol en marbre.Laurence, tranquillement installée dans le canapé en velours bordeaux de sa chambre, feuilletait un dossier. Elle leva les yeux lentement, parfaitement calme.— Bonjour à toi aussi, Annelise.— Ne joue pas à ça avec moi ! Tu n’as rien à faire ici ! Grayson est à moi maintenant !— À toi ? Ne sois pas ridicule.— Tu es revenue ! Comme si de rien n’était ? Tu as disparu pendant cinq ans ! Cinq ans, Laurence ! Tu étais censée être morte !— Et pourtant… me voilà, répondit-elle en refermant le dossier avec lenteur. Surprise ?Annelise avança d’un pas sec, les bras agités— Je l’ai accompagné pendant des années ! Je me suis pliée à toutes les règles de cette famille ! Je suis restée là quand toi tu as disparu, quand tu t’es fait passer pour morte comme une lâche !— Pour te laisser la place, ricana Laurence. Et regarde ce que tu en as fait. R
Je serrai le téléphone si fort que mes jointures blanchirent.— Comment ça, il est venu la chercher ?! m’énervai-je, la voix tremblante d’un mélange de rage et d’incrédulité. C’était l’occasion parfaite, une fois de plus, de détruire cette supercherie de mariage... et il gâche tout !Le silence au bout du fil dura une seconde, mais pas une de plus.— Laurence, calme-toi, répondit la voix posée de mon complice. Ce n’était pas prévu. Je te jure, c’est un coup de malchance.— Malchance ?! Je ne peux pas me permettre des malchances ! Tu sais ce que ça coûte, tout ce que j’ai investi pour que cette sale gamine craque enfin.— Je sais, je sais, je suis désolé. J’étais juste là, pas loin. Je l’ai vue, elle était presque à moi. Mais Grayson... il est arrivé comme un fou furieux, il a tout foutu en l’air.— Ça ne peut pas arriver une deuxième fois. Tu m’entends ?— On planifie mieux. La prochaine fois, je te promets. Cette fois, c’était un coup du hasard qu’on se soit trouver au même endroit q
Elle passa la porte juste devant moi, les talons claquant contre le sol de marbre.Sa robe noire… courte, moulante, indécente.Ses cheveux sauvagement libres, ses yeux noirs de colère.Je n’avais jamais vu Jade comme ça.Et c’était justement ça, le problème : elle était trop belle, trop sexy, trop désirable.Ce n’était pas à moi que cela était destiné. Ce n’était pas moi qui avais eu ses rires sur la piste de danse ou ses déhanchés. Ce n’était pas moi qui me frottais contre sa hanche. Un grondement monta dans ma poitrine.Je refermai la porte d’entrée derrière nous. Sans un mot. Elle non plus ne dit rien.Je la suivis du regard quand elle monta les escaliers. Ses jambes longues, son dos nu, ses épaules tendues. Mon cœur cognait contre ma cage thoracique comme un animal enfermé.J’aurais dû la rejoindre. La prendre contre moi. La plaquer contre un mur et lui faire comprendre qu’elle m’appartenait. Mais non. Je tournai les talons et m’enfermai dans mon bureau.Je ne pouvais pas. Pas ce
Je dansais ou du moins, j’essayais de faire semblant.Mon corps bougeait par réflexe, mais ma tête était ailleurs. Toute la musique du monde n’aurait pas pu couvrir les pensées qui me tourmentaient. Je me répétais en boucle que je pouvais très bien m’amuser sans lui et que je ne lui devais rien.Mais évidemment… je ne pensais qu’à lui.À côté, Alyssa brillait comme une étoile. Elle dansait avec la légèreté de quelqu’un qui n’a jamais eu le cœur broyé par un homme. Elle riait, tournoyait, envoyait des regards de braise à la moitié du club. Et moi ? J’étais une feuille ballottée dans une tempête.Puis, le fameux admirateur secret est revenu à la charge. Grand, musclé, trop sûr de lui. Il m’a proposé un autre verre que j’ai refusé. Il a insisté. J’ai refusé encore. Il a ri, posé sa main sur ma hanche.— Allez, juste un petit baiser, princesse…— Non, ai-je tranché en le repoussant.Il n’a pas aimé. Il a voulu revenir à la charge.Et là, l’enfer s’est invité au Lotus Club. Une silhouette
J’étais encore avec Laurence pour discuter du plan pour convaincre un géant de la technologie à Londres. Elle parlait, elle souriait, elle brillait. Tout était parfaitement huilé.Je hochais la tête, distrait. Je ne pensais qu’à Jade. À son regard, quand je lui ai dit que ce n’était que du travail.Et puis soudain, la porte s’ouvrit à la volée.— Grayson ! Mon cher Grayson ! T’as encore une minute à perdre avec les morts-vivantes ou je peux t’emprunter cinq secondes ?John.Je levai les yeux au ciel, crispé.Laurence, elle, afficha un immense sourire. Le genre de sourire trop large pour être honnête.— John… tu n’as pas changé. Toujours aussi… théâtral.— Et toi, toujours aussi vivante, apparemment, répliqua-t-il du tac au tac, les bras croisés.J(observai la scène.Laurence perdit brièvement son sourire, avant de le ravaler comme une pilule amère.— Je comprends. C’est encore récent, tout ça… Mais j’espère qu’on pourra retrouver notre belle complicité d’avant.— Hm. Ouais. Je me rap
Alyssa finissait son Black Diamond comme si c'était un simple jus de goyave. Moi, j'en étais encore à me demander si je n'étais pas en train de boire une œuvre d’art à huit cents dollars. Je ne trouvais rien qu’exceptionnel à cette boisson. Je n’étais pas une femme des cocktails non plus, je suis mal placée pour juger.— Prête à aller danser ? lança-t-elle en posant son verre.Je souris timidement et hochai la tête. Sauf qu’on n’a jamais atteint la piste.Le serveur, le même que tout à l’heure, s’approcha à nouveau. Il avait cette politesse rigide des gens bien payés pour ne jamais broncher.— Mesdames, les gentlemen qui vous ont offert les cocktails aimeraient beaucoup vous inviter à leur table dans le carré VIP.Je me redressai aussitôt, presque indignée.— Oh non, non merci. Dites-leur merci, mais… non.Je vis le coin de la bouche d’Alyssa se relever. Mauvais signe. Très mauvais.— Jade. Ne sois pas rabat-joie. C’est peut-être juste des mecs sympas qui veulent parler. On ne signe