Le matin était étrange. Silencieux.Après la nuit bouleversante qu’ils avaient traversée, ni Jade ni Grayson ne trouvèrent les mots pour exprimer ce qu’ils ressentaient. Alors ils firent ce qu’ils savaient faire de mieux : ils se refermèrent sur eux-mêmes.— Je te dépose ? proposa Grayson.— Non, merci. J’irai directement à l’atelier. On a une grosse journée.— Très bien.Il ne la retint pas. Elle ne se retourna pas non plus. Ils partirent séparément, comme deux étrangers qui auraient partagé un rêve trop intense pour l’assumer à la lumière du jour.L’atelier Blackwell vibrait d’activité.— Carter ! lança Milo en l’apercevant. Prête à en baver ?— Plus que jamais, répliqua-t-elle en enfilant ses gants.Aujourd’hui, toute l’équipe était mobilisée : cinq véhicules de luxe, suréquipés, destinés au roi du Maroc, devaient être terminés et testés avant la fin de la semaine. Jade se fondit dans le rythme effréné, rattrapée par l’adrénaline, les éclats de rire, les échanges de techniques.M
Le silence régnait dans la chambre, troublé seulement par le souffle irrégulier de Grayson. Son front était couvert de sueur, ses poings crispés sur les draps. Il ne dormait pas vraiment. Il survivait.Dans son cauchemar, l’appartement puait la cigarette froide, l’alcool et la peur.Il avait sept ans.Sa sœur pleurait dans un coin, recroquevillée, les genoux contre la poitrine. Le mac de leur mère hurlait, une ceinture dans la main. L’air vibrait de rage.— Ferme-la, gamine ! Tu veux que je t’apprenne à obéir ?!Grayson se plaça entre lui et Gina. Son petit corps tremblait, mais il ne bougea pas.— Touche pas à elle, cracha-t-il.L’homme rit. Un rire sale, cassé.— Quel héros, hein ? Tu veux jouer au dur ?Le coup partit. La ceinture claqua contre son dos. Une fois. Deux fois. Trois. Il serra les dents pour ne pas crier.Dans un coin de la pièce, sa mère fixait le mur. Absente. Perdue. Elle ne dit rien. Ne bougea pas. Même quand il hurla.— Maman ! S’il te plaît…Rien.Le mac attra
Le silence dans la voiture était étrange. Presque pesant. Pourtant, il y avait quelque chose de doux dans l’air. Comme un entre-deux fragile, suspendu entre l’excitation de l’action et l’intimité naissante.Grayson conduisait sans un mot. Il avait une main posée sur le volant, l’autre effleurait parfois la mienne, comme s’il voulait s’assurer que j’étais encore là. Présente. Réelle.Tout ce qu’on venait de vivre tournait encore dans ma tête : Colin, le sabotage, les fichiers volés, le document caché… J’avais encore le cœur qui cognait fort. Et malgré tout, je me sentais bien. En sécurité. Parce qu’il était là.Nous sommes arrivés à la résidence. La voiture s’est arrêtée doucement. J’allais ouvrir la portière quand il a parlé, d’une voix basse, calme, presque vulnérable.— Viens dormir dans ma chambre ce soir.Mon cœur a raté un battement.Quoi ?Ma déesse intérieure a crié :— Voilà, c’est maintenant ! Tu dis oui, tu cours pieds nus dans le couloir, tu sautes dans son lit et tu dors c
Grayson se tenait droit dans la salle d’interrogatoire privée, une pièce vitrée attenante à son bureau. Colin, l’un des techniciens du département mécanique, transpirait à grosses gouttes sous les spots LED. Assis, mains jointes entre ses genoux, il évitait soigneusement le regard glacial de son patron.— Tu vas me dire qui t’a payé, commença-t-il d’une voix calme, presque trop calme.Colin tenta de détourner le regard. Une erreur.— Regarde-moi, Colin.Le ton était plus sec. Autoritaire. L’air dans la pièce sembla se comprimer.— Je… j’ai besoin d’un avocat…— Tu peux en demander un. Mais je t’assure que ce que je peux faire est bien pire que ce qu’un juge te fera subir. Tu sais ce que c’est que d’être blacklisté dans l’industrie automobile ? Tu vas finir à monter des tondeuses à gazon pour le reste de ta vie, si tu as de la chance.Colin déglutit difficilement.— C’était juste une clé USB. J’ai rien transmis…Grayson s’approcha lentement, posa les deux mains à plat sur la table.— T
Grayson cède et me laisse terminer ce que j’étais en train de faire. Je n’avais pas vu l’heure. Quand j’ai levé les yeux vers l’horloge, il était presque 21h. L’atelier était plongé dans une semi-pénombre, seuls quelques lampes LED suspendues diffusaient une lumière blanche et froide. Autour de moi, les postes de travail étaient désertés. On aurait dit un champ de bataille désert après une longue journée de lutte contre un moteur capricieux.Je m’étais installée devant l’ordinateur de contrôle pour saisir le rapport de la soirée, le dossier du Blackwell Titan ouvert sur l’écran. Un rapport technique avait attiré mon attention. Les données d’essai moteur semblaient avoir été modifiées… ou plutôt dupliquées et extraites en douce.J’ai plissé les yeux, cliqué sur un fichier. Il y avait des connexions sur le serveur, provenant de l’atelier… et une tentative de transfert externe crypté via un périphérique USB. Mon cœur s’est mis à cogner plus vite. Quelqu’un essayait de voler les plans du
J’étais en plein dans le cambouis. Littéralement. Des morceaux de moteur étaient éparpillés autour de moi, mes gants couverts de graisse, les manches de ma combinaison remontées jusqu’aux coudes. Le bruit régulier des outils, les voix des gars autour, la chaleur étouffante du sous-sol… Tout ça formait un petit monde dans lequel je me sentais bien. Utile. Respectée.Et puis… cette voix.– Il est 19 heures, Jade.Mon cœur a manqué un battement. Je me suis figée en reconnaissant ce ton grave, cette autorité glacée qui faisait vibrer tout mon système nerveux.Je me suis redressée lentement, attrapant un chiffon pour essuyer mes mains. Quand j’ai levé les yeux, il était là. Grayson. Costume impeccable, cravate dénouée avec une élégance naturelle qui aurait rendu jaloux un mannequin, le regard noir et furieux planté droit sur moi.– Je termine quelque chose, ai-je dit, en essayant de garder un ton neutre. Je pars dans une heure.Il n’a pas bougé d’un cil.– Non. Tu pars maintenant. Tout le
Je m’étais installée à l’établi avec Milo, penchée sur le moteur qu’ils avaient ouvert. Dès que mes yeux ont glissé sur le bloc, une sensation étrange m’a parcouru l’échine. Ce moteur… je le connaissais.— Attendez une minute… C’est un M8 biturbo, non ? Série spéciale, monté sur mesure ?— Exact, répondit Milo. C’est celui de la Bugatti du boss. On l’a reçu ce matin.Je me redressai, le cœur battant.— Ce moteur… c’est celui que j’ai vu en panne sur le bord de la route. Quand j’ai… quand je suis tombée sur Grayson pour la première fois.Riko leva un sourcil.— Sérieux ?— Très sérieusement, répondis-je, en enfilant mes gants. Laissez-moi voir les injecteurs.Je m’approchai du système d’injection et, très vite, je vis ce que je redoutais.— Regardez ça. Cette fissure au niveau du régulateur. Elle n’est pas naturelle. Et ces dépôts ? Ils ont été introduits après l'assemblage. Il y a eu sabotage.Un silence s’installa dans l’atelier. Riko s’approcha pour vérifier.— Merde… t’as raison. C
Je tournais dans les couloirs depuis dix bonnes minutes, avec mon badge autour du cou et ma dignité qui s’effilochait à chaque détour. J’avais beau être une mécanicienne expérimentée, cette foutue tour Blackwell me donnait l’impression d’être une apprentie paumée dans un labyrinthe géant.— Besoin d’un GPS ? lança une voix masculine avec un petit rire derrière moi.Je me retournai, déjà prête à sortir un sarcasme, puis je reconnus John Weston. Le bras droit de Grayson. Son costume était impeccable, mais ses yeux avaient ce quelque chose de plus… chaleureux.— Je cherche l’atelier mécanique, marmonnai-je, un brin gênée.Il esquissa un sourire.— L’antre des vrais cerveaux de cette boîte, hein ? Viens, c’est un peu planqué.Il m’ouvrit des portes sécurisées, me guida dans un ascenseur privé, puis on descendit d’un étage qui ne ressemblait à rien de ce que j’avais vu plus haut. Fini le luxe marbré et les talons qui résonnent. Ici, ça sentait l’huile, le métal et le travail. J’adorais.—
Je n’aurais jamais cru qu’un simple trajet en voiture finirait comme ça. Enfin… pas vraiment "simple". J’avais joué avec le feu. J’avais vu la tension dans ses yeux, j’avais senti le fil prêt à rompre. Et pourtant, j’ai continué. Insolente. Curieuse. Trop vivante, peut-être.Mais quand il a tourné brusquement dans ce parking souterrain et qu’il a garé la Bugatti dans un coin sombre… mon cœur s’est mis à battre plus vite. Je savais ce que j’avais déclenché. Et je n’ai pas fui. J’en avais envie. De lui. De nous.Quand il m’a soulevée sans un mot et que je me suis retrouvée à califourchon sur lui, j’ai cessé de respirer. Juste un instant. Il me regardait comme si j’étais à lui. Comme s’il allait me dévorer. Et je crois que c’est ce qui