L’agitation dans la salle me donnait mal à la tête.Je m’étais assise au fond, le plus loin possible des caméras. Les doigts noués autour de mon badge « parent accompagnateur », je m’efforçais de garder l’apparence d’une mère détendue. Mes lunettes noires glissaient sur mon nez, mais je n’avais même pas l’énergie de les remonter.Ethan était sur scène.Mon fils. Mon petit lion.Droit comme un chef d’orchestre miniature, il faisait face à l’auditoire avec ce calme presque effrayant qui le caractérisait depuis toujours. À côté de moi, Hope mâchonnait un chewing-gum, silencieuse, ce qui voulait dire qu’elle aussi sentait la tension dans l’air.Je voulais me concentrer sur lui. Sur cette fierté maternelle pure que je ressentais. Mais mes yeux, malgré moi, furent attirés ailleurs.Et mon cœur s’arrêta.Non.Non.Pas lui. Pas maintenant.Grayson.Il était là. Sur scène. En costume noir. Micro en main.Mon ventre s’est contracté brutalement. Mon souffle est devenu court.Cinq ans.Cinq ans à
Je n’avais plus pensé à la petite fille depuis l’aéroport.Hope.Ce prénom m’avait hanté quelques heures, puis j’avais fait ce que je faisais de mieux : enterrer.Classer dans une boîte, bien fermée. Oublier.Je traversai le hall du centre de conférences de Palo Alto. Les flashs des caméras m’agressaient à peine. Je n’y prêtais plus attention depuis longtemps.Un assistant m’attendait avec un dossier.– Voici les finalistes, monsieur Blackwell. Vous avez souhaité les consulter avant la cérémonie.– Merci.Je m’installai dans un fauteuil d’angle, à l’écart, et feuilletai les fiches une à une. Europe. Canada. Inde. Kenya. Japon.Je m’arrêtai.Un projet de programmation orientée robotique comportementale. Hautement avancé. Code structuré, architecture propre, vision globale innovante. Même dans mes équipes d’ingénieurs, j’en voyais peu à ce niveau.Je fronçai les sourcils en consultant la fiche du participant japonais.– C’est une erreur ?Le prénom était clairement anglophone. L’âge aus
Je n’avais rien à faire ici.Absolument rien.Et pourtant, j’y étais.Assis dans un salon privé de l’aéroport international de Los Angeles, je regardais la pluie taper mollement contre la vitre, alors que l’air conditionné soufflait dans mon cou comme une respiration agaçante.Le conseil d’administration voulait redorer l’image de Blackwell Industries.Améliorer la "présence émotionnelle" du groupe, qu’ils disaient.Alors ils m’ont collé comme parrain officiel du GlobalCode Masters, ce grand cirque médiatique pour enfants surdoués.À croire qu’ils me prennent pour une mascotte.J’avais refusé trois fois.Puis j’ai fini par céder.Pas parce qu’ils m’ont convaincu.Parce que j’avais besoin de m’éloigner de Manhattan.De cette ville, de ses fantômes, de… d’elle.Depuis cinq ans, je vis. C’est tout.Je respire. Je signe des contrats. Je serre des mains.Mais la vérité ?Je n’ai plus ri depuis le jour où elle est partie.Sans explication.Sans un mot.Sans moi.Jade.Je ferme les yeux une
Jade relisait le courriel pour la troisième fois, immobile, les doigts crispés autour de sa tasse de thé.Le logo bleu et or du GlobalCode Masters s'affichait fièrement en haut du message. En gras, juste en dessous :« Félicitations. Ethan Lambert est officiellement sélectionné pour représenter le Japon lors de l’édition mondiale du concours, à Silicon Valley, États-Unis. »Elle posa lentement la tasse, le cœur serré.L’Amérique.Pas Tokyo. Pas Kyoto. Pas Séoul.Les États-Unis.Elle se leva d’un bond, ferma précipitamment son ordinateur portable et s’accouda à la baie vitrée de son bureau. Ses yeux survolèrent la ville animée, mais elle ne voyait rien. Juste son passé qui se ruait vers elle, comme un train lancé à pleine vitesse.– Non. Non, c’est hors de question.Derrière elle, la porte s’ouvrit sans frapper. Deux mini-tornades firent irruption dans le bureau, ricanant.– Maman, maman, maman ! cria Hope en brandissant une sucette. Ethan a été choisi ! Tu te rends compte ? Il va être
Cinq ans plus tardLe soleil se couchait lentement sur Tokyo, peignant les baies vitrées du building Yamato Phoenix Motors d’un orange doré. Le bureau d’Elise Lambert, au 27e étage, surplombait la ville en pleine effervescence. Derrière son bureau, une femme élégante, en tailleur noir cintré, tapait avec une précision chirurgicale sur son clavier. Son chignon bas tiré impeccablement, sa posture droite, et son regard perçant suffisaient à faire taire les plus arrogants des ingénieurs.On la respectait. On la craignait un peu. On l’adorait aussi.Mais personne, ici, ne connaissait la vérité.Elise Lambert… s’appelait en réalité Jade Carter.– Madame Lambert ? annonça la voix discrète de la réceptionniste dans l’interphone. Vos enfants viennent d’arriver.Le regard de Jade s’adoucit instantanément.– Laissez-les monter, s’il vous plaît, répondit-elle, un sourire déjà accroché à ses lèvres.Elle se leva et alla attendre devant la porte vitrée de son bureau, comme à chaque fin de journée.
Point de vue de LaurenceLa peur, je l’ai toujours méprisée.Les faibles la subissent. Les puissants la transforment en force.Mais ce matin-là, même mon café avait un goût d’angoisse.Mike m’avait envoyé un message sec comme une gifle :“Tu me prends pour un con ? Dis-moi où elle est, maintenant.”J’ai failli écraser mon téléphone contre le mur.Je ne savais pas où était Jade. Vraiment. Et c’est bien ce qui me terrifiait.Ni mes contacts, ni ceux de mon père n’avaient réussi à retrouver sa trace. Même Arnaud, l’homme que mon père envoyait pour les missions impossibles, m’avait regardée d’un œil froid :— Elle s’est volatilisée, Laurence. Rien sur elle. Soit elle a un ange gardien, soit elle est beaucoup plus protégée qu’on ne le croyait.J’ai fulminé pendant des heures.Grayson était chaque jour plus distant. Il refusait de passer du temps avec moi. Il n’accordait aucun regard à Adam. Un mur. Un bloc de glace.J’avais réussi à me hisser au sommet, mais lui…Lui, il restait bloqué en