Point de vue de LaurenceLa peur, je l’ai toujours méprisée.Les faibles la subissent. Les puissants la transforment en force.Mais ce matin-là, même mon café avait un goût d’angoisse.Mike m’avait envoyé un message sec comme une gifle :“Tu me prends pour un con ? Dis-moi où elle est, maintenant.”J’ai failli écraser mon téléphone contre le mur.Je ne savais pas où était Jade. Vraiment. Et c’est bien ce qui me terrifiait.Ni mes contacts, ni ceux de mon père n’avaient réussi à retrouver sa trace. Même Arnaud, l’homme que mon père envoyait pour les missions impossibles, m’avait regardée d’un œil froid :— Elle s’est volatilisée, Laurence. Rien sur elle. Soit elle a un ange gardien, soit elle est beaucoup plus protégée qu’on ne le croyait.J’ai fulminé pendant des heures.Grayson était chaque jour plus distant. Il refusait de passer du temps avec moi. Il n’accordait aucun regard à Adam. Un mur. Un bloc de glace.J’avais réussi à me hisser au sommet, mais lui…Lui, il restait bloqué en
Point de vue de Laurence La presse m’affublait de ce titre que j’ai tellement attendu : la nouvelle Madame Blackwell.Un mensonge savamment emballé, rien de plus qu’une illusion médiatique.Grayson ne m’avait pas touchée depuis Londres. Je n’étais rien pour lui mais le titre me suffisait amplement. Officiellement, j’étais sa compagne. Officieusement, j’étais la figurante que le Conseil lui a imposé à ses côtés.Ce matin-là, son assistante m’a annoncé :— Monsieur Blackwell vous attend en salle de conférence.Je n’ai même pas levé les yeux. Elle me donnait la nausée. Je n’avais pas traversé des océans pour être traitée comme un dossier à classer. Grayson m’excluait de tout. Il était toujours enfermé dans son bureau à étancher son obsession pour Jade entre deux verres de whisky.Toujours Jade, jamais moi. Je la déteste.Il n’avait jamais demandé à passer du temps avec lui. Il se contentait de répondre vaguement quand la nounou lui parlait du petit. Je l'avais imaginé effondré par cette
Point de vue de Jade Les jours passaient, et peu à peu, la peur laissait place à une forme de paix.Je me levais chaque matin dans cette maison de bois au cœur du Québec, bercée par l’odeur du pain chaud et le craquement du vieux parquet. Je vivais cachée, mais pas éteinte.Mon ventre s’arrondissait comme un miracle. Chaque soir, je passais mes mains dessus et leur parlais. Je ne savais pas s’ils m’entendaient. Je savais juste qu’ils étaient là et que je n’étais plus seule.— Vous savez, je vous ai fuis, au début, murmurais-je souvent. Pas parce que je ne vous voulais pas… mais parce que j’avais peur. Peur de ce monde qui ne sait pas aimer sans détruire.Je m’allongeais dans le fauteuil près de la fenêtre, le plaid d’Anna sur les jambes.— Mais vous êtes là. Grâce à vous, j’ai trouvé la force de recommencer.Je caressais doucement ma peau tendue, là où je les sentais bouger, parfois timidement, parfois avec la vigueur de deux petits boxeurs.— Votre papa… il est extraordinaire. C’est
Point de vue de JadeJe n’avais pas pleuré à l’aéroport. Pas non plus dans l’avion. Ni même en franchissant la frontière canadienne. Mon cœur, pourtant, n’avait jamais été aussi lourd. Mais il m’avait suffi de voir cette petite maison en bois au bout du chemin, bordée d’épinettes et d’érables, pour que mes jambes lâchent.Beaumont-sur-Lac.Le nom sonnait comme un souffle, un secret que seule la montagne comprenait. Un village où vit pas plus de deux cent personnes est caché entre les lacs gelés et les forêts profondes du Québec.Madame Anna Fournier, la mère de Savannah, m’attendait sur le perron. Elle portait une écharpe tricotée à la main et un sourire assez doux pour me faire craquer.— Tu es en sécurité, ma belle. Viens, Savannah m’a tout raconté.Je suis tombée dans ses bras comme une enfant.Les deux premiers jours se sont écoulés dans un calme irréel. Le silence de Beaumont-sur-Lac m’enveloppait comme une couverture. Aucun bruit de klaxon. Aucun regard indiscret. Juste la neig
Je rentrai dans la maison, épuisé, vidé, rongé par la peur et l’impuissance. Chaque pièce semblait me hurler son absence. Le salon, la cuisine, la bibliothèque, la chambre rouge. Je montai lentement à l’étage. Mon regard se posa instinctivement vers sa chambre. La porte était entrouverte. Mon cœur s’arrêta une seconde puis je la poussai doucement.Tout semblait à sa place. Les rideaux dansaient au rythme du vent. Le lit était fait. C’est là que je vis. un tee-shirt. Un simple tee-shirt blanc, sale, froissé et tâché de cambouis. Le genre qu’elle portait quand elle revenait du garage. Quand elle riait. Quand elle se moquait de mes costumes hors de prix et me tendait une clé anglaise comme si c’était un bijou. Je m’approchai lentement. Je le pris entre mes mains. Il sentait encore l’huile, le métal… et elle. Cette odeur douce et vive de la vanille. Inoubliable.Je le serrai contre mon torse. Je me laissai tomber à genoux. Elle n’était plus là et pourtant, elle était partout.Je descendai
Point de vue de Grayson Blackwell— Ce n’est pas un choix. C’est une obligation, m’avait dit le président du Conseil.J’étais resté debout, face à la longue table ovale de la salle du siège, le regard noir, les poings fermés sur le dossier d’un fauteuil vide. Chaque mot m’écorchait les tempes.— L’article 17 du testament de Charles Blackwell est clair, Grayson. Aucun membre de la lignée directe ne peut diriger l’empire Blackwell s’il n’a pas une épouse à ses côtés après ses trente ans. Et vous les avez eus. Le Conseil a été patient… mais votre situation devient instable.Je n’avais pas répondu parce que je savais. Je savais que Jade avait tout emporté en partant même mon droit à hériter.Le silence pesait, jusqu’à ce que la voix d’un autre administrateur tranche l’air.— Laurence Kesington est parfaitement qualifiée. Elle a dirigé une partie des filiales européennes, elle a une image publique solide, et elle est la mère de votre fils.Mon regard se leva brusquement.— Ce n’est pas mon