Ismène resta prostrée, le regard rivé sur la flamme vacillante de la lampe à huile. La demande de Naïla résonnait encore dans son esprit, s’imposant comme un murmure venimeux dont elle ne parvenait pas à se débarrasser.
— Il faut que ce soit toi, cette nuit-là.
Elle aurait voulu refuser, s’échapper, fuir cette responsabilité écrasante, mais où irait-elle ? Elle était une servante. Elle n’avait ni pouvoir, ni liberté. Et au fond d’elle, elle savait que Naïla ne lui laissait pas vraiment le choix.
Un bruit léger derrière la porte la fit sursauter. Elle se redressa précipitamment lorsque Naïla entra en silence, vêtue d’une robe légère, son visage caché sous un voile de soie.
— Il est temps, murmura-t-elle.
Ismène sentit un frisson lui parcourir l’échine.
— Princesse… Naïla s’approcha et prit ses mains entre les siennes.
— Je t’en supplie, Ismène. Si tu ne le fais pas, je suis perdue. Tu me ressembles. Ta peau, tes cheveux… Dans l’ombre, il ne verra pas la différence.
Ismène ferma les yeux un instant, sentant son cœur s’alourdir sous le poids du dilemme. Comment pouvait-elle trahir ainsi le prince Kael ? Comment pouvait-elle se prêter à une telle supercherie ?
Mais comment pouvait-elle abandonner Naïla à la disgrâce ?
Elle déglutit difficilement et, dans un souffle presque inaudible, elle murmura :
— Que dois-je faire ?
Le soulagement inonda le visage de Naïla.
— Tout est déjà prêt.
Elle se retourna et tendit un tissu fin, d’un blanc immaculé. Une longue tunique de noces.
— Mets ceci. Ensuite, tu seras conduite dans la chambre royale. Personne ne posera de questions. La tradition veut que la mariée y entre seule, le visage couvert. Tout se passera dans l’obscurité totale.
Ismène prit la tunique d’une main tremblante.
— Et après ?
Naïla détourna le regard.
— Après… tu devras faire ce qu’on attend d’une épouse.
Le silence s’éternisa entre elles, lourd et suffocant.
Ismène avait conscience que, quelle que soit l’issue de cette nuit, plus rien ne serait jamais comme avant.
L’heure venue, Ismène suivit les instructions de Naïla à la lettre. Drapée dans la tunique blanche, voilée jusqu’au menton, elle fut escortée par deux servantes silencieuses jusqu’aux portes massives des appartements royaux. Son cœur battait si fort qu’elle craignait que tout le palais ne l’entende.
La porte s’ouvrit dans un grincement. L’obscurité l’engloutit aussitôt.
Derrière elle, la porte se referma lentement.
Elle était seule avec le prince Kael.
Un frisson glacial lui parcourut l’échine lorsqu’elle entendit son souffle dans la pièce. Il était là, tout proche.
Puis sa voix s’éleva, grave et posée.
— Approche.
Elle avança d’un pas hésitant, ses doigts crispés sur le tissu de sa tunique.
Il était trop tard pour reculer.
Ses jambes tremblaient. Chaque pas résonnait comme un glas dans le silence oppressant de la pièce. Elle savait qu'à cet instant, elle n'était plus Ismène, la servante. Elle était Naïla aux yeux de cet homme qui l'attendait.
Lorsque ses pieds touchèrent le rebord du grand lit royal, elle sentit le poids d’un regard invisible sur elle.
Kael n'avait pas bougé, mais elle devinait sa présence, imposante, tout près.
— Es-tu nerveuse ? demanda-t-il, brisant le silence.
Elle hésita. Devait-elle parler ? Feindre la réserve attendue d’une jeune épouse ?
— Oui… murmura-t-elle enfin.
Il y eut un silence. Puis un léger bruit de tissu froissé, comme s'il s'était redressé.
— C’est normal, répondit-il simplement. Cette nuit scelle notre union.
Ces mots lui firent l’effet d’un coup de poignard. Leur union… Un mensonge dont elle était l’architecte involontaire.
Kael bougea enfin. Elle sentit sa main frôler la sienne, un contact bref mais brûlant qui lui fit retenir son souffle.
— Ne crains rien.
Comment pouvait-elle ne pas craindre ?
Son cœur battait si fort qu’elle en avait mal à la poitrine.
Elle ferma les yeux, bien que l'obscurité fût déjà totale, et prit une profonde inspiration. Il fallait qu’elle tienne.
Pour Naïla. Pour elle-même.
Car après cette nuit, plus rien ne serait jamais pareil.
Ses yeux, d’un noir profond, se posèrent sur elle, et elle sentit son souffle se couper.
— Vous tremblez, dit-il d’une voix douce mais ferme.
Elle ne répondit pas, incapable de trouver les mots. Sa bouche était sèche, ses mains moites. Elle fixa le sol, espérant qu’il ne verrait pas la peur dans ses yeux.
Kael s’arrêta devant elle, sa présence imposante mais étrangement apaisante. Il posa un doigt sous son menton, la forçant à relever la tête.
— Regardez-moi, Naïla.
Elle obéit, croisant son regard. Dans ses yeux, elle vit une lueur de curiosité, peut-être même de tendresse, mais aussi une détermination qui la glaça.
— Vous êtes ma femme, murmura-t-il, sa voix résonnant comme une promesse et une menace.
Sans la lâcher des yeux, il lui tendit la main. Elle comprit qu’il attendait qu’elle la prenne. Les secondes s’étiraient, chaque mouvement pesé, chaque respiration mesurée.
Elle glissa sa main tremblante dans la sienne.
Le contact de sa peau était chaud, ferme. Il l’attira doucement vers lui, un frisson remonta le long de sa colonne vertébrale lorsqu’il effleura son bras nu, ses doigts traçant une caresse involontaire contre sa peau.
— Vous êtes belle, dit-il, sa voix presque un murmure.
Elle sentit son souffle sur sa joue, son corps si proche du sien qu’elle pouvait sentir la chaleur qui émanait de lui.
Elle ferma les yeux, essayant de se détacher de la réalité, de ne pas penser à ce qui allait suivre.
Kael posa une main sur sa taille, l’attirant encore plus près. Elle sentit son cœur battre contre sa poitrine, un rythme régulier et apaisant, en contraste avec le sien, rapide et désordonné.
— Vous avez peur, dit-il, un léger sourire aux lèvres.
Elle hocha la tête, incapable de mentir.
— Il n’y a pas de raison d’avoir peur, murmura-t-il en caressant doucement sa joue.
Elle sentit ses lèvres effleurer les siennes, un contact léger, presque hésitant. Puis il l’embrassa, doucement d’abord, puis avec plus d’assurance. Elle répondit à son baiser, malgré elle, emportée par une vague d’émotions contradictoires.
Il la guida vers le lit, ses mains chaudes et fermes sur son corps. Elle se laissa faire, essayant de ne pas penser, de ne pas exister.
— Vous êtes à moi, maintenant, murmura-t-il contre sa peau.
Elle sentit ses lèvres sur son cou, ses épaules, explorant chaque centimètre de son corps avec une tendresse qui la surprit. Elle ferma les yeux, essayant de se détacher de la réalité, de ne pas penser à ce qui allait suivre.
Mais malgré tout, elle sentit une vague de désir monter en elle, un désir qu’elle ne pouvait nier. Elle essaya de se raisonner, de se rappeler que ce n’était pas elle qu’il désirait, mais Naïla.
— Naïla, murmura-t-il contre sa peau.
Elle sentit une douleur aiguë dans sa poitrine, un mélange de culpabilité et de tristesse. Elle n’était pas Naïla, mais elle ne pouvait pas le lui dire.
Il la prit alors, avec une douceur qui la surprit. Elle sentit chaque mouvement, chaque caresse, chaque baiser, comme si le temps s’était arrêté. Elle essaya de se détacher, de ne pas ressentir, mais elle ne pouvait pas.
Elle sentit son corps répondre au sien, malgré elle, emportée par une vague d’émotions qu’elle ne pouvait contrôler. Elle ferma les yeux, essayant de ne pas penser, de ne pas exister.
Quand ce fut fini, il resta allongé à côté d’elle, son souffle régulier et apaisant. Elle sentit ses bras l’envelopper, la tenant contre lui comme si elle était précieuse.
— Vous êtes à moi, maintenant, murmura-t-il contre ses cheveux.
Elle ferma les yeux, sentant les larmes monter. Elle n’était pas à lui. Elle n’était pas Naïla.
Mais il ne devait jamais savoir.
Ismène poussa doucement la porte de la chambre des servantes, les bras chargés des présents que Naïla lui avait offerts. Dès qu’elle entra, les discussions se turent brusquement. Plusieurs paires d’yeux se tournèrent vers elle, scintillant d’une curiosité à peine voilée.La pièce exiguë était éclairée par la lueur tremblotante d’une lampe à huile. Le parfum du bois brûlé et des herbes séchées flottait dans l’air, et le matelas fin qu’Ismène partageait avec d’autres servantes était encore défait. Elle fit quelques pas en silence, consciente des regards qui la suivaient.— D’où viennent ces cadeaux ? lança soudain Bineta, une servante au visage rond et aux yeux perçants.Sa voix était douce, mais teintée d’un mélange de curiosité et de méfiance.Ismène s’arrêta et posa délicatement les étoffes sur son espace de couchage avant de se tourner vers elle.— C’est la princesse Naïla qui me les a donnés.Un silence pesa un instant dans la pièce. Puis, un éclat de rire étranglé s’échappa d’une
La nuit était avancée, mais Naïla, exaltée par les événements de la journée, n’avait pas envie de dormir. Drapée dans un voile de soie aux reflets dorés, elle se promenait dans ses appartements avec une vivacité qui contrastait avec la fatigue d’Ismène, restée debout près de la porte.— Ismène, je t’ai déjà dit de t’asseoir ! ordonna-t-elle d’une voix joyeuse. Tu es ma confidente maintenant, pas juste une simple servante.Ismène hésita avant d’obéir, s’asseyant prudemment sur un tabouret bas, le regard rivé sur le tapis fin qui couvrait le sol.Naïla, quant à elle, était rayonnante. Elle tournoyait sur elle-même, admirant sa silhouette dans le grand miroir en bronze poli.— Parle-moi, Ismène. Dis-moi combien j’ai été brillante aujourd’hui.Ismène releva légèrement les yeux.— Vous avez été parfaite, ma princesse.Un sourire satisfait étira les lèvres de Naïla. Elle s’approcha et s’agenouilla devant Ismène, attrapant ses mains avec un empressement enfantin.— C’est exactement ce que j
La chambre du prince était plongée dans une obscurité presque totale, à l’exception des dernières lueurs vacillantes d’une torche murale qui mourait lentement. Le plafond en bois sculpté, avec ses motifs d’ancêtres et de créatures mythologiques, semblait figé dans le silence. L’air était dense, presque lourd de l’odeur de cire, d’encens et de la chaleur de la nuit.Ismène, allongée sur le dos, respirait profondément, mais son esprit tournait en cercles, incapable de trouver la paix. Sa peau, encore marquée par la chaleur de l’union, semblait vibrer sous chaque mouvement, mais c’était la tension dans son ventre qui la rendait nerveuse.Elle tourna lentement la tête vers Kael, endormi à ses côtés. La lumière de la torche se reflétait faiblement sur son visage, apaisé, sans l’ombre d’un soupçon. Sa posture détendue contrastait avec l'agitation qui secouait Ismène. Elle se leva doucement, ses pieds nus frôlant le sol froid du marbre. Le drap était repoussé sous elle, et l’empreinte rouge
Ismène resta prostrée, le regard rivé sur la flamme vacillante de la lampe à huile. La demande de Naïla résonnait encore dans son esprit, s’imposant comme un murmure venimeux dont elle ne parvenait pas à se débarrasser.— Il faut que ce soit toi, cette nuit-là.Elle aurait voulu refuser, s’échapper, fuir cette responsabilité écrasante, mais où irait-elle ? Elle était une servante. Elle n’avait ni pouvoir, ni liberté. Et au fond d’elle, elle savait que Naïla ne lui laissait pas vraiment le choix.Un bruit léger derrière la porte la fit sursauter. Elle se redressa précipitamment lorsque Naïla entra en silence, vêtue d’une robe légère, son visage caché sous un voile de soie.— Il est temps, murmura-t-elle.Ismène sentit un frisson lui parcourir l’échine.— Princesse… Naïla s’approcha et prit ses mains entre les siennes.— Je t’en supplie, Ismène. Si tu ne le fais pas, je suis perdue. Tu me ressembles. Ta peau, tes cheveux… Dans l’ombre, il ne verra pas la différence.Ismène ferma les yeu
La lumière dorée du soleil couchant caressait les murs d’argile ocre du palais royal, projetant de longues ombres sur la vaste cour où les serviteurs s’affairaient avant la tombée de la nuit. Le royaume de Diarane, prospère et fier, reposait sur des traditions immuables, gravées dans le marbre des générations passées. Ici, la lignée royale se transmettait dans l’honneur et la pureté, et chaque union princière était soumise à des rites ancestraux d’une rigueur inébranlable.Le grand palais se dressait au sommet d’une colline, surplombant la cité animée où marchands et artisans s’activaient encore sous la lueur des torches. Dans l’aile réservée aux femmes, Ismène traversait les longs couloirs en silence, sa silhouette élancée drapée dans un pagne modeste. Les épaules légèrement voûtées, elle portait dans ses bras un plateau d’argent, où reposaient des mets délicatement disposés. Son rôle de servante auprès de la princesse Naïla lui imposait une discrétion absolue, mais ce soir, un étran