LOGINCe « Ohh, mon Dieu, quelle beauté ! » s'était échappé de mes lèvres dans un souffle ravi, bien trop audible dans le silence sépulcral de la pièce. Une onde de choc sembla traverser l'air climatisé. Je venais de franchir une ligne invisible, et le monde autour de moi parut s'arrêter net.
Le directeur, dont la présence occupait l'espace tout entier, releva la tête avec une lenteur calculée, délibérée. Son mouvement était si précis qu'il en était presque menaçant. Son regard, d'un brun si foncé qu'il en paraissait noir, se posa sur moi, lourd et perçant. Ce n'était plus le simple regard d'un patron sur une nouvelle employée, c'était celui d'un prédateur venant d'identifier une proie singulièrement imprudente. Un silence épais, étouffant, s'installa, rompu seulement par le bourdonnement assourdi de mon propre sang dans mes tempes. Mon cœur cognait contre mes côtes comme un oiseau affolé tentant de s'échapper de sa cage. J'avais tout gâché. Mon premier jour, mon premier contact, tout réduit en cendres par une phrase idiote et irréfléchie. Je restais clouée sur place, le verre d'eau devenu soudain un fardeau glacial dans ma main moite. Je n'osais ni le poser, ni le tenir, de peur que mon tremblement ne devienne trop visible. L'électricité statique de la tension semblait faire crépiter l'air. Je sentais une goutte de sueur froide tracer un sillon le long de ma colonne vertébrale. Ses sourcils, parfaitement dessinés, se froncèrent imperceptiblement. Aucune colère ne déformait ses traits, seulement une expression intense, indéchiffrable, qui me glaça le sang. Puis, ses lèvres fines, d'une forme étonnamment élégante, s'entrouvrirent. Je retins mon souffle, le corps tendu, attendant le coup de tonnerre, la sentence qui allait me précipiter dans les abîmes. « Tu... » Sa voix me fit sursauter. Elle était toujours aussi grave, mais la sévérité de tout à l'heure y avait laissé place à une nuance étrange, presque intriguée. « Tu as dit quelque chose ? » Le courage, ou peut-être la simple curiosité, me poussa à enfin lever les yeux vers les siens. Et ce que j'y vis me déstabilisa encore plus qu'une réprimande. Cette lueur dure y avait cédé la place à une étincelle de... surprise ? Non, c'était plus que ça. C'était une curiosité vive, mêlée à une forme d'amusement retenu. Comme s'il venait de découvrir un insecte rare aux couleurs inattendues. « Euh... monsieur... je... » Les mots s'étouffaient dans ma gorge, coincés par la honte et la confusion. « Je suis infiniment désolée. C'est sorti tout seul, c'était... involontaire. Je ne vous manquerais pas de respect pour rien au monde, je vous l'assure. » Ma voix n'était qu'un filet rauque, et je sentis la chaleur de l'humiliation embraser mes joues, mon cou, jusqu'au bout de mes oreilles. Je priais pour que le sol en marbre poli veuille bien s'entrouvrir et m'engloutir sur-le-champ. Il me scruta pendant un long moment, un silence qui dura une éternité. Son regard pesait une tonne, analysant chaque micro-expression sur mon visage, chaque frémissement de mes paupières. Puis, l'impossible se produisit. Les commissures de sa bouche s'étirèrent, très légèrement, en un sourire à peine esquissé, une ombre d'amusement qui transforma complètement son visage sévère. Mon esprit, en état de choc, eut du mal à enregistrer l'information. Il sourit ? Le directeur, la terreur de Gaysorn, est en train de sourire ? À cause de moi ? « C'est... » Il marqua une pause, comme pour choisir ses mots avec une précision chirurgicale. « ...inhabituel, en effet. » Le ton était redevenu plus professionnel, mais il restait empreint de cette étrange légèreté. « Mais passons. Pose cette eau. Et explique-moi maintenant ce que tu fais ici. Jonny m'a dit t'avoir briefée, mais je préfère entendre les choses de ta bouche. » Le soulagement qui m'inonda fut si intense que mes jambes faillirent se dérober sous moi. Je m'empressai de déposer le verre sur la surface immaculée de son bureau, un meuble en bois sombre et massif qui ressemblait à un autel. Mes doigts, encore tremblants, laissèrent des empreintes de buée sur le cristal. « Je... je suis Chloé Kim, monsieur », commençai-je, rassemblant mes esprits épars pour former une phrase cohérente. « Votre nouvelle assistante. J'ai reçu la lettre d'embauche hier... et je vous assure que je suis profondément honorée par cette opportunité de travailler pour Gaysorn. » J'essayai d'insuffler à ma voix toute la conviction et la motivation que je ressentais, espérant racheter ma première impression catastrophique. Il hocha lentement la tête, son regard ne me quittant toujours pas, tel un faucon observant son territoire. « Bien, Chloé Kim. » Mon nom, dans sa bouche, semblait prendre un poids nouveau. « J'espère que ton... enthousiasme singulier se traduira par un travail efficace. Tu vas beaucoup apprendre ici. Mais, » ajouta-t-il, et sa voix baissa d'un ton, plus sérieuse, presque confidentielle, « sois attentive à ce que tu dis. Dans cet environnement, certaines remarques, même jaillies du cœur, peuvent être interprétées de bien des manières. » Le message était clair. Pardonné, mais pas tout à fait. Mis en garde. « Oui, monsieur. Je comprends parfaitement. Je ferai tout mon possible. Je suis motivée et impatiente d'apprendre à vos côtés », déclarai-je, la voix plus ferme cette fois, une étincelle d'espoir renaissant en moi. Ce premier contact avait été un tremblement de terre émotionnel, un mélange déroutant de terreur et de fascination. Mais alors qu'il reportait son attention sur l'écran de son ordinateur, un geste de la main m'indiquant que l'entretien était terminé, une pensée nouvelle germa en moi. Peut-être que derrière cette carapace de dirigeant impitoyable et intimidant se cachait une complexité que je n'avais pas anticipée. Une complexité qui, je le pressentais déjà, allait rendre mon nouveau travail absolument... passionnant. •√•• Le directeur, dont je n'osais toujours pas demander le nom, comme si prononcer son identité aurait été un acte d'une audace folle, se pencha en arrière dans son fauteuil en cuir qui grinça doucement. Ce simple bruit parut déchirer le silence, accentuant son autorité. Il croisa ses doigts, des doigts longs et fins qui semblaient habitués à sceller le destin de projets à millions, et les posa sous son menton. Son regard, désormais moins un coup de poing qu'un scalpel, ne me quittait pas, disséquant la moindre de mes micro-expressions, pesant la peur et la détermination qui devaient se livrer bataille dans mes yeux. « Ton rôle sera crucial, Chloé », reprit-il, et sa voix, bien que posée, avait la densité du plomb. Chaque mot était pesé, chargé d'un sens profond. « Tu ne seras pas simplement mon assistante. Tu seras mon filtre. Mon organisation. Mes yeux et mes oreilles lorsque je ne pourrai pas être partout à la fois. La discrétion n'est pas une option, c'est une seconde peau. L'efficacité, ton souffle. Es-tu capable de respirer sous cette pression ? » L'intensité de ses paroles me coupa le souffle. Ce n'était plus un poste, c'était une investiture. Devenir l'assistante du directeur général de Gaysorn n'était pas une simple promotion ; c'était entrer dans les coulisses du pouvoir, avec tous ses secrets et ses pièges. L'excitation des premiers instants se mua soudain en un sentiment écrasant de responsabilité. « Oui, monsieur. Je comprends parfaitement. » Ma voix, plus ferme que je ne l'espérais, résonna dans la pièce. « Je suis prête à assumer ces responsabilités. Je donnerai tout pour être à la hauteur de la confiance que vous me témoignez. » Une détermination nouvelle, née du défi lui-même, irradiait en moi. Un léger hochement de tête, presque imperceptible, fut sa seule approbation. Il se redressa, et son bras se tendit vers une pile de dossiers qui paraissait aussi imposante qu'une falaise. « Bien. Alors commençons par le commencement. » Il souleva la pile et me la tendit. Le poids, à la fois physique et symbolique, me fit presque fléchir. « Ces documents doivent être triés, analysés et classés par ordre de priorité absolue pour la réunion stratégique de cet après-midi. Les rapports financiers d'abord – ne te trompe pas d'un seul chiffre. Ensuite, les propositions de nouveaux projets. Sois méticuleuse. La moindre erreur, la plus petite négligence, peut avoir des répercussions que tu n'imagines même pas. » « Oui, monsieur. Je m'en occupe immédiatement », affirmai-je en empoignant les dossiers comme on saisit une bouée de sauvetage. L'odeur du papier de qualité et de l'encre fraîche me monta aux narines. C'était tangible, irréfutable. J'étais bel et bien là, au cœur névralgique de l'empire Gaysorn, et mon travail commençait maintenant. « Ton bureau est la pièce attenuante. Jonny te guidera. » Il fit une pause, son regard perçant me transperçant une dernière fois. « N'hésite pas à lui demander de l'aide, mais utilise-la avec parcimonie. Tâche de trouver les réponses par toi-même autant que possible. L'autonomie... » Sa voix traîna un peu, « ... est la plus précieuse des qualités ici. » Sur ces mots, il se replongea dans l'écran de son ordinateur, un geste définitif qui signifiait que ma présence n'était plus requise. Je reculai de quelques pas, presque instinctivement, comme on quitte la présence d'un souverain, serrant les dossiers contre ma poitrine comme un bouclier. Alors que ma main cherchait la poignée de la porte, mon regard croisa le sien une dernière fois, par-dessus la montagne de papiers. Ce n'était plus le regard scrutateur du début, mais quelque chose de plus profond, de plus intrigant : une intense curiosité mêlée à une attente silencieuse, comme s'il cherchait à deviner quel métal j'étais vraiment faite. Une fois la lourde porte refermée derrière moi, je m'adossai contre le mur froid, laissant échapper un long souffle rauque que je retenais depuis des minutes. Mon cœur battait un rythme effréné. Hia Jonny, qui m'attendait en souriant, s'approcha. « Alors ? La première rencontre avec le dragon dans son antre ? » me chuchota-t-il avec un clin d'œil complice, employant une métaphore qui me parut soudain terriblement juste. « Plus qu'intense... C'était un baptême du feu », avouai-je, incapable de cacher un petit rire nerveux. « Et il m'a déjà confié une mission. » « Bienvenue dans les starting-blocks, petite ! » s'exclama Jonny en tapotant mon épaule. « Suis-moi, je vais te montrer ton nouveau terrain de jeu. Et ne t'en fais pas, on finit toutes par s'habituer à son... présence magnétique. On apprend à naviguer dans son sillage. » Je le suivis à travers une porte discrète qui donnait sur un espace plus ouvert, mais tout aussi luxueux. Des bureaux en verre et en acier, des écrans larges, une vue à couper le souffle sur la skyline de Bangkok. Il désigna un bureau spacieux, impeccable, avec un ordinateur flambant neuf. « Voilà. Ta nouvelle base arrière. Fais-en ton chez-toi. Et souviens-toi, » ajouta-t-il en baissant la voix, « on forme une équipe ici. Si tu coules, on remonte toutes à la surface pour te secourir. » Un mélange étrange d'anxiété et d'exaltation m'envahit alors. J'étais au pied d'un volcan, et le grondement que je sentais n'était pas seulement celui de la ville, mais celui de l'aventure qui commençait. Mon directeur... cet homme aussi énigmatique qu'attirant, aussi exigeant que fascinant, allait être le centre de gravité de mon nouveau monde. Et une partie de moi, contre toute attente, frémissait d'impatience à l'idée de lui prouver ma valeur. Alors que je m'installais à mon bureau, les dossiers posés devant moi comme un territoire à conquérir, je pris une profonde inspiration. D'accord, Chloé. C'est le moment de montrer de quoi tu es faite. J'ouvris le premier dossier, déterminée à ne laisser passer aucune erreur, à être parfaite. À être indispensable. Soudain, une pensée me traversa l'esprit alors que je commençais à lire les premiers chiffres. S'il m'avait choisie personnellement, comme Jonny l'avait laissé entendre... c'est qu'il avait dû voir quelque chose en moi. Quelque chose que je ne voyais peut-être pas encore moi-même. Et j'étais bien décidée à lui donner raison.Les semaines qui suivirent la découverte du dossier me confirmèrent une chose : le bureau était une jungle, et j’en étais devenue la proie désignée. Chaque jour apportait son lot de pièges subtils. Un email « oublié » en copie, une information cruciale communiquée en retard, des regards en coin qui se détournaient dès que j’approchais. L’atmosphère dans l’open space était devenue toxique. Pim et Thanwa avaient cessé toute prétention de courtoisie. Leurs sourires étaient maintenant des rictus, leurs conversations s’arrêtaient net quand je passais près de la machine à café. Je me sentais comme un animal traqué. Chaque pas dans les couloirs était calculé, chaque mot pesé. La pression constante de Nathakrit, bien que toujours aussi brutale, était presque devenue un répit. Au moins, avec lui, les règles étaient claires : sois parfaite ou dégage. Avec les autres, c’était un jeu d’échecs malsain où les pièces bougeaient dans mon dos. Mais dans cette tourmente, une bouée de sauvetage persis
Les jours suivants furent une leçon de survie en milieu hostile. Chloé avait compris les règles du jeu : Nathakrit Srisombat ne lui faciliterait jamais la tâche. Chaque demande était un piège, chaque délai une impossibilité calculée, chaque tâche un test déguisé. Mais au lieu de plier, elle se durcissait.Elle apprit à anticiper. Elle croisa les agendas, prépara les dossiers la veille au soir, mémorisa les numéros de téléphone importants. Quand il lui demandait un rapport en une heure, elle le lui livrait en quarante-cinq minutes, méticuleux et structuré. Quand il semait la confusion avec des instructions contradictoires, elle prenait une respiration, recoupait les informations et présentait une solution claire, sans jamais relever son erreur.Parfois, elle trébuchait. Un détail oublié, une information mal vérifiée. La réprimande était immédiate, glaciale, publique même. Mais elle ne se laissait plus submerger par la honte. Elle notait l'erreur, la disséquait menta
La journée s’étirait, impitoyable, chaque minute charriant son lot de nouvelles exigences, de défis inattendus. La relative clémence dont avait fait preuve Nathakrit Srisombat après la synthèse du projet "Aether" s’était évaporée comme de la buée sur une vitre, laissant place à une version du patron que je ne connaissais pas encore : un commandant froid, exigeant, dont les ordres fusaient sans préavis et sans marge de manœuvre.C’était comme si, ayant survécu au premier test, j’étais soudainement admise dans l’arène principale, face à un gladiateur qui n’avait plus aucune intention de retenir ses coups.L’interphone devenait mon bourreau. Chaque sonnerie me faisait sursauter, déclenchant un nouvel afflux d’adrénaline.« Mademoiselle Kim. Le dossier de presse pour le lancement de la nouvelle collection. Je le veux sur mon bureau dans une heure. Et que ce soit irréprochable. » Clic.«Mademoiselle Kim. Trouvez-moi les chiffres de vente du trimestre dernie
Le réveil fut un choc brutal, un passage violent du monde des rêves à une réalité cauchemardesque : la lumière crue du jour filtrait traîtreusement entre les lamelles des stores, et l’écran de mon téléphone affichait un 8h27 impitoyable. Mon cœur fit un bond désordonné dans ma poitrine. 8h27 ! Mon premier vrai jour, et j’étais déjà en retard.« Non, non, non ! » Je me précipitai hors du lit, les jambes emmêlées dans le drap. La nuit avait été trop courte, peuplée de chiffres dansants et du regard perçant de Nathakrit Srisombat. Vingt-cinq ans, et je n’avais toujours pas appris à dompter un réveil. C’était une pensée honteuse qui me fouetta tandis que je courais vers la salle de bain.Les gestes furent rapides, désordonnés. Une douche express, les cheveux attachés en un chignon hâtif d’où s’échappaient des mèches rebelles. Le maquillage ? Un minimum vital : un peu de correcteur pour cerner les traces de fatigue, un coup de mascara. La tenue ? Le tailleur-pantalon bleu nuit de la veille
La journée avait été un marathon émotionnel. Après avoir quitté le bureau du directeur mon directeur, fallait-il que je m’habitue à cette pensée , j’avais passé l’après-midi cloîtrée dans mon nouvel espace de travail, à déchiffrer la pile de dossiers qu’il m’avait confiée. Les chiffres dansaient devant mes yeux, mélangés à l’image persistante de son regard intense et de ce sourire fugace qui m’avait tant déstabilisée.À 18h30, le silence qui régnait dans l’open space était presque aussi impressionnant que le luxe des lieux. La plupart de mes nouveaux collègues avaient discrètement plié bagage, me saluant d’un signe de tête ou d’un sourire en passant devant mon bureau. J’étais restée, têtue, déterminée à ne pas partir avant d’avoir au moins compris la logique de classement. Je ne voulais surtout pas qu’il pense, demain matin, qu’il avait commis une erreur en me choisissant.C’est alors que mon téléphone de bureau se mit à biper, me faisant sursauter. La ligne interne affichait « J. Kow
Ce « Ohh, mon Dieu, quelle beauté ! » s'était échappé de mes lèvres dans un souffle ravi, bien trop audible dans le silence sépulcral de la pièce. Une onde de choc sembla traverser l'air climatisé. Je venais de franchir une ligne invisible, et le monde autour de moi parut s'arrêter net.Le directeur, dont la présence occupait l'espace tout entier, releva la tête avec une lenteur calculée, délibérée. Son mouvement était si précis qu'il en était presque menaçant. Son regard, d'un brun si foncé qu'il en paraissait noir, se posa sur moi, lourd et perçant. Ce n'était plus le simple regard d'un patron sur une nouvelle employée, c'était celui d'un prédateur venant d'identifier une proie singulièrement imprudente. Un silence épais, étouffant, s'installa, rompu seulement par le bourdonnement assourdi de mon propre sang dans mes tempes. Mon cœur cognait contre mes côtes comme un oiseau affolé tentant de s'échapper de sa cage. J'avais tout gâché. Mon premier jour, mon premier contact, tout rédui







