Je tournai la clé dans la serrure, le cœur battant, et poussai la porte de ce qui allait devenir mon nouveau chez-moi.
Je restai plantée sur le seuil, incapable d’entrer. La valise me tirait le bras, mais ce n’était pas elle qui me paralysait. C’était l’appartement lui-même.
Une bouffée d’air frais m’accueillit, parfumée d’un mélange de bois ciré et de linge propre. Devant moi, un salon immense baignait dans une lumière dorée filtrant par de larges fenêtres. Rien que le tapis du sol valait plus cher que la moitié des meubles de ma maison familiale.
J’hésitai, comme une intruse. Paul devait être là, non ? Mais aucun bruit, aucun signe de vie. J’appelai d’une voix timide :
— … Paul ?
Silence.
Je poussai un peu plus, déposai ma valise à l’entrée, et osai faire quelques pas.
Et là, j’oubliai de respirer.
Le salon paraissait tiré d’un magazine. Canapé en cuir gris anthracite, table basse en verre trempé, écran plat démesuré accroché au mur. À gauche, une bibliothèque design avec des rangées de livres parfaitement alignés, trop parfaits pour être lus. La cuisine américaine s’ouvrait sur la pièce, marbre étincelant, électroménager dernier cri, et une odeur légère de café encore tiède.
Je m’avançai, les doigts glissant sur le plan de travail. Chez moi, la cuisine avait toujours été minuscule, avec des carreaux ébréchés et une vieille gazinière qui toussait quand on l’allumait. Ici, c’était un autre monde.
Je sortis mon téléphone d’un geste pressé et appelai Emma.
— Alors ?! s’exclama-t-elle dès qu’elle décrocha.
Je soufflai un rire nerveux.
— Emma… tu t’es fichue de moi, hein ? Cet appart, c’est le top du top. Sérieusement, comment ton frère peut se payer ça ?J’entendis son rire clair, comme si ma réaction l’amusait d’avance.
— Ahah ! Je savais que tu allais tomber de ta chaise.Je me laissai tomber sur le canapé, mes doigts s’enfonçant dans le cuir.
— Tomber de ma chaise ? Je suis en train de me demander si Paul n’est pas trafiquant international. Ou milliardaire caché.— Mais non, rigola Emma. Il a eu… un coup de pouce.
— Un coup de pouce ? répétai-je, fronçant les sourcils. Emma, ce n’est pas un coup de pouce, c’est une catapulte. Je veux dire, chez moi on est cinq dans une maison qui grince de partout. Et là, j’ai l’impression de squatter chez un ministre.
— Tu exagères toujours, Tessa.
— Je n’exagère pas ! protestai-je en me levant. Attends, je vais te faire la visite : une cuisine plus grande que mon salon, un tapis qui doit coûter un bras, et oh… tiens, une terrasse !
Je poussai une baie vitrée et découvris un petit balcon surplombant la rue. Le vent frais me caressa le visage. Paris s’étendait devant moi, bruyante, grouillante, mais magnifique.
— Sérieux, Emma, dis-moi la vérité. Ton frère cache un trésor, avoue.
Elle rit encore, mais cette fois j’entendis une nuance étrange, comme si elle voulait changer de sujet.
— Disons que les Decourcel savent se débrouiller.— Les Decourcel, marmonnai-je en revenant m’asseoir. Ouais, ben qu’ils viennent me donner des cours, parce que là je suis jalouse.
Emma éclata de rire.
— Profite, ma belle. Tu vas vivre là, c’est le plus important.Je souris malgré moi. Elle avait raison. Pour la première fois depuis longtemps, je me sentais… privilégiée. Moi, Tessa la tornade, qui avais toujours galéré dans ma petite ville, je posais mes valises dans un palace déguisé en appartement.
Je m’adossai, soupirai, et fermai un instant les yeux.
Puis un bruit me fit sursauter.
Un cliquetis dans la serrure.
Je me redressai, le téléphone encore collé à mon oreille.
La porte d’entrée s’ouvrit brusquement dans un claquement sec.
Mon cœur bondit. Enfin ! Paul ! J’allais pouvoir le remercier, le serrer dans mes bras, lui dire combien j’étais soulagée de l’avoir comme coloc.
Je me levai, un sourire déjà accroché aux lèvres.
Sauf que ce n’était pas Paul qui franchit la porte.
TESSALes portes de la salle d’examen s’ouvrent avec un grincement strident qui me vrille les tempes, un son aigu qui résonne comme un écho de la tension qui me tord la poitrine. L’air est lourd, saturé d’une odeur de papier poussiéreux, de sueur nerveuse et de café froid, un mélange qui me ramène à l’appart de Noah, à cette nuit interminable où j’ai réécrit chaque mot de cette foutue présentation. Je suis dans les premières à passer, à cause de mon nom – Foster, toujours en haut de la liste, comme une malédiction. Mes baskets crissent sur le linoléum usé du couloir, chaque pas un compte à rebours qui fait pulser mon cœur dans ma gorge. Je serre mon ordinateur portable contre ma poitrine, le métal froid mordant mes doigts moites, l’odeur du plastique chauffé par mes mains ajoutant à mon malaise. J’ai bossé ce dossier jusqu’à l’aube, avec l’aide de Noah, mais j’ai tout repris, tout réécrit. Ce sont mes mots, ma sueur, même si son plan m’a servi de base. Je ne suis pas une tricheuse, pu
TESSAJe lui souris, un sourire forcé qui masquait le tumulte dans ma tête, et jetai un dernier regard à son torse nu, cette peau lisse et musclée qui me donnait tant de pensées perverses, des frissons remontant le long de ma colonne jusqu’au creux de mes reins. Une chaleur traîtresse m’envahit, un désir brut qui me faisait presque trembler. Si je m’écoutais, je me jetterais sur lui, mes mains sur sa peau, mes lèvres sur les siennes, oubliant tout dans un baiser fiévreux. Mais au lieu de ça, je jouai la carte de la sagesse, ravalant ma salive avec difficulté, et fis demi-tour, retournant dans ma chambre en soupirant, le parquet froid sous mes pieds nus me rappelant la réalité froide de cette nuit interminable.Je crus que j’allais défoncer mon portable lorsqu’il sonna, un bruit strident qui me vrilla les tempes, me tirant d’un sommeil à peine commencé. J’étais encore plus fatiguée qu’en me couchant, les yeux piquants, le corps lourd comme du plomb. Je me levai d’un bond, soupirant pro
TessaS’excuser allait être plus dur que prévu, surtout s’il continuait de me regarder de cette façon. Ses yeux sombres me transperçaient dans la pénombre du couloir, une lueur indéchiffrable qui me nouait la gorge. Je jetai un coup d’œil à son torse nu, sa peau luisante sous la lumière pâle filtrant par la fenêtre, et un frisson me traversa. Décidément, il me faisait beaucoup plus d’effet que tous les hommes que j’avais connus – plus que Hugo, plus qu’Emma ne l’avait jamais avoué avec son ex. Je déglutis, avalant ma salive avec difficulté, la bouche sèche comme du papier de verre. La fatigue nous enveloppait tous les deux, lourde, collante, mais c’était le moment ou jamais, avant que la lumière du jour ne rende tout plus réel, plus dur.Je sentis la sueur perler sur ma nuque, l’air de l’appart encore chargé de l’odeur de la nuit – sueur, sandwichs froids, et ce relent de roses fanées qui traînait depuis la poubelle. L’obscurité aidait parfois, masquant mon trouble, mais Noah ne bougea
TESSA- Si je vous gène vous me le dites ?La voix stridente de Julie nous arrache au sommeil, Noah et moi, comme un seau d’eau glacée. Je sursaute, mon cœur cognant dans ma poitrine, encore groggy, mes paupières lourdes de fatigue. Noah se redresse d’un coup sur le canapé, ses yeux plissés, à peine ouverts, brillant d’une lueur confuse. Il me fixe, son regard passant de l’étonnement à une sorte d’agacement, comme s’il se demandait ce que je fous dans ses bras. Je sens encore la chaleur de son corps contre le mien, son souffle tiède qui m’a bercée jusqu’à l’épuisement. Il soupire, un son rauque, et se lève, frottant son visage avec ses mains, ses cheveux en bataille sous la lumière pâle du matin qui filtre à travers les rideaux délavés.— C’est bon, je comprends mieux pourquoi tu voulais dormir sur le canapé ! lance Julie, sa voix tranchante, pleine de venin. J’appelle un taxi, je me casse chez moi. J’hallucine, putain.Noah reste assis à côté de moi, tournant la tête de droite à gauch
TESSA— Je sais pas, déjà que j’aille jusqu’au stage…, soupiré-je, l’idée me semblant aussi lourde qu’un rocher.— Faut te bouger, Tessa. Si tu fous rien, t’auras rien. On n’a rien sans rien dans la vie, lâche-t-il, sa voix teintée d’une pointe de reproche.Je lève les yeux au ciel. Il me fait la morale, maintenant ? Je l’ignore, mais un élancement dans ma hanche me fait grimacer, une douleur sourde qui pulse sous ma peau.— T’as mal quelque part ? demande-t-il, son regard scrutant mon visage, soudain attentif.— Ouais, ta bagnole m’a un peu rentrée dedans. J’ai un gros bleu violacé sur la hanche, dis-je, la voix basse, presque honteuse.— J’aurais dû t’emmener aux urgences, dit-il, sérieux, ses yeux plantés dans les miens.— Juste un bleu, c’est pas enflé, minimisé-je, haussant les épaules.— Fais voir.Il est sérieux, son regard intense, et je secoue la tête, incrédule. — Non, faut que je finisse.— Je vais juste regarder, t’inquiète, je te touche pas, insiste-t-il, sa voix plus dou
TESSANoah ouvre son ordi, fouille quelques minutes dans ses dossiers, ses doigts tapant sur le clavier avec une assurance agaçante. — J’ai tout gardé, j’ai eu raison, dit-il, un sourire satisfait aux lèvres. C’est exactement ce qu’ils te demandent.Il se met à taper, modifiant son fichier, ses yeux plissés sous la lumière pâle de l’halogène qui jette des ombres douces sur son visage. Mais je n’arrive pas à me concentrer. Chaque fois que son bras frôle le mien, une décharge me traverse, un désir brut qui me coupe le souffle. Sa présence, son odeur – un mélange de bois, de sueur, et de barbe naissante – me rend folle. Je fixe l’écran, mais les mots dansent, inutiles, comme des ombres floues dans la pénombre du salon. Le canapé est râpeux sous mes cuisses, et l’odeur de l’appart, un mélange de renfermé et de pain de mie, me rappelle à quel point je suis crevée.— T’as compris ? lance-t-il soudain, sa voix grave me tirant de mes pensées.— J’t’ai pas écouté, avoué-je, la voix tremblante,