Tessa
La porte s’ouvrit d’un coup.
Pas Paul.
Lui.
Noah Decourcel. Plus grand, plus net, plus cher que dans mes souvenirs. Chemise claire impeccable, montre qui coûte un loyer, regard noir qui scanne, classeur de jugements dans les yeux. Mon ventre se crispa, mais mes épaules se redressèrent toutes seules.
— Salut, lança-t-il, comme si on avait rendez-vous.
— Tu plaisantes, soufflai-je. Où est Paul ?
— Ailleurs. Ici, c’est chez moi.
Silence. Le genre lourd. J’attrapai mon téléphone. Si j’ouvrais la bouche maintenant, ça allait sortir en insultes. Et j’ai une règle : je choisis le moment de mes guerres.
— Tu l’appelles ? fit Noah, amusé. T’as besoin d’un tuteur légal ?
— Je rappelle Emma, rectifiai-je. Je l’ai eue il y a dix minutes. Là, j’ai besoin d’une vérité complète.
Je tapai le numéro. Elle décrocha à la première sonnerie.
— Tessa ! Alors, il te plaît l’appart—
— C’est chez Noah.
Un silence traversa la ligne. Puis un soupir coupable.
— Je savais que tu rebrousserais chemin si je te disais son nom. Tu cherches un toit, pas un conte de fées.
— Tu m’as vendu Paul, répliquai-je, tranchante. “Gentil, serviable, zéro drame.” Et j’ouvre la porte sur Noah Decourcel. Dis-moi que c’est une caméra cachée.
Noah se pencha contre le chambranle, bras croisés, mi-sourire mi-provocation.
Le genre de posture qui dit “go, frappe, je ne bouge pas”.
— Tessa, écoute, reprit Emma. Le bail, l’adresse, tout était prêt. Tu commences lundi. On est vendredi soir. Tu vas dénicher quoi en quarante-huit heures, à Paris, avec ton budget ?
— Tout sauf ça, lâchai-je. Je prends ma valise, je me casse. Trois mois payés ? Tant pis.
Je tirai sur la poignée. Valise bloquée dans le tapis. Noah ne bougea pas, mais ses yeux riaient clairement.
— Tu veux que je te la porte jusqu’au trottoir ? proposa-t-il d’une voix lisse. Par souci de service client.
— Je veux surtout que tu disparaisses de mon champ de vision, rétorquai-je, glaciale.
Emma reprit, plus douce :
— Tessa… je te connais. Tu vas transformer ce lieu en QG en deux jours. Il n’est presque jamais là. La semaine, il dort à l’hôtel de son père, tu sais… gestion, clients, paillettes. Tu le croiseras peut-être le week-end, et encore. Prends l’appartement. . Bosse tes cours. Après, tu avises.
Je relevai la tête vers Noah. Il ne protesta pas. Il confirma d’un léger hochement, comme si on signait un contrat invisible.
— C’est vrai ? demandai-je, sans quitter ses yeux.
— Tu veux mon planning en pièce jointe ? répondit-il, neutre. Du lundi au vendredi, je termine tard, je dors à l’hôtel. Ici, c’est ma base. Traduction : tu auras la paix 90 % du temps, sauf si tu déclenches l’alarme incendie en cuisant des pâtes. Mais oui je suis rarement chez moi, pour ca que j’ai dit oui !
Un rictus me monta aux lèvres malgré moi. Je l’écrasai net.
— Emma, dis-je, je te rappelle plus tard. J’ai… de la logistique.
— Je t’aime. Respire. Installe-toi. Et ferme à double tour si Monsieur “planning pièce jointe” te saoule, ok ?
— On verra.
Je raccrochai.
Noah passa enfin le seuil, dépassa ma valise, posa ses clés dans un vide-poches comme chez lui—logique, c’était chez lui—et mon regard accrocha des détails qu’Emma n’aurait pas inventés : chaussures alignées comme des soldats, cuisine si propre qu’on se voit dedans, deux verres posés sur l’îlot (dîner d’affaires ou dîner tout court ? aucune idée, aucune envie de le savoir).
— Bon, fit-il calmement. Règles du jeu, Tessa. Je parle et tu m’interromps si tu veux renégocier.
TESSAL’alarme de mon portable sonna à six heures pile. Je sursautai, me jetai sur mon téléphone pour couper le vacarme, et faillis m’étaler de tout mon long en butant contre une chaussure qui traînait au milieu de la chambre.— Putain… Le mot m’échappa, plus fort que la sonnerie elle-même. Je coupai l’alarme d’un geste sec, les doigts crispés sur l’écran, et restai immobile quelques secondes, à l’écoute. Rien. Silence total.Un silence lourd, presque oppressant. Comme si les murs eux-mêmes retenaient leur souffle.Je tirai les rideaux. Les premiers rayons du soleil envahirent la pièce, dessinant des ombres pâles sur le parquet. L’air déjà chaud me donna l’impression d’être enfermée dans un four. Septembre à Paris. Rien à voir avec les matins frais de ma campagne. Ici, la ville s’imposait, étouffante, saturée de chaleur et de bruit latent.Je fouillai dans ma valise, les gestes encore engourdis, pour attraper ma tenue de sport. Le tissu froid du short et du débardeur me glaça les doig
NoahBérénice, c’était le calme dans le chaos. La seconde meilleure amie de Tessa, celle qui ne faisait jamais de vagues mais qui savait toujours où poser les mots, ou les silences. Douce, patiente, rassurante — une sorte de refuge ambulant. Avec elle, Tessa se sentait safe. Pas besoin de jouer un rôle, pas besoin de se défendre.Physiquement, Bérénice avait ce charme voluptueux qui ne cherchait pas à séduire, mais qui captait les regards malgré elle. Une blonde aux cheveux mi-longs, souvent lâchés en vagues naturelles, avec cette couleur entre le miel et le sable. Ses yeux turquoise, clairs comme une mer d’été, semblaient toujours poser des questions sans jamais juger. Sa peau était pâle, douce, presque diaphane, et ses traits avaient quelque chose de paisible, comme si elle avait été dessinée pour apaiser.Elle avait un corps généreux, assumé sans provocation. Une poitrine pleine, qui dessinait sa silhouette avec douceur. Des hanches rondes, un fessier ferme et bien proportionné, un
NoahJe refermai la porte de ma chambre d’un coup d’épaule, lessivé. La journée avait été une merde interminable — entre les comptes du casino qui ne collaient pas, un fournisseur qui menaçait de tout plaquer, et un client VIP qui m'avait emmerdé pour un mini bar pas assez garnie parce que “c’est comme ça à Monaco”. J’avais déjà pris ma douche à l’hôtel, entre deux crises, alors il ne me restait plus qu’à m’écrouler dans mon lit comme un sac de sable.En temps normal, je n’étais là que le week-end, quand j’avais envie de fuir l’hôtel et ses obligations. Parfois, je disparaissais carrément, direction un palace à Deauville ou un chalet en Suisse, avec Béatrice ou une autre. Tout dépendait de mon humeur. Ou de ma capacité à tenir debout.Je balançai ma chemise par terre, gardai mon boxer, et m’affalai sur les draps frais. Trop frais. L’appart surchauffait, même avec la fenêtre grande ouverte sur le balcon. Septembre à Paris, c’était ça : une chaleur lourde, collante, qui vous rappelait q
TessaLa porte d’entrée claqua. Joris avait marmonné un “à demain” et j’avais cru qu’il s’en allait enfin, lui aussi.Le silence tomba quelques secondes, puis un grésillement discret me parvint : la télé, allumée en sourdine.Je fronçai les sourcils.Il était encore là.Je restai assise sur mon lit, immobile, attentive. Peut-être qu’il finirait par filer ? Mais non : j’entendis le canapé grincer, des pas lourds résonner sur le parquet.Il allait sûrement dormir ici.Et moi, avec toute cette eau avalée et ma vessie en rébellion, je n’en pouvais plus. J’avais besoin des toilettes. J’ouvris ma porte et sortis sur la pointe des pieds.Mais le parquet ne pardonne pas : ça couine, même quand on n’est pas lourde.Comme par hasard, il était là. En plein milieu du couloir.— Tu as besoin de quelque chose ? demanda Noah.Je pris une inspiration, crispée.— Non.Un silence, puis il s’avança encore. Il s’arrêta juste devant moi, imposant.— La salle de bain est juste là, au cas où, dit-il simplem
TessaJe franchis le seuil sans un mot, le menton haut, comme si je n’avais pas passé deux heures à poireauter dans le couloir.Joris s’écarta, toujours hilare, ses éclats de rire résonnant comme une insulte dans l’appartement surchauffé. Je l’ignorai, mes yeux glissant sur lui comme sur un meuble encombrant. Noah, adossé au mur près de la porte, la referma derrière moi avec un claquement sec qui me fit sursauter.— Tu veux boire quelque chose ? lança-t-il, sa voix teintée d’une provocation tranquille, comme s’il testait jusqu’où il pouvait pousser ma patience.— Je veux du silence, répondis-je, les dents serrées, sentant encore l’humiliation s’accrocher à chaque fibre de mon corps.Il haussa les épaules, un sourire en coin, et retourna s’affaler sur le canapé, reprenant sa manette comme si je n’étais qu’un courant d’air. Le salon empestait la pizza froide et la bière, vestiges d’une soirée improvisée entre mecs. Joris s’installa à côté de lui, mais son rire s’était éteint, remplacé
Tessa Quand je franchis la porte cochère de l’immeuble, mon portable vibra. Anaïs m’avait envoyé un message : “Tu es bien arrivée ? Tu me manques déjà.”Je serrai les dents pour ne pas pleurer.Je pris une photo rapide de l’entrée, du tapis rouge élimé, et lui répondis : “Oui ma chérie, tout va bien. Je te raconterai demain.”L’ascenseur grinça en montant. J’avais hâte de me glisser sous mes draps et de fermer les yeux.Sauf que.En fouillant dans mon sac, je sentis mon cœur s’arrêter.Pas de clés.Rien.Je fouillai une fois, deux fois, trois fois. Je renversai presque le contenu sur le sol du couloir. Mon téléphone, ma bouteille d’eau, mon carnet, mon portefeuille… mais pas ce foutu trousseau.Je dus l’avoir laissé sur la table de nuit en partant.L’angoisse me saisit à la gorge. J’étais enfermée dehors. Comme une idiote.Je m’approchai de la porte, collai mon oreille.Un bruit. Des voix. Un éclat de rire.La télé ? Non. Plus rythmé. Plus constant. Une manette, des pas rapides. Des