Tessa
Quand je franchis la porte cochère de l’immeuble, mon portable vibra. Anaïs m’avait envoyé un message : “Tu es bien arrivée ? Tu me manques déjà.”
Je serrai les dents pour ne pas pleurer.
Je pris une photo rapide de l’entrée, du tapis rouge élimé, et lui répondis : “Oui ma chérie, tout va bien. Je te raconterai demain.”
L’ascenseur grinça en montant. J’avais hâte de me glisser sous mes draps et de fermer les yeux.
Sauf que.
En fouillant dans mon sac, je sentis mon cœur s’arrêter.
Pas de clés.
Rien.
Je fouillai une fois, deux fois, trois fois. Je renversai presque le contenu sur le sol du couloir. Mon téléphone, ma bouteille d’eau, mon carnet, mon portefeuille… mais pas ce foutu trousseau.
Je dus l’avoir laissé sur la table de nuit en partant.
L’angoisse me saisit à la gorge. J’étais enfermée dehors. Comme une idiote.
Je m’approchai de la porte, collai mon oreille.
Un bruit. Des voix. Un éclat de rire.
La télé ? Non. Plus rythmé. Plus constant. Une manette, des pas rapides. Des jeux vidéo.
Mon ventre se tordit.
Il était rentré.
Noah.
Et il n’était pas seul.
Je reculai, dos au mur. Impossible de sonner. Impossible de frapper. Mon orgueil criait plus fort que ma fatigue. Pas question qu’il ouvre devant son pote, qu’il se moque de moi, qu’il m’exhibe comme “la coloc perdue sans ses clés”.
Je glissai le long du mur et m’assis dans le couloir. Le carrelage était froid sous mes cuisses, l’air sentait la poussière et le vieux bois. Je m’en fichais.
Je sortis mon téléphone, fixai l’écran allumé. Son numéro s’affichait dans mes contacts. “Noah – Plan galère.”
Je soufflai un rire sans joie.
Pas question. Pas ce soir.
Alors j’attendis.
Le temps s’étira, ponctué par les cris étouffés du jeu derrière la porte, par les pas dans l’escalier, par mes pensées qui tournaient en boucle. Je fermai les yeux quelques secondes. La fatigue me rattrapa.
Et c’est là, assise contre le mur, que je me surpris à sourire malgré tout. Parce que même coincée dans ce couloir, même humiliée, je n’avais pas perdu. Pas encore.
Les minutes s’étirèrent, longues comme des heures. Le néon du couloir grésillait au-dessus de moi, projetant une lumière jaunâtre qui faisait paraître les murs encore plus défraîchis. Mes jambes s’engourdissaient, mes paupières pesaient, mais je refusais de bouger.
Hors de question de me rabaisser à frapper.
Derrière la porte, les rires fusaient, suivis de bruitages électroniques. J’entendais Noah lancer une réplique, son pote éclater de rire. Chaque éclat de voix me rappelait que j’étais de l’autre côté, coincée comme une intruse dans mon propre logement.
Je pris mon carnet, griffonnai des mots pour m’occuper l’esprit : emploi du temps, valise, courses à faire… Mais mes lettres devenaient de plus en plus hésitantes. Je reposai le stylo.
Minuit approchait. Des voisins passaient, certains me jetaient des regards curieux. Une vieille dame me demanda si j’avais besoin d’aide. Je lui répondis que j’attendais quelqu’un. Mon sourire figé devait suffire, car elle haussa les épaules et continua son chemin.
Je tapotai mon téléphone. Le numéro de Noah était là, sous mes yeux. Il aurait suffi d’un geste.
Mais non. Pas devant son pote. Pas comme ça.
Je calai ma tête contre le mur, fermai les yeux un instant. Les bruits derrière la porte me semblaient lointains, comme filtrés par le sommeil. Mon corps céda avant mon orgueil.
Un cliquetis me réveilla.
Je sursautai, redressai la tête. La porte s’ouvrit d’un coup.
Noah apparut, une manette encore dans la main, suivi de son pote qui riait toujours. Son regard me tomba dessus. Ses sourcils se haussèrent légèrement, et un sourire en coin se dessina sur ses lèvres.
— Sérieusement ? Tu comptes dormir ici ? dit-il d’un ton moqueur.
Je me redressai aussitôt, chassant les plis de mon pantalon, refusant de lui offrir une image pitoyable.
— J’ai oublié mes clés, répondis-je sèchement. Ça arrive.
Joris, son pote, me détailla comme si j’étais une apparition.
— Ah, donc elle existe vraiment ! lança-t-il en éclatant de rire.
Je sentis le sang affluer à mes joues, mais je plantai mon regard dans celui de Noah, sans ciller.
— Tu comptes me laisser dehors encore longtemps ou je peux récupérer ma chambre ?
Son sourire se figea une seconde. Il n’aimait pas le ton, je le voyais bien. Sa mâchoire se contracta, un pli dur barra sa tempe.
— C'est pas moi qui t'es dit de dormir dehors, tu sais, ici comme en province, on a un petit boitier a coté de la porte qu'on appelle sonnette ! au cas ou tu ne sais pas, tu as juste a appuyer dessus .
Je soutins son regard sans flancher, je sentais une colere m'envahir.
—Merci , je connais !
Un silence tendu. Derrière lui, Joris s’agitait, mal à l’aise, sentant la tempête.
Noah se décala finalement, d’un geste sec, presque agacé.
— Entre. Fais comme chez toi. Et le prochain coup, tu sonnes surtout si tu sais que je suis là !
TESSAL’alarme de mon portable sonna à six heures pile. Je sursautai, me jetai sur mon téléphone pour couper le vacarme, et faillis m’étaler de tout mon long en butant contre une chaussure qui traînait au milieu de la chambre.— Putain… Le mot m’échappa, plus fort que la sonnerie elle-même. Je coupai l’alarme d’un geste sec, les doigts crispés sur l’écran, et restai immobile quelques secondes, à l’écoute. Rien. Silence total.Un silence lourd, presque oppressant. Comme si les murs eux-mêmes retenaient leur souffle.Je tirai les rideaux. Les premiers rayons du soleil envahirent la pièce, dessinant des ombres pâles sur le parquet. L’air déjà chaud me donna l’impression d’être enfermée dans un four. Septembre à Paris. Rien à voir avec les matins frais de ma campagne. Ici, la ville s’imposait, étouffante, saturée de chaleur et de bruit latent.Je fouillai dans ma valise, les gestes encore engourdis, pour attraper ma tenue de sport. Le tissu froid du short et du débardeur me glaça les doig
NoahBérénice, c’était le calme dans le chaos. La seconde meilleure amie de Tessa, celle qui ne faisait jamais de vagues mais qui savait toujours où poser les mots, ou les silences. Douce, patiente, rassurante — une sorte de refuge ambulant. Avec elle, Tessa se sentait safe. Pas besoin de jouer un rôle, pas besoin de se défendre.Physiquement, Bérénice avait ce charme voluptueux qui ne cherchait pas à séduire, mais qui captait les regards malgré elle. Une blonde aux cheveux mi-longs, souvent lâchés en vagues naturelles, avec cette couleur entre le miel et le sable. Ses yeux turquoise, clairs comme une mer d’été, semblaient toujours poser des questions sans jamais juger. Sa peau était pâle, douce, presque diaphane, et ses traits avaient quelque chose de paisible, comme si elle avait été dessinée pour apaiser.Elle avait un corps généreux, assumé sans provocation. Une poitrine pleine, qui dessinait sa silhouette avec douceur. Des hanches rondes, un fessier ferme et bien proportionné, un
NoahJe refermai la porte de ma chambre d’un coup d’épaule, lessivé. La journée avait été une merde interminable — entre les comptes du casino qui ne collaient pas, un fournisseur qui menaçait de tout plaquer, et un client VIP qui m'avait emmerdé pour un mini bar pas assez garnie parce que “c’est comme ça à Monaco”. J’avais déjà pris ma douche à l’hôtel, entre deux crises, alors il ne me restait plus qu’à m’écrouler dans mon lit comme un sac de sable.En temps normal, je n’étais là que le week-end, quand j’avais envie de fuir l’hôtel et ses obligations. Parfois, je disparaissais carrément, direction un palace à Deauville ou un chalet en Suisse, avec Béatrice ou une autre. Tout dépendait de mon humeur. Ou de ma capacité à tenir debout.Je balançai ma chemise par terre, gardai mon boxer, et m’affalai sur les draps frais. Trop frais. L’appart surchauffait, même avec la fenêtre grande ouverte sur le balcon. Septembre à Paris, c’était ça : une chaleur lourde, collante, qui vous rappelait q
TessaLa porte d’entrée claqua. Joris avait marmonné un “à demain” et j’avais cru qu’il s’en allait enfin, lui aussi.Le silence tomba quelques secondes, puis un grésillement discret me parvint : la télé, allumée en sourdine.Je fronçai les sourcils.Il était encore là.Je restai assise sur mon lit, immobile, attentive. Peut-être qu’il finirait par filer ? Mais non : j’entendis le canapé grincer, des pas lourds résonner sur le parquet.Il allait sûrement dormir ici.Et moi, avec toute cette eau avalée et ma vessie en rébellion, je n’en pouvais plus. J’avais besoin des toilettes. J’ouvris ma porte et sortis sur la pointe des pieds.Mais le parquet ne pardonne pas : ça couine, même quand on n’est pas lourde.Comme par hasard, il était là. En plein milieu du couloir.— Tu as besoin de quelque chose ? demanda Noah.Je pris une inspiration, crispée.— Non.Un silence, puis il s’avança encore. Il s’arrêta juste devant moi, imposant.— La salle de bain est juste là, au cas où, dit-il simplem
TessaJe franchis le seuil sans un mot, le menton haut, comme si je n’avais pas passé deux heures à poireauter dans le couloir.Joris s’écarta, toujours hilare, ses éclats de rire résonnant comme une insulte dans l’appartement surchauffé. Je l’ignorai, mes yeux glissant sur lui comme sur un meuble encombrant. Noah, adossé au mur près de la porte, la referma derrière moi avec un claquement sec qui me fit sursauter.— Tu veux boire quelque chose ? lança-t-il, sa voix teintée d’une provocation tranquille, comme s’il testait jusqu’où il pouvait pousser ma patience.— Je veux du silence, répondis-je, les dents serrées, sentant encore l’humiliation s’accrocher à chaque fibre de mon corps.Il haussa les épaules, un sourire en coin, et retourna s’affaler sur le canapé, reprenant sa manette comme si je n’étais qu’un courant d’air. Le salon empestait la pizza froide et la bière, vestiges d’une soirée improvisée entre mecs. Joris s’installa à côté de lui, mais son rire s’était éteint, remplacé
Tessa Quand je franchis la porte cochère de l’immeuble, mon portable vibra. Anaïs m’avait envoyé un message : “Tu es bien arrivée ? Tu me manques déjà.”Je serrai les dents pour ne pas pleurer.Je pris une photo rapide de l’entrée, du tapis rouge élimé, et lui répondis : “Oui ma chérie, tout va bien. Je te raconterai demain.”L’ascenseur grinça en montant. J’avais hâte de me glisser sous mes draps et de fermer les yeux.Sauf que.En fouillant dans mon sac, je sentis mon cœur s’arrêter.Pas de clés.Rien.Je fouillai une fois, deux fois, trois fois. Je renversai presque le contenu sur le sol du couloir. Mon téléphone, ma bouteille d’eau, mon carnet, mon portefeuille… mais pas ce foutu trousseau.Je dus l’avoir laissé sur la table de nuit en partant.L’angoisse me saisit à la gorge. J’étais enfermée dehors. Comme une idiote.Je m’approchai de la porte, collai mon oreille.Un bruit. Des voix. Un éclat de rire.La télé ? Non. Plus rythmé. Plus constant. Une manette, des pas rapides. Des