ElenaJe me démaquille lentement, le soir.Mais il reste toujours quelque chose.Ce masque-là ne s’efface pas. Il s’imprime. Il contamine.J’ai les joues nues, les lèvres pâles. Mais je sens encore le poison de cette soirée couler dans mes veines.Je m’assois sur le lit, le carnet ouvert devant moi.Je dessine un plan. Celui de la villa. Je note les horaires. Les entrées. Les failles. Les visages. Les itinéraires possibles. Les caméras. Les angles morts.Je prépare la suite.Car ce soir, j’ai vu sa faiblesse.Et j’ai aussi vu ce que je suis devenue.Pas une survivante.Une louve.Et cette fois, je ne frapperai pas seule.Je n’arrive pas à dormir.Je reste allongée dans l’obscurité, les yeux grands ouverts, les mains croisées sur le ventre comme si j’essayais de retenir quelque chose en moi.Mais c’est trop tard.Quelque chose a craqué ce soir.Pas pendant l’infiltration. Pas devant Crivelli. Non. Ça, je l’avais préparé. Je savais comment me tenir. Comment parler. Comment respirer.Ce
ElenaIl y a quelque chose d’indécent à se regarder dans un miroir quand on prépare une mascarade.Comme si l’image qu’on contemple n’était plus soi, mais une ombre qu’on sculpte à coups de poudre, de tissu et de silence.Je suis devant celui de la salle de bain depuis plus d’une heure, à essayer différentes coiffures, vêtements, postures. Pas pour séduire. Pour disparaître. Pour devenir autre.Je cherche l’équilibre fragile entre élégance et effacement, ce point exact où l’on attire l’attention sans éveiller la méfiance.J’ai choisi une robe noire, sobre, fluide, avec un dos nu discret. Pas trop voyante. Pas trop sage non plus. Une robe qui glisse sur moi comme un mensonge bien répété.Je remonte mes cheveux en un chignon lâche, volontairement imparfait, pour laisser croire à une nonchalance étudiée. Mes lèvres sont d’un rouge presque brun, sec, comme un avertissement. Mon regard s’est durci. Il ne tremble plus.Dante frappe à la porte.— Ça va ?Je ne réponds pas tout de suite. Je m
ElenaJe crois que je pourrais tuer.Pas par vengeance.Par nécessité.Parce que certaines choses ne se lavent pas.Elles se brûlent.L’aube n’a rien calmé. Elle a juste rendu les contours plus nets. Les ombres plus franches, les douleurs plus lucides. J’ai l’impression que le monde entier retient son souffle autour de moi, que même la lumière ne veut plus poser la main sur ma peau.Chaque pas me rapproche de quelque chose que je ne suis pas certaine de pouvoir affronter.Mais que je ne peux plus fuir.Je n’ai plus ce luxe.Je n’ai plus d’excuses.Ismael dort quelques heures, roulé en boule dans le canapé comme un enfant en sursis. Dante veille, silencieux, impénétrable.Moi, j’écris.Mon carnet déborde.Des mots.Des preuves.Des cris étouffés.Noms, lieux, connexions.Des bribes d’un empire invisible tissées en réseau. Et au centre, trois lettres, cerclées de noir : FDC.Ce n’est plus une organisation.C’est une saignée.Un cancer à visages multiples, à racines profondes.Un empire
DanteNaples nous accueille comme elle l’a toujours fait.Avec ses ruelles saturées d’histoires étouffées.Avec ses cris, ses odeurs, ses secrets incrustés dans la pierre.Mais cette fois, c’est différent.Cette fois, Elena ne revient pas pour chercher.Elle revient pour déterrer.Elle est plus silencieuse que d’habitude.Mais je connais ce silence.C’est celui d’un volcan avant l’éruption.Elle ne parle pas, parce qu’elle écoute.Chaque détail. Chaque vibration. Chaque souffle du passé.Je la vois humer l’air comme une louve. Marcher avec cette lenteur chargée de rage.Chaque pas qu’elle pose sur cette terre semble prêt à faire jaillir les morts.— On commence par le foyer de San Gaetano, dit-elle.— Tu penses qu’ils ont tous été transférés là-bas ?Elle me jette un regard tranchant.— Pas tous. Mais si FDC est un fil rouge, alors il est ici, quelque part. Et je vais le tirer. Même si ça me saigne les doigts.ElenaJe ne dors presque plus. Je ne mange que par automatisme.Chaque resp
ElenaChaque cri étouffé.Chaque silence.Chaque disparition noyée dans le néant bureaucratique…Je les emporte.Je suis Elena.Je suis Livia.Je suis Zaira, Giorgia, Romina.Et toutes les autres.Et je vais faire trembler les fondations de leur empire.Jusqu’à ce qu’il s’écroule.Jusqu’à ce qu’elles puissent, enfin, reposer en paix.Ou vivre.Ou crier.DanteOn part.Pas pour fuir.Pour frapper.Cette fois, ils ne verront pas venir la tempête.Parce que cette tempête a un visage.Un nom.Et une mémoire.ElenaJe suis leur mémoire.Et leur cri va tout ravager.ElenaLa mer s’ouvre devant moi, grise, féroce, indifférente.Catane est une ville faite de cendres et de sel. Une ville marquée par le feu de l’Etna, où chaque rue semble porter la mémoire d’un cataclysme ancien.C’est là qu’on nous a envoyé. Ou plutôt, c’est là que je vais arracher une vérité de plus.Le vent s’engouffre dans mon manteau, me fouette le visage, mais je marche.Dante à ma gauche, Ismael un peu en retrait. Je sui
ElenaLe jour ne se lève pas.Il s’arrache.À coups d’ongles contre la pierre, à coups de cris rentrés.Le ciel est une plaie ouverte au-dessus de Naples. Un ciel sans pardon. Gris, sale, muet. Il pèse sur mes épaules comme une injonction. Comme une condamnation.Je n’ai pas fermé l’œil.Pas dormi. Pas respiré. Pas pleuré.Mes mains sont engourdies, mais je continue.Toute la nuit, j’ai fouillé le squat.Pas un simple repaire. Un tombeau. Un mémorial. Une matrice.Les murs suintent la peur, la fuite, l’injustice.Mais aussi l’espoir. La révolte.J’y ai trouvé des fragments. Des échos. Des noms.Et maintenant, ce n’est plus un lieu abandonné. C’est une forge.Et moi, je suis le feu.Dante dort à moitié, adossé contre un mur, une jambe repliée, les bras croisés. Son manteau noir remonte sur son menton. Mais je le connais. Il ne dort jamais vraiment.Il attend. Il veille.Et moi ?Moi, je suis en guerre.DanteElle est différente.Pas brisée.Affûtée.Comme si la nuit avait brûlé tout ce