MasukÀ peine la porte en verre refermée, Emelyne, toujours à son bureau, leva les yeux au ciel et lâcha, amusée et cynique :
— Next.
Puis elle éclata d’un rire étouffé, presque nerveux, en secouant la tête.
— Des gamines qui louent leur ventre…
Elle se leva, alla fermer la porte de la salle d’attente d’un coup sec.
— Ça ne te fait pas honte, à toi ?
Romy resta plantée là, plateau vide encore dans les mains, le cœur battant à tout rompre.
Emelyne la détailla, un sourcil levé.
— Alors ? Tu trouves pas ?
— Je sais pas si elles ont besoin d’argent…
— Bah toi aussi, t’as besoin d’argent.
Emelyne croisa les bras, sarcastique.
— Pourquoi tu proposes pas tes services ? Monsieur Wright paie bien, à ce qu’on dit. Et puis…
Elle fit mine de réfléchir, fausse innocence.
— Ça te ferait une expérience. Et avoue que tu l’aimes bien, toi, le patron !
Romy rougit violemment, serra le plateau comme une bouée.
— T’es sérieuse, là ?
— Oh, allez, Romy…
Emelyne s’assit sur le coin du bureau, joueuse.
— T’es jeune, t’es en bonne santé, t’as des hanches larges… Franchement, avec le prix qu’il doit mettre, tu pourrais te payer un an de loyer d’avance. Ou alors…
Elle fit une pause, théâtrale.
— …tu pourrais enfin quitter ta boîte d’intérim.
Romy secouait la tête, les joues en feu.
— Non. Jamais. Je lui donnerai pas…
Sa voix se brisa.
— Pas mon enfant.
Emelyne sauta du bureau, soudain sérieuse. Elle lui attrapa le poignet, voix basse, urgente :
— Écoute-moi bien. Je déconne même plus, là. Wright, il est au bord du pétage de câble. Ce mec veut un héritier comme d’autres veulent une greffe de cœur. Un trophée, un nom à coller sur un dossier, un truc à montrer à ses actionnaires pour prouver qu’il est encore “dans la course”. Et quand un homme comme lui décide qu’il lui faut un enfant… il ne recule devant rien. Rien.
Elle la fixa d’un air dur.
— Et toi… t’es jeune, belle, fertile. Le combo parfait. Tu veux pas lui donner ton gamin ? Ok. Mais qui te dit qu’au bout de neuf mois, il ne voudra pas carrément de toi avec le package complet ? Hein ? Tu crois que t’es à l’abri ?
Romy avala difficilement sa salive.
— Et s’il ne veut toujours pas de moi ?
Emelyne éclata d’un rire sec, presque cruel.
— Dans ce cas… tu feras comme toutes les autres. Tu diras que ton bébé est né mort. Tu fermes la parenthèse, tu passes à autre chose. Personne n’ira vérifier. Fin de l’histoire.
Romy blêmit.
— Mais t’es monstrueuse !
— Oh arrête. Monstrueuse ? Non. Réaliste. J’aurais ton âge, j’te jure que j’aurais sauté dessus depuis longtemps. Une grossesse bien payée, un appart réglé, et une vie tranquille derrière. Toi tu paniques… moi j’appelle ça une opportunité.
Romy sentit ses jambes fléchir. Elle posa le plateau sur le coin du bureau d’Emelyne comme on pose une arme chargée : lentement, pour éviter que ça explose.
Emelyne la regardait avec cette expression qu’elle prenait parfois, mi-maternelle, mi-serpent : un mélange de tendresse et de calcul froid. Elle baissa encore la voix, presque un murmure, comme si les murs eux-mêmes pouvaient répéter.
— Écoute, ma grande. Je te dis ça parce que je t’aime bien. Vraiment. T’es pas comme les autres vacataire qui passent ici en pleurnichant pour un café renversé ou une photocopie mal agrafée. Toi, t’as du cran. Mais le cran, ça ne paie pas le loyer.
Elle jeta un œil vers la porte close du bureau de Wright, derrière laquelle on entendait vaguement la voix grave de Cillars et un rire aigu — trop aigu — de la fille au tatouage.
— Tu crois que ces gamines, là-dedans, sont des monstres ? Non. Elles sont juste fauchées. Ou paumées. Ou les deux. Elles ont vu l’annonce sur un site douteux : cent cinquante mille euros pour neuf mois de location d’utérus. Sans questions, sans paperasse, sans jugement. Wright a tout prévu : clinique privée en Roumanie, suivi anonyme, contrat blindé. Il veut un gosse, mais il veut surtout pas d’une mère qui reviendra pleurnicher dix ans plus tard avec un avocat.
Romy serrait les poings si fort que ses ongles entraient dans sa peau.
— Et toi… tu trouves ça normal ?
ROMYJe restai encore quelques secondes immobile, incapable de bouger.Comme si mes jambes avaient décidé de me lâcher sans prévenir.Mon cœur battait trop vite. Beaucoup trop vite pour une situation qui, en théorie, ne me concernait pas vraiment.Ne me concernait pas…Quelle blague.Je finis par me redresser et m’éloignai du bureau de Caleb, mes pas un peu trop rapides, presque fuyants. J’avais l’impression que tout le couloir pouvait lire sur mon visage ce qui se passait dans ma tête. Comme si c’était écrit en gros : elle hésite.— Alors ? lança Émeline dès qu’elle m’aperçut.Sa voix me ramena brutalement à la réalité. Elle était appuyée contre le comptoir, les bras croisés, ce sourire en coin que je connaissais trop bien. Celui qui voulait dire je sais… même quand elle ne savait rien.— Alors quoi ? répondis-je en haussant les épaules.Mauvaise idée. Très mauvaise idée.Elle me détailla de la tête aux pieds, lentement, comme si elle analysait une scène invisible.— T’as cette tête-
Le couloir désert s’étendait comme une faille entre deux mondes.Romy y resta adossée, le dos collé au mur froid, les doigts agrippés à la bouteille d’eau qu’Émelyne lui avait tendue. Elle ne l’avait même pas ouverte. Elle ne pouvait pas. Pas encore. Pas avant d’avoir digéré ce qui venait de se passer.Il m’a vraiment demandé ça ?La question tournait en boucle dans sa tête, obsédante, étouffante. Elle revoyait Caleb, assis derrière son bureau, les avant-bras posés sur l’acajou noir, le regard aussi froid que calculateur. Est-ce que vous accepteriez ? Pas une question. Un défi. Une provocation. Comme s’il savait déjà qu’elle était en train de se fissurer, de se laisser envahir par une idée qui n’aurait jamais dû germer.Émelyne la dévisageait, un sourcil levé, les bras croisés.— T’es écarlate. Qu’est-ce qu’il t’a fait ?Romy détourna les yeux, fixant un point invisible sur le sol.— Rien.— Ouaiiiis.Émelyne lui tendit la bouteille d’eau, mais Romy ne la prit pas tout de suite. Elle
Il soutint son regard sans la moindre hésitation, sans fléchir d’un iota. Son expression restait impassible, sérieuse, presque austère. Il ne sourit pas, ne chercha pas à adoucir l’instant par une quelconque légèreté. Il ne recula pas d’un millimètre, comme si cette conversation était la chose la plus naturelle du monde.— Pourquoi pas vous ? répondit-il enfin, en haussant très légèrement les épaules, dans un geste qui semblait dire que la réponse était évidente, presque banale. Je vous observe depuis un certain temps déjà, Romy. Je vous connais suffisamment pour savoir quel genre de femme vous êtes.Il marqua une pause délibérée, pesant chaque mot comme s’il les déposait un à un sur une balance invisible.— Équilibrée. Discrète. Intelligente. Honnête. Tout précisément ce que je recherche chez la personne qui porterait mon enfant.Elle sentit son cœur s’emballer davantage, cognant si fort contre sa poitrine qu’elle craignit un instant qu’il puisse l’entendre. Était-ce un compliment si
Caleb désigna le notaire d’un geste négligent de la main, sans même daigner le regarder directement.— J’ai ici mon ami qui me répète sans cesse que je suis complètement stupide de vouloir recourir à une mère porteuse pour avoir un enfant.Un silence lourd, presque palpable, s’installa alors dans la pièce. Romy sentit son souffle se bloquer dans sa gorge. Le notaire, visiblement surpris par cette formulation abrupte, tourna la tête vers Caleb, attendant manifestement une explication ou une précision. Mais Caleb, lui, ne quittait pas Romy des yeux. Il y avait dans son regard une intensité particulière, profonde, qui la fit frissonner malgré elle.Elle se raidit sur sa chaise, consciente que son cœur battait maintenant plus vite, plus fort. Pourquoi la fixait-il avec une telle insistance ? Qu’attendait-il d’elle exactement ?— Et vous ? demanda-t-il soudain, baissant légèrement la voix, la rendant presque intime, comme un murmure destiné à elle seule.Romy cligna des paupières, déstabil
Romy traversa le couloir d’un pas mesuré, le plateau en équilibre dans ses mains, tout en se répétant intérieurement que ce café accompagné de lait ne changerait absolument rien à la situation. Pourtant, quand le patron exprimait un désir, aussi anodin soit-il, il obtenait toujours satisfaction. C’était une règle implicite dans cette entreprise, une de ces lois non écrites que tout le monde respectait sans discuter. Elle ajusta légèrement le broc chaud contre sa paume, sentant la chaleur se diffuser à travers la porcelaine, et frappa trois coups rapides à la porte du bureau.Sans attendre une réponse explicite, elle poussa la poignée et entra. L’atmosphère de la pièce était chargée, lourde d’une conversation sérieuse. Ni Caleb ni son notaire ne relevèrent la tête à son arrivée. Ils étaient plongés dans leurs échanges, les voix basses et concentrées.— Tu es vraiment certain, Caleb, que c’est bien ce que tu souhaites ? demanda le notaire d’un ton prudent, presque hésitant.— Absolument
Emelyne haussa les épaules, l’air de dire que tout était déjà joué.— Monsieur Wright choisira la mère porteuse comme il choisit une pierre précieuse : à la loupe, en scrutant la moindre imperfection. Et il attendra d’elle la même perfection. Même s’il ne compte pas la garder… du moins, c’est ce qu’il croit.Romy sentit un frisson lui traverser la colonne.Une pierre précieuse.Un ventre à louer.Elle, dans tout ça ?Comment elle pourrait O-S-E-R aller lui proposer ça ?Se présenter devant lui en mode : Bonjour monsieur Wright, je vous ai préparé un café… et au passage, si vous cherchez un utérus, j’en ai un disponible ?Elle aurait préféré mourir de honte.Littéralement.Rien que l’idée lui donnait la nausée : franchir cette porte, soutenir son regard, imaginer prononcer ces mots absurdes, obscènes, humiliants.Elle n’était pas une pierre.Pas un objet.Pas qu’un ventre.Pas une option sur catalogue.Et jamais — jamais — elle n’irait frapper à sa porte pour ça.La seconde fille sorti







