LES HOMMES EN NOIR
Les feuilles craquaient. Un lapin fuyait à l’approche de bruits de pas précipités. La neige se mit à tomber parant la campagne d’une robe d’un blanc immaculé. Les arbres dénudés offraient à la vue du promeneur leurs silhouettes torturées, image cauchemardesque, qui s’amplifia sous l’effet de bourrasques.
Une ombre courait. Encapuchonnée dans un long vêtement détrempé, elle fuyait sous les arbres qui tendaient vers elle leurs branches dépouillées. Derrière elle, des bruits de voix… puis, montées sur de magnifiques étalons à la crinière flottant au vent, des silhouettes apparurent. Les hommes, reconnaissables à l’intonation de leur voix, gagnaient du terrain. Le fuyard chuta. Après s’être remis debout, il reprit sa course sur le sentier, pour s’apercevoir quelques instants plus tard que celui-ci débouchait au bord d’une falaise. Il se sentit acculé alors que derrière lui, des hommes encagoulés se pressaient. N’ayant d’autre alternative, il se retourna et leur fit face.
Le premier, juché sur sa monture, un gigantesque cheval à la robe sombre, s’avança. Le visage masqué d’un morceau de tissu, il était tout de noir vêtu, à l’exception d’une ceinture plus claire, à laquelle pendait une épée. Deux autres hommes aux yeux lumineux l’imitèrent.
Le fuyard rejeta la capuche de sa cape en arrière, révélant des traits masculins. La neige s’arrêta alors de tomber et le ciel, jusqu’alors nuageux, se fendit, dévoilant le soleil de la nuit, la planète Paxn, qui éclaira la scène d’une lumière blafarde. L’homme semblait assez jeune. Ses cheveux châtains encadraient un visage aux traits fins et réguliers. Il se saisit de son glaive, prêt à faire face à ses agresseurs.
Dieu merci, je suis bon bretteur, se dit-il, et je vendrai chèrement ma peau ; si je dois mourir, quelques ennemis partiront avec moi.
Un des hommes, celui qui semblait être le chef, mit pied à terre, tendant les rênes de son cheval à son compagnon le plus proche. Il s’avança. La main du jeune homme serra plus fort le pommeau de son arme.
— Attends, dit l’homme en tendant la main vers son interlocuteur en signe de paix, pourquoi se battre ? Pourquoi t’enfuir ? Je veux juste te poser une question.
— Laquelle ? demanda le fuyard sur le qui-vive.
— Nous cherchons un garçon qui doit avoir environ dix ans. Il nous a été enlevé à sa naissance.
— Comment puis-je vous aider ?
— Il a une marque de naissance et a dû être adopté.
— Je ne sais rien. Laissez-moi partir.
— Sache que pour le retrouver, nous sommes prêts à mettre le monde à feu et à sang. Et si effectivement, tu ne sais rien, alors tu ne nous es d’aucune utilité.
À présent, toute l’agressivité contenue jusque-là par l’assassin en noir était en train de ressortir, dévoilant sa vraie nature. Celle du prédateur.
— Qui êtes-vous ? demanda le jeune homme dont la panique se lisait dans ses yeux.
Il ne répondit pas et remonta à cheval avant de faire un signe de tête à son compagnon qui, à son tour, mit un pied à terre.
— J’espère que tu ne nous as pas menti. De toute façon, nous ne voulons pas de témoins de nos agissements, alors vois l’enfer que nous allons amener sur le monde.
Il ôta sa cape, dévoilant un corps musclé sur lequel était représenté un homme-oiseau brandissant la tête d’un jeune garçon, de laquelle des rigoles de sang jaillissaient, baignant le sol. Cette vision cauchemardesque démontrait au fuyard à quel point ces hommes étaient fous. Il n’y avait plus de doute, il devrait se battre.
Il serra davantage sa main sur son arme tandis que son adversaire s’approchait, menaçant. Ce dernier ôta sa cagoule, découvrant un visage d’une rare beauté dont le sourire mauvais annihilait la perfection de ses traits. Ses longs cheveux blonds voletaient au vent. Avec un rictus au coin des lèvres qui dévoila deux petites dents pointues aux extrémités de sa bouche, il s’exprima avec un léger accent :
— Il semble que ta mort soit proche.
Le garçon ne put s’empêcher de frissonner. Avec une agilité extrême, le démon sauta sur son adversaire qui para habilement le coup au cœur. La lame lui déchira la tunique, laissant une entaille dont le sang jaillit. Le combat redoubla d’intensité, mais il semblait qu’il tournât à l’avantage du démon. De la sueur perlait sur le front du jeune homme, signe indiscutable d’une fatigue qui peu à peu aurait raison de lui. Alors, il attaqua de plus belle et parvint à blesser son adversaire en lui entaillant l’épaule. Une lueur démoniaque éclaira ses yeux :
— Ah ! finalement, tu ne te débrouilles pas trop mal, pour un freluquet, mais crois-tu avoir une chance contre nous ? Quand tu seras mort, nous attaquerons ton village et tous les autres alentour.
Au rire cynique qui l’agita après cette déclaration, le garçon n’eut plus qu’une idée en tête : le faire taire pour toujours. Il fonça sur le démon l’épée en avant, mais déjà ce dernier avait anticipé : il se baissa, évitant la lame acérée qui aurait dû le transpercer et pourfendit le jeune homme. Les yeux révulsés par la douleur, ce dernier tomba à genoux. L’assassin retira son épée, tandis que le sang se déversait dans la neige qui se teinta de rouge. Le garçon porta la main à sa poitrine et regarda sa tunique couverte de sang.
— Qui êtes-vous ? gémit-il.
— La mort, dit l’un des étrangers en descendant de cheval.
Jusqu’à présent, il était resté dans l’ombre, mais maintenant, il approchait, un bâton se finissant par une tête de dragon à la main. Il était tout de noir vêtu. Ses cheveux grisonnants retombaient sur un visage allongé parcouru de mille rides. Le garçon avait les yeux rivés dans ceux de l’étrange personnage. Il souffrait atrocement, attendant qu’on l’achève. Sa vue se brouilla.
— Et maintenant, vois le pouvoir…
Il leva son bâton. La foudre se déchaîna, alors que le ciel s’était vidé de tout nuage, laissant entrevoir Paxn. Un vent se leva, violent.
–... avant de mourir.
Tous reculèrent avant que le bâton ne touchât le sol, entraînant leur victime dans la mort. L’avancée de rochers se brisa et tomba dans le gouffre. L’un des assassins se pencha et vit le corps empalé sur un pieu, déjà couvert de sang. De son ventre, il ne restait rien, sinon des morceaux de chair sanguinolente.
— Ainsi, reprit le mage sans s’émouvoir le moins du monde, notre jeune proie n’est pas à Lewan, mais alors, où peut-il bien se trouver ?
C’est sur cette réflexion que les hommes quittèrent le lieu du drame, s’enfonçant dans les bois du Dragon, puis le mage s’arrêta :
— Montons le camp ici. Demain, nous repartirons vers le nord-est pour notre cache. De là, je vous quitterai pour le Firmament.
— Quand nous reverrons-nous, maître Zelnor ?
— Quand le moment sera venu. Sans doute au printemps, ajouta-t-il. D’ici là, ne faites rien que nous pourrions regretter.
— Très bien, maître, ajouta Gnam.
PREMIÈRE PARTIE DISPARITION CHAPITRE 1 LA LÉGENDE DES AVI MAGNI Lewan, Royaume de Windbridge La flamme de la bougie commençait à vaciller. À la faible lueur qu’elle prodiguait, on voyait que la table sur laquelle celle-ci reposait était en chêne. Un homme, assez âgé, était assis sur un tabouret. Il devait avoir soixante ans, à en juger les tempes grisonnantes et le haut du crâne dégarni. Quelques rides sur son visage témoignaient du poids des années. Dans sa jeunesse, il était paysan et travaillait dans les champs sur les bords de la Niane, la rivière qui serpentait à l’est de la forêt du Dragon. Il avait cultivé du blé et des pommes de terre. Bien sûr, la vie du paysan
CHAPITRE 2ENQUÊTE Le jour suivant, le jeune garçon ne revint pas. Il avait tout simplement disparu. La ville était en émoi. Tous s’interrogeaient et des recherches avaient été organisées. Jusqu’ici, elles étaient restées infructueuses. Lewan comptait environ trente mille habitants et avait été construite à la lisière de la forêt du Dragon. Les remparts constituaient la seule protection fiable contre les attaques venues de l’extérieur et, pour beaucoup, la forêt, barrière naturelle contre le danger, était habitée par quantité d’esprits. Aussi, peu de gens osaient s’y aventurer. Les murailles étaient jointes par quatre grandes portes aux points cardinaux, qui demeuraient ouvertes en temps de paix. La guerre n’avait pas touché le royaume depuis environ huit ans, quand s’était achevée la guerre contre les Irmains
LA RÉVOLTE DESTERRES EXTRÊMESCHAPITRE 3UNE VISITE INQUIÉTANTESaint Rocher, royaume de WindbridgeSituée à deux kilomètres des côtes de la mer de l’Est, Saint Rocher était idéalement située. La proximité de la Riance permettait la distribution des récoltes par voie fluviale dans l’ensemble du royaume. Les terres fertiles autour de la cité permettaient toujours des récoltes supérieures à celles des autres cités. La prospérité de Saint Rocher tenait également à la soierie, autre pôle d’activité de la ville. La soie était obtenue à partir des hernas, petits rongeurs herbivores d’une cinquantaine de centimètres qui gambadaient dans le nord-est du royaume. La seconde ville
CHAPITRE 4 LE LAC DE L’ARC-EN-CIELLe soleil n’était pas encore levé quand elle ouvrit les yeux. Environ une demi-heure plus tard, elle passa une capeline et sortit dans le couloir. Dariann arrivait au même moment un lourd sac sur le dos. Il salua la jeune fille et lui demanda si elle avait obtenu la permission. Elle acquiesça. Ils déambulèrent dans les couloirs glacés et déserts du palais, ne rencontrant pas âme qui vive. Ils se retrouvèrent en quelques minutes dans la cour et en franchirent l’enceinte. Dans les rues de la ville, régnait une animation intense. C’était jour de marché, et déjà, les vendeurs ambulants se pressaient sur la grande place. La maison de l’oncle de Joachim se trouvait à l’entrée des faubourgs. Elle était construite en pierre de Salma, une carrière aujourd’hui désaffectée près de la crique des Pirates qui avait autrefois servi à construire environ deux tiers des habitations de la cité. La pierre était de couleur ocre, d’où le surnom donn
CHAPITRE 5 PRELUDE AU COMBAT Saint Rocher, royaume de Windbridge Dariann, Alvina et Joachim parvinrent enfin aux faubourgs de Saint Rocher. Pas un bruit, pas un badaud dans les rues alors que ces quartiers étaient réputés pour ne jamais dormir, l’animation ne s’éteignant quasiment jamais. Même les maisons de passe étaient closes. Un chat miaula. — Je ne sais pas ce qu’il se passe, dit Joachim mais je crains le pire. Ce silence n’est pas naturel. Dariann acquiesça, bien conscient que tout cela n’était pas normal. La main d’Alvina se resserra sur celle de son compagnon. — Allons chez mon oncle, proposa Joachim.
CHAPITRE 6 BATAILLE POUR LES TERRESEXTRÊMES Vers cinq heures du matin, soldats et matelots s’agitèrent. Dans deux heures, la flotte appareillerait. Dariann se leva, la mine fatiguée, les cheveux quelque peu ébouriffés et les membres engourdis après une nuit beaucoup trop courte. Il prit soin de ne pas réveiller sa compagne et après une toilette sommaire, il s’était métamorphosé. Alvina lui prit la main. Surpris, il lui dit gentiment : — Rendors-toi — Je veux t’accompagner. N’en ai-je pas le droit ?
CHAPITRE 7 LA CLÉMENCE DU ROI Le navire réquisitionné par Hector voguait en direction de Brewan. L’Allion avait subi de trop nombreuses avaries : la coque prenait l’eau et deux mâts s’étaient rompus. Les navires endommagés étaient remorqués jusqu’à l’île d’Ent, située à quelques milles du lieu de la bataille. Là, ils étaient confiés à Erbert et à son équipe. Erbert était un colosse qui avait travaillé sur de nombreux chantiers et arsenaux à travers le monde. Depuis quelques années, le royaume de Windbridge avait passé un contrat avec lui et son équipe. Tous les ans, trente bâtiments sortaient de ses entrepôts. Aujourd’hui, le travail serait différent. Cinquante navires à calfater, remâter ! *** Le Colonel, bâtiment appartenant à la flotte de Port de l’E
TROISIÈME PARTIELE DANGER IRMAINCHAPITRE 8ARRIVÉE A MOLNARA quelques encablures de Molnar, quatre jours après la batailleLa flotte d’Alpèche naviguait depuis quarante-huit heures. L’état de Dariann était stationnaire. Le garçon était toujours inconscient.Raghal scrutait l’horizon. Peu à peu, une nappe de brume recouvrit la mer, enveloppant tout ce qui se trouvait sur son passage. Il allait rentrer dans sa cabine quant un matelot vint à sa rencontre.— Venez vite, je crois que le mal du garçon empire. Il a de la fièvre et délire.— Nous ne pouvons faire grand-chose. Dans la soirée, nou