Joachim suivit sa mère des yeux jusqu’à ce que cette dernière disparaisse dans le hall d’entrée avec le reste du groupe. Son attitude le désorientait. Walina l’avait habitué à ses façons distantes en public, mais pas à une telle indifférence lorsqu’il faisait appel à elle.
Depuis son adoption, elle avait toujours manifesté à son égard une corde sensible, dont il usait et abusait régulièrement pour se faire pardonner ses frasques. Or là, elle venait purement et simplement de lui tourner le dos en négligeant sa question muette.
À ses côtés, Aëlwenn et Pierre conservaient un silence inquiétant. Plus les secondes passaient, et plus il devenait évident qu’ils attendaient que l’immense pièce soit vide avant de l’entretenir. Pour une des rares fois de sa vie, Joachim était incertain sur la conduite à tenir. Il plaqua néanmoins un masque d’innocence sur son visage lorsqu’il leur fit face.
&nbs
« Ne jamais sous-estimer la force d’une Fée en colère », nota Joachim, à demi assommé par la brutalité du choc. La rapidité des mouvements de son ancienne maîtresse l’émerveillait, même s’il se serait passé de devenir sa cible. Les doigts largement écartés, sa belle écrasaient sa poitrine d’un étau invisible, alors que sa paume demeurait à une bonne vingtaine de centimètres de son pourpoint. Plus inquiétante, une boule de givre aux petites aspérités acérées comme du verre venait de se former dans son autre main. Celle-ci se positionnait dangereusement près de sa gorge et un froid mordant le glaçait. Immobilisé, menacé, et proche de claquer des dents, le jeune Mage n’en menait pas large. Réagir de façon similaire était totalement déconseillé. Il ne faisait pas le poids. Il ne lui restait plus que la parole pour répliquer, mais Aëlwenn le clouait contre la pierre en lui coupant le souff
Les deux hommes se jetèrent un regard aussi circonspect que contrarié. Devant leurs mines déconfites, Aëlwenn eut un sourire à la fois désolé et amusé. — C’est absolument indispensable ? s’enquit Joachim, en toisant son rival d’un œil hostile. Il espérait que son animosité découragerait la Fée de Noël, mais à sa grande déception, celle-ci ne se fâcha pas. — La façon dont je viens de me comporter avec toi ne me laisse pas le choix, Joachim. Si tu souhaites arriver vivant jusqu’à Sylfinata, il va falloir te plier à l’autorité de Pierre. Rassure-toi, sa fonction de Passeur le rend totalement fiable pour cette mission. Il a acquis l’expérience nécessaire à mes côtés pour voyager en Féérie, et il se montre plutôt doué. Quoi que tu en penses. — Et tu ne redoutes pas que je le transforme en grenouille ? la provoqua-t-il d’un air acide. &
Cela faisait maintenant trois jours que Kalinda filait Pierre et ses compagnons. Sitôt les faubourgs de la ville franchis, elle avait ôté la longue chasuble couleur de miel qui dissimulait ses vêtements passe-muraille. Sanglée dans son costume gris, elle retrouvait avec bonheur une liberté de mouvement bien utile pour se mettre à couvert à la moindre alerte. Elle demeurait à distance, mais l’instinct, ou la force de l’expérience, poussait le mage blanc à se retourner régulièrement. Moins pointilleux pour surveiller le terrain, le Passeur avançait à travers la forêt d’un bon pas. Il semblait soucieux de rejoindre rapidement sa destination, ce qui avantageait Kalinda. Son prisonnier le suivait avec une bonne volonté évidente, sans doute conscient que de sa collaboration dépendait le retrait de l’anneau et l’annulation du sort rattaché à celui-ci. Fermant la marche,
Pierre et Joachim s’engagèrent sur ce pont improvisé sans paraître se soucier du risque. Anaël s’assura que les pierres conservaient leur équilibre, puis il s’avança à son tour. Ce fut le moment que choisit une énorme masse sombre pour émerger des profondeurs derrière eux. La jeune femme fut la seule à la voir. En reconnaissant la carapace d’une tortue géante, elle se surprit à pousser un soupir de soulagement. Ces animaux aquatiques étaient inoffensifs. Sans doute alerté par les clapotis, le jeune Fée se retourna. Au même instant, la tortue se mit en mouvement. Habituée à nager librement dans la rivière, elle n’aperçut l’obstacle dressé sur sa route qu’au dernier moment. Peu agile et embarrassée par sa grande taille, elle ne put éviter de bousculer le fragile chemin de pierre. Le choc ébranla rudement la partie sur laquelle se trouvait Anaël. Déséquilibré, cel
De l’autre côté de la rivière, Kalinda contemplait le grand feu avec autant de fatalisme que d’irritation. Les nuits étaient douces en Féérie, et contrairement aux deux baigneurs malencontreux, elle ne redoutait pas de prendre froid. Mais si elle ne voulait pas rater le départ de ses ennemis, elle allait devoir rester éveillée. Les soirs précédents, elle avait pu les approcher suffisamment pour dormir quelques heures en toute quiétude. Sa formation lui avait appris à mobiliser son subconscient pour se protéger de tous risques d’intrusion dans un périmètre immédiat. Elle se réveillait donc automatiquement lorsque l’un d’entre eux émergeait du pays des rêves. Il était malheureusement impossible qu’elle se serve de son sixième sens aussi loin. Fatiguée, elle se laissa glisser au pied du tronc moussu près duquel elle se tenait. La solitude commençait à lui peser. Ce pistage l’amusait, mais elle re
Cela faisait maintenant quatre jours que Kalinda avait rejoint le groupe. Ses adversaires conservaient constamment un œil sur elle, mais elle progressait libre de toute entrave. Le sort lié à l’anneau était le meilleur garant de sa bonne conduite. Tant qu’elle le porterait, tous la jugeaient suffisamment intelligente pour ne rien tenter. Ensuite, ils aviseraient. Consciente que sa soumission endormait leur méfiance, la jeune femme montrait profil bas. L’idée que Némor veillait sur elle de loin la rassurait. La nuit précédente, la chauve-souris s’était assez rapprochée pour qu’elle puisse l’apercevoir. Discrètement, elle avait salué son amie sans que personne ne se doute de rien. À son grand soulagement, ils avaient fini par sortir de la forêt. Leur voyage se poursuivait depuis sur les premiers contreforts de la Montagne Blanche, à travers une succession de vastes prairies verdoyantes parsemées
Joachim accusa le choc sans rien dire. La Fée de Noël pensait-elle réellement cela de lui ? Son peu d’estime le peinait sincèrement. Il reprit sa route en tentant de faire abstraction du visage hilare de Kalinda. Elle venait indéniablement de marquer un point et il ne tenait pas à valider sa victoire. Il devait se ressaisir. Généralement, il conservait pourtant son sang-froid. Cette longue quête commençait cependant à peser dangereusement sur le masque de nonchalance insensible dont il s’affublait. Silencieux et troublé, Anaël marchait à ses côtés. Cet accrochage semblait avoir effacé en partie sa fatigue. Il avançait en faisant attention où il posait les pieds, mais la fréquence des regards en coin qu’il lui jetait trahissait son état d’esprit. Joachim se crispa. Imaginer que ce gamin pouvait également éprouver de la pitié pour lui était au-dessus de ses forces. — Vous ne devriez pas prendre
Exposant pour la première fois sa fatigue, Joachim s’assit avec lassitude sur un affleurement rocheux avant de s’informer d’un ton irrité : — Tu comptes encore nous faire crapahuter longtemps ? — Mal au pied ? le brocarda son rival. L’arrivée d’Anaël épargna au Mage Blanc de répondre. Harassé, le jeune Fée s’effondra sur le sol au pied du Passeur. — Nous y sommes presque, le conforta Pierre. Mais le soir tombe. S’engager de nuit sur la dernière partie du chemin ne serait pas prudent. Nous repartirons demain matin. En attendant, un peu de nourriture et du repos ne seront pas de trop. Malgré sa fatigue, Anaël se redressa. Comme pour chaque repas, il fit apparaître une nappe couverte des mets les plus fins. Directement issue des cuisines de l’Académie de Magie des Fées, la nourriture dégage