En rentrant chez lui ce soir-là, Viel se sentait un peu vidé. La journée avait été longue, et bien qu’il fût satisfait du projet qu’il avait présenté, il n’arrivait pas à se débarrasser du poids qui pesait sur lui. Alors qu’il fermait la porte de son appartement et déposait son sac, son téléphone vibra dans sa poche. Il sortit l’appareil et vit le nom de sa mère s’afficher sur l’écran. Un soupir échappa à ses lèvres.
Il n’était pas étonné de recevoir un appel de sa mère. Celle-ci avait toujours été présente dans sa vie, même si la distance entre eux s’était accrue au fil des années. Elle vivait dans une ville un peu plus éloignée, avec son mari, et les visites devenaient de plus en plus rares. Les conversations téléphoniques, elles, étaient plutôt fréquentes. Mais ce soir-là, il sentait que quelque chose n’allait pas. Il répondit au téléphone, tentant de dissimuler sa fatigue dans sa voix. — Allô, maman ? La voix de sa mère, tremblante, se fit entendre de l’autre côté du fil. — Viel, mon fils… je suis désolée de t’embêter, mais il n’y a plus rien à manger à la maison. On a vidé tout ce qu’on avait. Je ne sais pas comment on va faire pour le reste de la semaine. Viel sentit son cœur se serrer. C’était assez courant qu’elle l’appelle pour ce genre de choses, mais ce soir-là, il ne pouvait pas ignorer cette demande. Il savait que sa mère n’osait pas trop lui demander d’aide financière, et que les circonstances ne s’amélioraient pas avec le temps. Son père était malade, et les revenus de la maison étaient de plus en plus incertains. Viel avait toujours essayé de les soutenir autant qu’il le pouvait, même si son salaire d’étudiant ne lui permettait pas d’être aussi généreux qu’il le souhaitait. — Je vais t’envoyer un peu d’argent tout de suite, maman, lui répondit-il, son ton se faisant plus ferme. Et… je passerai vous voir ce week-end, d’accord ? Il faut que je m’organise un peu, mais j’arriverai. Il entendit un léger souffle de soulagement dans la voix de sa mère. — Oh, mon fils, tu es un ange. Merci… merci infiniment. C’est vraiment gentil de ta part. Viel détourna le regard, son regard se posant un instant sur l’appartement modeste qui l’entourait. Il était difficile de tout concilier, entre ses études, son stage, et les demandes de sa famille. Mais il n’y avait pas vraiment de choix. Après tout, c’était la famille. Il n’aurait jamais pu les laisser dans le besoin. — Ne t’en fais pas, maman. Je vais m’occuper de ça tout de suite, répondit-il. Et je viendrai vous voir, comme promis. Ils échangèrent quelques mots supplémentaires avant de raccrocher. Viel se laissa tomber sur le canapé, fixant l’écran de son téléphone quelques instants. Il n’avait pas le luxe de ne pas y penser. Il savait qu’il devrait jongler entre ses responsabilités professionnelles et personnelles, et même s’il se sentait épuisé, il n’avait pas l’intention de laisser sa famille se débrouiller seule. Il prit une grande inspiration avant de sortir son portefeuille et de procéder à un virement bancaire. L’argent qu’il enverrait ne résoudrait pas tous leurs problèmes, mais au moins cela pourrait leur permettre de tenir un peu plus longtemps. Il envoya la somme qu’il pouvait se permettre sans compromettre ses propres finances, et se promit de trouver une manière d’aider davantage, même si cela signifiait travailler plus dur. Le geste accompli, Viel se leva et alla dans la cuisine. Il ouvrit les placards vides de son appartement. Lui aussi se retrouvait souvent à gérer des fins de mois difficiles, et ce soir-là, les placards vides lui semblaient étrangement familiers. Il n’y avait rien à manger, à part quelques restes dans le réfrigérateur, des boîtes de conserve qu’il n’osait pas ouvrir. Il se contenta d’une tasse de thé avant de retourner dans le salon. Il avait besoin de se détendre un peu, de mettre de l’ordre dans ses pensées. Il savait qu’il devrait bientôt se rendre à la banque pour discuter de l’avenir avec ses responsables. Ce stage touchait à sa fin, et il avait encore beaucoup de questions sans réponse. Mais, en attendant, il se concentrait sur ce qui était le plus important pour lui en ce moment : sa famille. Il avait promis de les voir ce week-end. Et cette promesse, il comptait bien la tenir. Il s’allongea sur le canapé, les yeux fermés, essayant de trouver un peu de paix intérieure avant le chaos qui l’attendait. Les heures passèrent lentement, et Viel se laissa emporter par le silence, sachant qu’il avait encore beaucoup de choses à accomplir avant de pouvoir respirer. Mais pour l’instant, il savait qu’il faisait ce qu’il fallait. Alors qu’il était allongé sur le canapé, l’esprit de Viel commença à vagabonder, dérivant dans des pensées sombres et inévitables. Le silence autour de lui semblait amplifié par le tourbillon de ses pensées. Il ferma les yeux un instant, cherchant à apaiser la lourdeur qui pesait sur son cœur. Mais, comme toujours, ses réflexions le ramenèrent à ce qui le tourmentait depuis des années : sa condition, sa malédiction silencieuse. Il se demanda, comme il le faisait souvent dans les moments de solitude, pourquoi ses parents ne l’avaient pas fait opérer à la naissance. Pourquoi n’avaient-ils pas pris la décision d’enlever la partie de lui qui le condamnait à vivre ainsi, entre deux mondes, sans jamais appartenir à l’un ou à l’autre ? Pourquoi avaient-ils permis qu’il grandisse ainsi, avec ce corps qui ne correspondait à aucune norme, à aucune attente ? Il se souvenait de la première fois où il avait compris qu’il n’était pas comme les autres enfants, que quelque chose n’allait pas. Il avait essayé de poser des questions à sa mère, enfant, mais les réponses qu’elle lui donnait étaient toujours vagues, comme si elle aussi avait peur de ce qu’il était. « Pourquoi, maman ? » murmurait-il en se tournant dans le canapé, comme si cette question pouvait trouver une réponse dans l’air silencieux autour de lui. Pourquoi ne l’avaient-ils pas aidé à être « normal » comme les autres ? Pourquoi l’avaient-ils laissé vivre avec cette honte qui l’accompagnait à chaque instant de sa vie ?Viel déglutit difficilement. Les mots de Maxime étaient à la fois un soulagement et un fardeau. Être soi-même. Il n’avait pas encore décidé ce que cela signifiait vraiment pour lui. Il avait l’impression de naviguer dans un océan d’incertitudes, cherchant des repères, mais les vagues semblaient toujours plus fortes à chaque fois qu’il pensait avoir trouvé une solution.Maxime se leva pour servir un peu plus de vin. Quand il revint, il s’assit près de lui, un peu plus près que nécessaire, mais sans être envahissant.— C’est bizarre, tu sais, dit Maxime en souriant légèrement. Tu es quelqu’un de complexe. Tu caches beaucoup de choses derrière ce que tu laisses paraître, mais je crois que ça te rend encore plus intéressant.Viel baissa les yeux, sentant une chaleur envahir ses joues. Il n’avait pas l’habitude de recevoir des compliments de cette nature, surtout venant de quelqu’un comme Maxime. Il aurait pu l’envoyer balader, jouer à l’indifférent, mais au lieu de ça, il resta là, immobi
T’es venu, dit-il simplement.— Tu m’as demandé.Maxime hocha la tête et fit un pas de côté pour le laisser entrer.— Bienvenue chez moi.L’intérieur était aussi impressionnant que l’extérieur. Un mélange de modernité et de bois massif, de grandes baies vitrées, des tableaux abstraits sur les murs, un immense canapé en cuir au centre du salon. Maxime ne dit rien, le laissant découvrir. Viel ne savait pas quoi penser. Il se sentait minuscule dans ce lieu qui respirait l’opulence. Ce n’était pas juste une maison, c’était un manoir. Une maison de film.— Tu vis ici… seul ? demanda-t-il.— Oui. Hérité de mes parents. J’ai fait quelques rénovations, mais elle reste ce qu’elle est.Il lui fit signe de s’asseoir et disparut un instant pour revenir avec deux verres et une bouteille de vin. Viel l’observa en silence. Maxime semblait plus calme ce soir, moins arrogant, moins dur. Il versa le vin et lui tendit un verre.— Je voulais te parler. De… tout ça.Viel resta silencieux. Il ne savait pas
Viel était installé dans le cabinet, face à Docteur Dio les mains posées sur ses genoux. Le médecin le regardait attentivement, une expression professionnelle mais inquiète sur le visage. — Alors Viel, commença le médecin en observant son dossier, parlons de ce qui s’est passé. Peux-tu me dire ce que tu as ressenti pendant l’acte ? Viel baissa les yeux, cherchant ses mots. C’était un moment étrange, presque déstabilisant. Il n’était pas habitué à être aussi ouvert à propos de ses émotions. Pourtant, il savait qu’il devait répondre sincèrement. — Je… je me suis senti bien, je pense. Comme si… j’étais accepté. Comme si je n’étais pas en conflit avec moi-même pour une fois. Le médecin hocha la tête, prenant des notes. — Et concernant l’orgasme ? demanda-t-il, une légère insistance dans la voix. Viel rougit un peu avant de répondre. — Oui. J’ai… joui. Mais, mon pénis n’a pas changé de forme, il était toujours couché, même quand j’étais excité. Le silence s’installa un inst
Il la regarda, les yeux brillants.— Je ne veux pas qu’on me définisse par mon corps, Martine. Je veux être Viel. Pas un genre. Pas une étiquette. Juste… moi.Elle lui sourit, les larmes aux yeux.— Et tu y as droit. Et je serai là pour te le rappeler autant de fois qu’il le faudra.Ils restèrent là, dans ce silence plein de compréhension. Et pour la première fois depuis des jours, Viel sentit son cœur un peu plus léger.La journée avait commencé normalement. Viel, chemise soigneusement repassée et pantalon bien ajusté, avait pris place à son bureau avec une concentration quasi mécanique. Les heures défilaient, les mails s’enchaînaient, et il s’efforçait de garder son esprit focalisé sur ses tâches. Mais à peine avait-il terminé de répondre à une demande de financement qu’il sentit son téléphone vibrer dans sa poche.Il jeta un coup d’œil : un message d’Élisabeth.« Dis-moi, tu étais à la maison dimanche ? »Il sursauta légèrement. Il n’avait pas prévu d’en parler avec elle. Il hésita
Il fit quelques pas vers la porte. Juste avant de l’ouvrir, il se retourna :— Si tu crois que je fais ça pour jouer… tu te trompes.Et il disparut, laissant Viel seul dans un salon devenu trop silencieux.Viel resta immobile un moment. Son cœur battait encore à vive allure. Il s’assit lentement, les mains tremblantes. Il fixait un point invisible, perdu dans ses pensées.Pourquoi tout devenait-il aussi confus ?Viel se laissa tomber sur le canapé, la tête entre les mains. Son cœur battait encore de cette drôle de cadence qu’il n’arrivait pas à calmer. La scène de tout à l’heure repassait en boucle dans son esprit. Les lèvres de Maxime, sa main sur sa nuque, le regard intense… puis son départ précipité.Il soupira profondément.Mais pour qui il se prenait au juste ?Entrer chez lui sans prévenir. Sans autorisation. Comme si c’était normal. Comme si… comme s’il avait un droit sur lui.Non. C’était trop.Il attrapa son téléphone, les doigts tremblants, et appela Martine. Il avait be
Viel resta debout un long moment, les bras croisés sur la poitrine, le regard perdu. Il repensait à ses mots. « Sans masque. Sans filtres. » Pouvait-il réellement lui montrer tout de lui ? Même la partie qu’il refusait encore de comprendre lui-même ?Il retourna dans son bureau, mais l’esprit n’y était plus.Il s’en voulait. Il se haïssait presque d’avoir aimé ça. D’avoir ressenti quelque chose de fort, presque irrépressible. Lui qui avait toujours fui les regards insistants, les mains trop curieuses, avait cédé, s’était laissé aller… et pire encore : il y pensait encore.Il se leva difficilement, prit une douche rapide et s’habilla pour aller travailler. Premier jour officiel. Il devait garder la tête froide.Il attrapa son sac, rangea rapidement quelques papiers, puis sortit. Dans le taxi, il regardait les rues défiler, comme s’il cherchait à s’éloigner de ses pensées. Il se répétait sans cesse :« C’est rien, c’est passé. C’était un accident. C’est Maxime, le frère d’Elisabeth. Ça