Chapitre 5

Point de vue d'Émilie

Louis était parti chercher à manger à la cafétéria de l'hôpital. Je me retrouvais seule à tripoter mes doigts, avec les yeux rivés sur la perfusion dans ma main, comme si elle détenait par magie toutes les réponses à mes soucis.

J'ai sursauté quand Dr Arnaud est entrée dans la chambre. Elle s'était montrée si bienveillante envers moi et je me sentais mal de m'être montrée si distante avec elle.

« Salut, Émilie. Comment te sens-tu ? »

J'ai esquissé un sourire et l'ai regardée dans les yeux en répondant : « Ça va mieux. Tu as les résultats des analyses ? »

Elle a hoché la tête, et son expression réjouie m'a déconcertée jusqu'à ce qu'elle annonce : « Félicitations, tu attends un bébé ! »

Bébé. Je suis enceinte.

Mon cœur s'est accéléré sous l'effet d'émotions contradictoires que je n'arrivais pas à maîtriser : de la peur, de l'incertitude, mais étrangement aussi une trace de joie inattendue.

« Où est Louis ? Il sera tellement heureux d'apprendre... »

« Ne lui dis rien ! », ai-je lancé brusquement. Devant son expression choquée, je me suis excusée. « Pardon. Mais s'il te plaît, ne lui en parle pas. »

Jenna m'a regardée avec inquiétude. « Bien sûr, Émilie. Ce que tu souhaites garder confidentiel le restera. » Puis elle a baissé la voix en se penchant vers moi : « Mais y a-t-il quelque chose qui ne va pas à la maison... ? »

J'ai rougi en secouant la tête. Ce n'était pas ce qu'elle imaginait. Louis ne me maltraitait pas. Mais il m'avait peut-être trompée, alors lui annoncer ma grossesse maintenant ne ferait qu'ajouter une nouvelle couche de chaos.

J'ai remercié Jenna, et elle a quitté la pièce à contrecœur en m'informant que je pourrais sortir le lendemain matin. Puis je me suis retrouvée seule après qu'une bombe venait d'être larguée sur mes genoux.

J'avais toujours rêvé d'être mère. Et j'avais imaginé ce moment comme un instant de fête, avec Louis à mes côtés. Mais comment partager cela avec lui, alors que notre mariage ne tenait qu'à un fil ?

Mon portable a vibré dans ma main. J'ai dégluti péniblement avant d'oser regarder l'identité de l'appelant. Puis je me suis détendue. Ce n'était que Maya.

« Allô. », ai-je répondu doucement.

« J'ai appris que tu étais à l'hôpital, ça va ? »

« Ça va. », ai-je dit. « Juste un petit malaise. Une baisse de glycémie. »

J'ai entendu le tintement de ses boucles d'oreilles tandis qu'elle acquiesçait. « D'accord, d'accord. » Je ne m'attendais pas, cependant, à ce que sa voix baisse et que le doute s'y glisse. « Dis, tu seras libre demain après-midi ? Il faut que je te parle de quelque chose. »

L'anxiété dans sa voix m'inquiétait, alors j'ai supposé que c'était important. Peut-être qu'elle allait enfin épouser son petit ami de longue date. J'ai souri en commençant déjà à réfléchir aux cadeaux de mariage. Je pourrais peut-être aussi confier tout ce désordre à Maya demain. Elle saurait quoi faire.

Maya et moi étions meilleures amies depuis toujours. Jamais l'une loin de l'autre, nous étions pratiquement inséparables. Mais peu après notre mariage, Louis a commencé à s'énerver de voir Maya et moi passer autant de temps ensemble. Il semblait profondément perturbé par sa présence, malgré qu'il lui ait offert un poste de secrétaire. Sa colère à ce sujet m'effrayait. Surtout depuis que...

J'étais allée acheter des cadeaux pour l'anniversaire de Maya. Louis était furieux, exigeant que je les rende, car c'était « son argent ». J'ai refusé, le traitant de ridicule. Et puis il... il m'a forcée. Il m'a brutalement embrassée et contrainte à avoir le sexe malgré mes protestations. C'était horrible, mais je n'avais rien fait depuis lors.

J'ai dégluti péniblement à ce souvenir. Puis j'ai secoué la tête pour me reconcentrer sur la conversation en cours.

« Oui, je suis libre. », ai-je répondu. « Retrouvons-nous au café habituel. »

Le lendemain est vite arrivé, et je me suis retrouvée assise face à Maya au café. D'habitude, j'arrivais à me détendre avec elle, mais elle semblait si nerveuse que ça me mettait mal à l'aise.

« J'ai une nouvelle. », a-t-elle dit en tortillant ses mains sur ses genoux.

J'ai souri, prête à la féliciter. « Tu vas te marier ? »

Elle a secoué la tête. Elle a pris une profonde inspiration. Puis elle a dit : « Je suis enceinte. »

J'ai été momentanément stupéfaite. Le timing ne pouvait pas être plus bizarre. Néanmoins, j'ai élargi mon sourire. « C'est merveilleux ! Je suis si heureuse pour... »

Maya m'a coupé la parole en attrapant ma main fermement. J'ai été choquée de voir des larmes perler dans ses yeux.

« Je suis désolée, Émilie. », a-t-elle murmuré. « Louis est le père. »

Je me suis figée. Mon souffle s'est bloqué dans ma gorge. « ...Quoi ? »

Maya s'est effondrée, sanglotant de façon incontrôlable tandis que son étreinte se resserrait douloureusement autour de ma main. « Oh mon Dieu, je suis tellement désolée. Je sais que j'ai tout gâché. C'est entièrement ma faute ! »

Louis et Maya ? Ma meilleure amie et mon mari ?

Tout cela ressemblait à un mauvais rêve. Pendant un instant, j'étais certaine que j'allais me réveiller dans mon lit avec Louis à mes côtés, avec le réconfort de savoir que rien de tout cela n'avait été réel. Mais j'ai vite réalisé que tout était bien trop réel.

Ma vision s'est brouillée tandis que les larmes me montaient aux yeux. J'ai retiré ma main de celle de Maya, et je me suis aperçue que je ne pouvais pas m'empêcher de trembler.

J'ai essayé de parler, essayé de sortir n'importe quels mots. « Tu... Je... »

Je me suis interrompue dans un hoquet quand Maya s'est soudainement giflée. « C'est entièrement ma faute ! Tout est ma faute ! », a-t-elle crié. Les gens autour de nous nous dévisageaient. Quand ma vie était-elle devenue un spectacle ?

Elle a tenté d'attraper ma main à nouveau, mais j'ai reculé. Puis, son visage a pris une expression implorante, et elle a supplié : « S'il te plaît, divorce de Louis. J'ai besoin de lui dans ma vie. Laisse-le partir. Pour le bien du bébé. »

Si c'était possible, j'étais encore plus choquée.

Comment pouvais-je digérer tout ça ? Était-ce une blague ?

J'ai regardé autour de moi, cherchant des caméras, mais je n'ai vu que les regards accusateurs des inconnus.

« Mais », ai-je dit d'une voix étonnamment douce, « Louis n'a aucun sentiment pour toi. »

J'ai remarqué que les yeux de Maya se sont brièvement durcis, mais ensuite, la tristesse est revenue en force sur son visage. « Oh, Émilie, ne dis pas ça. Surtout que c'est grâce à toi que Louis et moi nous sommes rencontrés. » Elle a posé une main sur son ventre, et j'ai eu la nausée. « Sans toi, je n'aurais jamais eu ce miracle. »

J'ai tressailli en serrant mes mains tremblantes. J'ai résisté à l'envie de toucher mon propre ventre, où reposait mon propre « miracle ».

« S'il te plaît, laisse partir Louis pour qu'il puisse être avec moi. Mon enfant en a autant besoin que moi. », a imploré Maya.