Les chuchotements s’élèvent de plus en plus fort autour de moi, et malgré que nous soyons très peu, ce brouhaha désorganisé forme un écho désagréable sous le haut plafond.
– Ne vous en faites pas, ajoute Lorenzo en mettant fin à l’agitation causée par sa suggestion. Rien n’est acté pour le moment. La décision sera soumise au vote une autre fois. Nous aurons l’occasion d’en reparler d’ici là, mais je vous demande d’y réfléchir sérieusement et d’envisager cette possibilité. Ça ferait de nous une coalition de meutes plus unie encore, s’ils nous rejoignaient. Les quelques récalcitrants qui ont du mal à envisager que la guerre est finie au sein de notre espèce se calmeraient d’autant plus.
Le sujet clos, Brice – le père de Lorenzo et son prédécesseur à la tête de notre meute – nous relance sur le sujet principal pour lequel nous sommes réunis aujourd’hui.
– Je pense qu’il est important de changer les idées des nouveaux arrivants, histoire de leur montrer qu’en dépit du drame qui les a touchés, nous sommes disposés à mettre tous les moyens en œuvre pour les aider à surmonter cette épreuve. Il faut leur rappeler que la vie continue et, aussi tragiques qu’aient été les événements qui les ont menés jusqu’à nous, elle peut encore être merveilleuse.
– Oui, confirme l’alpha. Je voulais organiser un feu de camp, mais ma femme m’a fait remarquer que ce n’était pas vraiment adapté au vu de la situation.
– Cette petite m’étonnera toujours par sa délicatesse, sourit Brice.
La première fois que j’ai rencontré Ella, je m’étais si mal comporté avec elle que Lorenzo et moi nous étions battus à travers le village. Et plutôt que de se réjouir de semer la zizanie dans notre groupe, comme je pensais qu’elle le ferait, elle a empêché Lorenzo de m’attaquer au moment où il s’apprêtait clairement à prendre le dessus de notre affrontement. Je ne l’ai jamais remerciée pour ça, mais sans son intervention, je me serais sans aucun doute mangé la raclée du siècle.
Aujourd’hui, quand j’y repense, j’en ai honte, et il m’est plus facile d’éluder ce souvenir plutôt que de l’assumer ! Sans compter que les conséquences de cette rencontre désastreuse ont failli impacter ma relation avec Carole. Mais je ne peux m’en prendre qu’à moi-même étant donné que je suis tombé amoureux de sa meilleure amie. Une humaine. Moi qui dénigrais ouvertement leur espèce, qui la considérais comme inférieure par rapport aux loups-garous, je me suis senti bien bête lorsque mon cœur a flanché pour l’une d’entre eux.
– Ils n’ont sûrement pas la tête à célébrer quoi que ce soit, reprend Lorenzo, mais je tiens à marquer le coup quand même. Ce sera l’occasion, pour nous, de leur témoigner notre soutien. Un buffet sera organisé dans la salle de réception, histoire que les meutes se mélangent et qu’ils puissent faire notre connaissance sans aucune pression. On ne fera rien d’extravagant. Ce sera sobre. Ces gens sont en deuil et je ne voudrais pas leur manquer de respect. Ella a déjà tout préparé. Mason, tu pourras t’occuper de l’installation avec Carole ? Ella vous dira quoi faire.
– Bien sûr. Et en parlant de Carole, dès qu’elle a appris la nouvelle, elle s’est immédiatement mise en tête de sculpter quelque chose. Une sorte de mémorial où ils pourront graver les noms de leurs disparus afin de ne jamais les oublier. J’ai essayé de l’en dissuader, parce qu’il est peut-être un peu tôt pour leur proposer de faire ça, mais elle n’en a pas démordu. Je lui ai dit que j’en parlerai au Conseil pour savoir si elle doit leur présenter ou non…
Lorenzo hausse les sourcils et entrouvre la bouche d’un air surpris face à l’implication de ma petite amie. Sur le moment, je crains qu’elle ne l’ait froissé d’avoir pris les devants, mais il affiche finalement un sourire triste tout en hochant la tête.
– C’est une très belle initiative. Tu sais quand elle l’aura terminé ?
– Eh bien, elle travaille dessus jour et nuit pour qu’il soit prêt à leur arrivée.
– D’accord. Si elle y arrive, on le leur présentera demain au milieu de la soirée, comme ça, ceux qui voudront aller se reposer après ne seront pas retenus.
Je hoche la tête, à la fois soulagé et fier de ma petite amie. Ça faisait un moment qu’elle n’avait rien sculpté. Je suis content qu’elle ait trouvé un projet qui l’anime et lui permette de renouer avec sa passion, bien que je sois désolé qu’il ait fallu de tels événements pour qu’elle retrouve sa motivation. J’ai toujours l’impression de l’empêcher de s’épanouir, et je n’ai pas envie d’être responsable de ça…
Quand Ella s’est mariée, Carole n’a pas voulu retourner en Écosse, où elle vivait avec ses parents. Peut-être était-ce pour ne pas abandonner sa meilleure amie après tout ce qu’elle avait traversé ? Ou peut-être que c’était aussi parce qu’elle était curieuse de voir où mènerait notre relation ? Quoi qu’il en soit, elle a laissé toute sa vie derrière elle pour vivre à nos côtés. À mes côtés.
Mais il arrive que j’en vienne à me demander si ça lui est suffisant. Si je lui suffis. J’aimerais être sûr d’illuminer son existence, de la rendre heureuse. Je sais qu’elle m’aime, mais… Depuis le jour où j’ai fait sa connaissance, je n’ai jamais pu envisager mon avenir sans elle, et pourtant, j’ai quand même l’impression que quelque chose n’est pas à sa place, qu’il y a une pièce manquante quelque part. Et je prie pour me délester bientôt de cette sensation désagréable.
D’un mouvement de la tête, il m’invite à regarder Carole, toujours de l’autre côté du cercle. Jake Miller se dirige vers elle sous ses yeux pétillants. J’ignore si elle a décidé de revenir définitivement dans la meute, mais une chose est sûre : elle est heureuse d’être là, avec ses amis. Sa famille. Je ne suis même pas sûre qu’elle en ait conscience.Elle serre Jake dans ses bras, mais pas comme on le ferait avec un simple ami. Pas comme si Mason avait creusé un trou béant de tristesse et de solitude à cause de son absence. Mais plutôt comme si retrouver Jake lui provoquait un profond soulagement. Et je le sais, car j’ai l’impression de me voir il y a quelques minutes avec Mason.Si Carole et Jake n’en sont pas à s’avouer leurs sentiments naissants, il est tout de même certain qu’ils en ont.– Bien, lance Lorenzo d’une voix puissante qui résonne parmi la foule. Puisque nous sommes tous là, ou presque, commençons.Les chuchotements s’essoufflent au point de plonger le village dans un s
– Mes affaires.– Pourquoi ? demande-t-il avant même que l’écho de mes mots ne se soit essoufflé.– Eh bien… Je me suis dit que ce serait déplacé de rester ici avec Carole à côté… Je ne voudrais pas créer un malaise…Il fronce les sourcils, l’air de réfléchir à ce qui aurait pu me faire penser ça, puis son regard revient percuter mes iris.– Je t’ai dit que tu étais ici chez toi et que tu pouvais rester aussi longtemps que tu le souhaitais.– Mais Carole…– Carole vient de s’installer chez Ella et Lorenzo. Elle laisse ainsi sa maison à disposition, en cas de besoin. Tout est clair désormais entre elle et moi.J’ouvre la bouche pour répondre quelque chose qui me donnerait moins l’air désespéré, mais rien n’en sort. La situation est si perturbante qu’une vague de soulagement me fait vaciller lorsque Mason m’adresse un sourire sincère en esquissant un pas vers moi.– Tu m’as manqué, murmure-t-il.Il avance encore, jusqu’à s’arrêter à quelques centimètres. Son souffle s’échoue sur mes jou
Ses épaules se détendent imperceptiblement et un sourire éclaire son visage lorsque nous passons entre les premiers arbres qui marquent la lisière de la forêt.– Tu as toujours vécu ici ? demande-t-elle.– Oui ! C’est le cas de la plupart des membres de la meute.Je lui prends la main pour l’aider à escalader quelques rochers avant de reprendre notre avancée tranquillement. Ce n’est que quelques mètres plus tard que je prends conscience de ne pas l’avoir lâchée.Nous évoluons sur le terrain escarpé en comparant ma vie recluse au village et la sienne, pleine de possibilités, dans une ville où le tourisme est particulièrement actif. Je lui avoue n’avoir jamais imaginé ma vie ailleurs que dans ce coin paumé au cœur de la Louisiane.Finalement, nous atteignons le sommet de la colline où nous avons l’habitude de nous retrouver avec le groupe. C’est un peu notre endroit à nous, notre refuge, où rien ni personne ne pourra jamais nous atteindre.– Waouh… lâche-t-elle dans un soupir en découvr
MasonEn sortant de la douche pour rejoindre la solitude de ma chambre d’hôtel, les cheveux encore dégoulinants, je repense à ma conversation avec Carole.Ces dernières semaines, bien qu’on se disputait souvent, je l’aimais, et ça fait du bien d’apprendre qu’elle aussi, même si nos sentiments avaient déjà pris une autre voie. Ils s’étaient transformés en quelque chose de moins passionnel, et sûrement de plus amical au fond. Ce que je ressens pour Inaya n’a pas d’égal. C’est tellement plus… profond. Indescriptible. Et si une part de moi sera toujours attachée à Carole, je dois faire mon chemin de mon côté et lui laisser une chance d’en faire de même, y compris si c’est avec Jake.La sonnerie de mon téléphone m’interrompt dans mes pensées alors que j’enfile un bas de survêtement. Le nom de Lorenzo s’affiche sur l’écran. Je fronce les sourcils, étonné. Il sait où je suis et ce que je suis venu faire là, il n’est pas du genre à se manifester dans ce type de situations. Je repense à ce qu’
– Laisse-la digérer l’information. Tu la retrouveras plus tard.Je fronce les sourcils, à la fois intriguée par le départ d’Ella et perplexe face à ce qui se joue sous mes yeux. Je ne comprends plus rien. En quoi la sœur de l’ancien alpha pourrait être mêlée à cette affaire ? Pourquoi était-elle en prison ? Et surtout, comment a-t-elle réussi à s’en échapper ?C’est Brice qui attire mon attention en soupirant bruyamment. Puis il entreprend de me raconter.– Nicole a toujours été de nature très jalouse. C’est presque maladif chez elle. Je suis l’aîné de la fratrie, alors j’ai repris la direction de la meute après mon père. Elle ne l’a jamais supporté. Je suppose que tout est vraiment parti de là. Puis, elle a épousé l’alpha Miller…– Miller comme… Jake et Gregor ? l’interrompé-je de plus en plus étonnée.– C’est leur père, oui. Nicole est leur belle-mère. Mais cette union ne lui a pas suffi. Elle voulait diriger et elle n’était pas en position de le faire, du moins pas toute seule. C’e
Inaya– C’est le deuxième incendie en à peine quelques semaines. Comme dans le village de Dwayne, personne n’a rien vu avant les premières flammes. Il y a bien eu un bruit d’explosion, mais ça a été rapidement mis de côté face à la fureur du feu qui s’est propagé. Ce n’est que plus tard que la thèse de l’incendie criminel a été confirmée. Heureusement, il n’y a eu aucun blessé, mais il faut faire quelque chose pour que ça ne se reproduise plus, récapitule Lorenzo en s’asseyant autour de la table du Conseil, juste à côté d’Ella.Je n’arrête pas de passer en revue les maigres informations dont nous disposons à ce sujet, dans l’espoir d’y trouver une explication. J’ai un mauvais pressentiment. Une sombre impression que quelque chose de beaucoup plus grave, qu’on ne se l’imagine, se prépare dans notre dos. Et en attendant, on perd notre temps à discuter…Sur le chemin vers la salle du Conseil, Ella m’a informée des dernières nouvelles pour que je ne sois pas perdue. Il y a quelques jours,