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Chapitre 8

Julie a pris place à son bureau sans ouvrir le cadeau offert par Jade. Même si elle ne l’avait pas encore déballé, elle savait déjà ce qu’il contenait : une pince à cheveux en cristal, même de Swarovski. En l’an 2000, alors que le salaire moyen n’était pas encore très élevé, un tel cadeau était considéré comme un objet très rare. Mais d’après Julie, les bijoux étaient comme des chaînes invisibles. Les porter la faisait se sentir attachée et mal à l’aise, c’était une entrave à sa liberté.

Julie a rangé ce cadeau sous son bureau. Ensuite, elle a sorti son manuel de mathématiques. Les pages étaient immaculées, révélant qu’elle ne les avait pas souvent tournées, mais les concepts n’étaient pas difficiles pour elle.

Autrefois, ses performances scolaires se classaient parmi les plus médiocres de la classe. Par la suite, afin de garantir son admission dans une prestigieuse université, elle avait sollicité Roland pour devenir son tuteur. De cette manière, en plus des cours à l’école, elle avait également suivi des leçons particulières.

Bien que Roland n’ait obtenu qu’un diplôme d’études secondaires, il maîtrisait cinq langues étrangères. Toutes les connaissances qu’il a acquises l’ont été en autodidacte au fil du temps. S’il avait eu l’opportunité de recevoir une éducation formelle lorsqu’il était jeune, ses capacités d’apprentissage exceptionnelles lui auraient sans aucun doute permis d’être en tête dans sa classe, voire dans toute la ville.

Doté d’intelligence et de persévérance, il pouvait exceller dans tout ce qu’il entreprenait ! Il n’était donc pas surprenant que François ait décidé de l’accueillir dans sa famille, tout droit sorti de l’orphelinat.

En évoquant François, il ne s’était guère soucié des résultats scolaires de Julie. En fait, au-delà des notes, il s’intéressait davantage aux performances de sa fille dans les domaines artistiques et intellectuels. François l’avait élevée telle une célébrité, l’engageant dans la danse, le piano, le golf, la cuisine, la peinture... Sous sa stricte supervision, Julie s’était épanouie en une jeune femme aux talents multiples.

Il avait agi ainsi dans l’unique but de préparer sa fille à devenir une belle-fille idéale pour une autre famille influente. Il avait prévu de la marier à un parti de choix une fois qu’elle atteindrait vingt ans, établissant ainsi un mariage avantageux pour les deux familles et renforçant leur coopération commerciale.

À ses yeux, l’absence de vocation professionnelle chez une femme était une vertu, son rôle principal était de devenir une bonne épouse et de se consacrer à l’éducation des enfants, au soutien et à la satisfaction de son mari après le mariage, sans chercher à poursuivre sa propre carrière.

Julie contemplait par la fenêtre et a vu qu’une élégante berline noire venait de quitter les lieux, emportant avec elle, Roland et Jade.

François ne rentrerait pas avant trois jours.

Alors à présent, elle pouvait profiter d’une rare période de liberté.

Elle a laissé tomber le livre entre ses mains, déterminée à profiter de cette liberté retrouvée, jetant derrière elle toutes les règles strictes de sa famille.

Elle s’est hâtée de rejoindre le jardin à l’arrière de la maison, où un jujubier avait été planté. Julie avait entendu Perrine raconter que cet arbre avait été planté pendant la grossesse de sa mère. À présent, ce jujubier s’était élevé bien au-dessus de la clôture, ses branches épaisses étirées vers la cours de la villa voisine. Les villas étaient disposées de manière à favoriser la proximité entre les familles et ce majestueux jujubier, tout en couvrant les deux cours, préservait également leur intimité.

À l’automne, les dattes mûrissaient abondamment sur l’arbre. Julie, impatiente, rêvait de s’y hisser pour s’asseoir, apprécier le paysage et savourer les dattes.

Cependant, elle avait surestimé ses talents. Le tronc, épais et lisse, ne présentait aucun point d’appui pour l’escalade à mains nues. Après plusieurs tentatives infructueuses, elle ne pouvait que s’assurer une échelle pour atteindre son but. Avec cette aide, elle est parvenue à grimper au-dessus de la clôture. Elle s’est installée alors, souriante et innocente, à l’abri des regards grâce aux branches feuillues du palmier-dattier.

La jeune fille cueillait une datte rouge après l’autre, les essuyait rapidement sur ses vêtements, et les savourait en se balançant les jambes, complètement à l’aise. Elle ressentait une grande liberté et a fermé les yeux pour profiter de la brise. C’était la première fois qu’elle entretenait de réels espoirs pour l’avenir et la vie, avec une vision claire du sens de l’existence.

À ce moment-là, un fracas de porcelaine provenait de la villa voisine, suivi par la voix empreinte de colère d’un adolescent : « Sortez, sortez tous... » La voix résonnait depuis le premier étage.

Julie a levé les yeux, ne s’attendant pas à voir une canne jetée depuis l’intérieur.

« Chrétien ! Je fais ça pour ton bien, sortons-nous promener, d’accord ? Tu ne peux pas rester tous les jours à la maison, tu dois sortir, je m’inquiète vraiment pour toi. »

« Pour mon bien ? Tu me considères maintenant comme un fardeau ! Tu souhaites que je sois morte plus que quiconque ! Parce qu’alors, tu n’aurais pas à t’inquiéter autant ni à perdre autant de temps avec un infirme comme moi. Sortez... tous ! »

« Chrétien… »

« Je vous ai dit de sortir, vous ne m’avez pas entendu ? » a rugi l’adolescent en colère.

La femme a fini par faire un compromis : « Très bien... je vais sortir, ne te fais pas de mal. »

Qui habitait là ? Quel tempérament ! Pourquoi se disputaient-ils ? Julie avait beaucoup de question.

Elle luttait pour se souvenir et elle se rappelait que c’était le quinzième jour depuis sa sortie de l’hôpital et que, suivant les ordres du médecin, Roland l’avait emmenée à l’hôpital pour un examen. Mais lorsqu’elle était rentrée chez elle de l’hôpital, elle a vu une ambulance garée devant la maison de son voisin. Plusieurs ambulanciers transportaient un corps recouvert d’un linceul sur une civière. La cause du décès était : suicide par coupure des poignets.

Mais, contrairement à Julie, lui, encore pire, était resté mort dans la salle de bain pendant deux jours et deux nuits avant d’être découvert. Selon Perrine, cet adolescent s’appelait Chrétien Verne, il était le futur héritier de la famille Verne, une famille puissante de cette ville. À la suite d’un accident de voiture survenu lorsqu’il était enfant, ses deux jambes étaient devenues infirmes, ce qui l’avait plongé dans la dépression, l’isolant du monde et provoquant des troubles mentaux.

Chrétien avait déjà manifesté des tendances suicidaires par le passé, mais il avait eu la chance d’être sauvé. Cependant, cette fois-ci...

En y repensant, Julie a ressenti de la tristesse face à la mort de ce jeune homme de seulement 18 ans. Elle a arraché une datte du jujubier et l’a jeté à travers la fenêtre brisée...

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