Lysandra
Je m’enferme dans mon bureau, le dos contre la porte, le cœur battant à tout rompre.
Je tremble encore. Pas à cause de la fatigue, ni du stress… mais à cause de lui.
Ciel Donovan.
Chaque fois qu’il me parle, chaque fois qu’il me regarde, c’est comme si mon corps se souvenait de quelque chose que mon esprit refuse de voir.
Et cette chaleur… cette brûlure sous ma peau…
Je passe une main sur mon bras, là où il m’a effleurée. Ma blouse est froide, mais ma peau en dessous est brûlante.
— Qu’est-ce qui m’arrive ?
Je ferme les yeux, cherchant à apaiser le chaos dans ma tête. Mais aussitôt, des images surgissent. Des fragments, des flashs incohérents.
Du feu.
Un cri.
Des mains qui s’accrochent aux miennes avant d’être arrachées.
Je rouvre les yeux en sursaut, une sueur glacée coulant le long de ma nuque.
— Non…
Ce ne sont pas des souvenirs.
Ça ne peut pas l’être.
J’ai toujours eu les pieds sur terre. Je suis médecin, rationnelle. Ce que Ciel insinue n’a aucun sens.
Et pourtant…
Pourquoi cette douleur est-elle si réelle ?
Je me force à respirer, inspirant profondément avant de me diriger vers mon bureau. J’ouvre mon ordinateur et commence à taper son nom.
Ciel Donovan.
Le moteur de recherche affiche plusieurs résultats, mais rien de vraiment compromettant. Il est officiellement enregistré comme homme d’affaires, propriétaire de plusieurs sociétés dans le domaine médical et pharmaceutique.
Un donateur influent dans le monde hospitalier.
Un homme puissant.
Mais rien sur son passé.
Comme si avant un certain point, il n’avait jamais existé.
— C’est étrange…
Je clique sur un article relatant un accident qui l’a conduit ici, mais aucun détail précis sur la cause. Juste une note mentionnant qu’il a été trouvé dans un entrepôt abandonné, gravement brûlé, sans qu’aucune explication n’ait été donnée.
Et puis…
Je vois une autre mention.
Un homme du même nom, Ciel Donovan, déclaré mort il y a plus de cent ans, lors d’un incendie mystérieux.
Mon sang se glace.
Je clique sur le lien, et une vieille photo en noir et blanc apparaît.
Un homme debout, vêtu d’un costume d’époque, le regard perçant…
Je porte une main tremblante à ma bouche.
C’est lui.
Il n’a pas changé.
Je recule brusquement de mon bureau, comme si l’écran pouvait me brûler.
Ce n’est pas possible.
Je suis en train de perdre la tête.
Ou pire encore…
Je suis en train de me souvenir.
Je referme mon ordinateur d’un geste brusque, repoussant l’écran comme s’il pouvait m’avaler tout entière. Mon cœur bat trop vite, trop fort.
Ce n’est pas possible.
Je refuse d’y croire.
Je suis médecin, je crois en la science, en la logique. Il n’y a pas de place pour ce genre d’absurdité.
Mais alors pourquoi…
Pourquoi est-ce que je ressens ce vertige écrasant, cette impression que le sol sous mes pieds n’est qu’un mensonge ?
Je me lève précipitamment, attrapant ma blouse pour la serrer autour de moi comme une armure. Je dois me ressaisir.
Il me faut une réponse rationnelle.
Je sors de mon bureau, traversant les couloirs d’un pas rapide, ignorant les regards curieux de mes collègues. J’ai besoin de parler à Ciel. J’ai besoin qu’il m’explique ce que tout cela signifie.
Mais alors que j’arrive devant sa chambre, je m’arrête net.
La porte est entrouverte.
Et l’intérieur est vide.
— Quoi ?
Mon cœur rate un battement.
Je jette un coup d’œil dans la pièce, espérant peut-être qu’il soit simplement dans la salle de bain, mais elle est aussi déserte.
Il est parti.
Comment ?
Il ne devrait même pas être capable de tenir debout après ses blessures.
Je ressors du couloir et interpelle la première infirmière que je croise.
— Le patient de la chambre 312, Ciel Donovan, où est-il ?
Elle fronce les sourcils.
— Je… je ne sais pas. Je suis passée il y a une heure, et il dormait encore. Il n’a pas pu sortir sans qu’on le voie.
Alors pourquoi a-t-il disparu ?
Un frisson me traverse.
Je serre les poings, combattant la panique qui s’insinue en moi.
Non.
Je ne peux pas perdre le contrôle maintenant.
Je dois comprendre ce qui se passe.
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Je quitte l’hôpital bien plus tard que prévu, après avoir vérifié toutes les caméras de surveillance. Aucune trace de lui. Comme s’il s’était évaporé.
L’air nocturne est frais contre ma peau, mais mon corps est toujours en surchauffe. Chaque pas que je fais dans la rue semble me rapprocher d’une vérité que je ne veux pas affronter.
Je monte dans ma voiture et roule sans vraiment savoir où aller.
Mes mains sont crispées sur le volant.
Tout me dépasse.
Je devrais rentrer chez moi, prendre une douche, dormir et tout oublier.
Mais mon instinct me pousse ailleurs.
Et sans m’en rendre compte, je me retrouve devant un grand immeuble en verre, illuminé malgré l’heure tardive.
Un immense « Donovan Industries » brille sur la façade.
Mon souffle se bloque.
Pourquoi suis-je venue ici ?
Je serre les dents et descends de ma voiture.
J’ai besoin de réponses.
Je franchis les portes en verre, et la réceptionniste lève à peine les yeux de son ordinateur.
— Bonsoir, j’aimerais voir M. Donovan.
Elle me jette un regard neutre avant de sourire poliment.
— Avez-vous un rendez-vous ?
— Non.
— Alors, je suis désolée, mais M. Donovan n’est pas disponible.
Mensonge.
Je le ressens.
Il est ici.
Quelque part dans cet immense immeuble.
— Dites-lui que Lysandra est là.
Son sourire ne vacille pas.
— Je suis désolée, mais je ne peux pas…
— Alors je vais le trouver moi-même.
Je tourne les talons et me dirige vers l’ascenseur.
— Mademoiselle, vous ne pouvez pas monter sans autorisation !
Je l’ignore et appuie sur le bouton.
Mais avant que les portes ne se referment, une main bloque l’ouverture.
Une main forte, aux doigts élégants.
Un frisson parcourt mon échine alors que je lève les yeux.
Ciel.
Il se tient là, vêtu d’un costume sombre, le regard brûlant de cette intensité qui me trouble plus que je ne veux l’admettre.
— Je savais que tu viendrais.
Sa voix est basse, vibrante.
Mon cœur se serre.
— Tu as disparu.
— Je n’ai jamais été loin.
Ses doigts glissent lentement sur le bord de l’ascenseur, et cette simple caresse me fait frissonner.
— Pourquoi suis-je ici ? soufflé-je, incapable de comprendre ce qui me pousse vers lui.
Il sourit légèrement.
— Parce que tu commences à voir la vérité.
Les portes se referment derrière nous.
Et je sais que rien ne sera plus jamais comme avant.
LysandraL’aube se lève lentement, teintant le ciel de nuances douces, trop paisibles pour ce que je ressens à l’intérieur. Mon corps est encore brûlant de sa présence, mes lèvres portent la trace de ses baisers, et pourtant, une peur sourde s’accroche à mes entrailles.Ciel dort, son souffle calme, son bras autour de ma taille comme s’il avait peur que je disparaisse. Mais ce n’est pas moi qui fuis.C’est lui.Et ce matin, je refuse de le laisser partir sans avoir mis des mots sur ce qui nous consume.Je me redresse lentement, le cœur battant plus fort que je ne le voudrais. Il grogne légèrement, ses cils frémissent avant qu’il ne cligne des yeux.— Lys…Sa voix est rauque de sommeil, son bras cherche à m’attirer contre lui, mais je ne bouge pas.— On doit parler.Il se fige. Juste un instant. Puis, il pousse un soupir avant de se redresser, s’appuyant sur un coude.— Ça sonne grave.— Ça l’est.Il passe une main dans ses cheveux, visiblement en train de peser ses mots. Je ne lui lai
LysandraCiel dort. Enfin.Son souffle est irrégulier, comme s’il luttait encore contre quelque chose dans son sommeil. Je pourrais passer la nuit à le regarder, à veiller sur lui, mais la tension dans mon corps est insupportable.Je sors.L’air est froid, tranchant. La mer est calme, mais le silence est trompeur. Tout est toujours sur le fil.Comme nous.Je serre mes bras autour de moi. Je devrais être soulagée. Ciel est là. Il est vivant. Pourtant, une angoisse sourde me ronge. Comme si rien n’était réellement terminé.— Tu comptes rester dehors toute la nuit ?Je sursaute.Ciel est sur le seuil, torse nu, une couverture jetée sur ses épaules. Ses yeux sombres me sondent.— Tu devrais te reposer, dis-je doucement.— Toi aussi.Il s’avance lentement. Son visage est fermé, mais son regard brûle.— Je n’y arrive pas, murmuré-je.Il s’arrête juste devant moi.— Pourquoi ?Je détourne les yeux.— Parce que j’ai peur.— De quoi ?— Que tu disparaisses encore.Il pose une main sur ma nuque
LysandraLes jours passent, mais quelque chose s’est brisé en lui.Je le vois. Je le ressens.Ciel ne parle presque pas. Il est là, physiquement, mais son esprit semble toujours perdu dans cet espace entre la vie et la mort. Il dort peu, et quand il ferme les yeux, c’est pour se réveiller en sursaut, tremblant, le souffle court.Je ne pose pas de questions.Je sais ce que c’est.Je sais ce que c’est d’avoir vu l’autre côté et d’en être revenu avec des cicatrices invisibles.Mais ça me tue de le voir ainsi.Alors, aujourd’hui, j’ose.— Viens avec moi.Il lève un regard fatigué vers moi.— Où ?— Juste… viens.Il hésite, puis hoche la tête.Je l’emmène hors de la chambre, hors de ces murs qui semblent l’étouffer. Je l’emmène là où le vent est frais, là où l’air sent autre chose que l’odeur sterile des draps et du désinfectant.Il marche lentement, comme si son corps ne lui appartenait plus tout à fait.Quand nous atteignons la plage, il s’arrête.Le ciel est gris, l’océan agité, mais mo
LysandraLe silence.Il y a ce silence, lourd, oppressant, entre nous.Ciel dort. Enfin, il s’est assoupi, épuisé par la douleur et les jours d’inconscience. Sa main repose toujours dans la mienne, et je me surprends à en suivre du doigt chaque ligne, chaque relief. Comme pour me convaincre qu’il est là. Vraiment là.La peur ne m’a pas quittée.Elle est là, tapie dans l’ombre, prête à bondir au moindre signe de faiblesse.Parce que je sais.Je sais qu’il revient de loin. Trop loin.Son souffle est calme, mais son visage est marqué. La fièvre l’a quitté, mais son corps porte encore les stigmates de ce combat silencieux.Et moi ?Je suis là, prisonnière de ce moment, incapable de me détacher de lui.La porte s’ouvre doucement derrière moi.Je me retourne et croise le regard d’Isolde.— Il dort enfin ? murmure-t-elle.J’acquiesce, incapable de parler.Elle s’approche, pose une main sur mon épaule.— Tu devrais te reposer aussi.Je secoue la tête.— Je ne peux pas.Pas maintenant. Pas tan
LysandraCiel dort.Son souffle est plus régulier. Sa main repose toujours dans la mienne, et je ne peux pas me résoudre à la lâcher.La pièce est silencieuse, troublée seulement par la respiration lointaine des vagues qui s’échouent contre les rochers.Depuis combien de temps suis-je assise là ?Les heures se sont effilochées dans l’attente, mais mon cœur refuse de se détendre. Chaque battement est un rappel brutal de ce que j’ai failli perdre.Je n’ai jamais eu aussi peur.Pas même lorsque tout a basculé, lorsque j’ai compris que ma vie ne serait plus jamais la même.Parce que cette fois, ce n’était pas moi.C’était lui.Et l’idée de perdre Ciel…Un frisson me parcourt, comme si mon propre corps refusait d’envisager cette pensée.— Tu devrais te reposer.La voix grave me fait sursauter.Je me retourne et trouve Elijah, adossé au mur, les bras croisés. Il a cet air à la fois sévère et soucieux qu’il prend toujours quand il me regarde trop longtemps.Je secoue la tête.— Je ne peux pa
LysandraLe silence après l’orage est toujours plus terrible.Ciel a rouvert les yeux, a murmuré quelques mots, mais son souffle est encore si fragile que je n’ose pas me réjouir. Il oscille entre conscience et inconscience, comme suspendu au bord d’un précipice.Et moi, je suis là, incapable de détourner le regard.Nova et Nash font tout ce qu’ils peuvent. Ils nettoient, suturent, appliquent des compresses imbibées de plantes que je ne connais pas. Je devrais leur faire confiance, mais je n’y arrive pas.— Il va s’en sortir ?Ma voix tremble malgré moi.Nash ne répond pas tout de suite. Il termine de bander la blessure de Ciel, son expression grave.— On a stabilisé l’hémorragie. Mais il a perdu beaucoup trop de sang.— Ça veut dire quoi ?— Que les prochaines heures seront décisives.Un poids s’abat sur ma poitrine.Les prochaines heures.Je les compte déjà. Je m’imagine à chaque minute guetter le moindre changement dans sa respiration, scruter le moindre mouvement de ses paupières.