BRÛLURES ÉTERNELLES

Lysandra

— Scalpel.

Ma voix est calme, maîtrisée. Je tends la main sans détourner les yeux du champ opératoire, et Sarah place l’instrument chirurgical dans ma paume avec une efficacité habituelle. Autour de nous, l’équipe s’active en silence, rompant uniquement ce mutisme par des chiffres et des instructions techniques. La lumière vive des néons accentue l’éclat métallique des outils et le rouge profond du sang que j’aspire avec précision.

— Les constantes sont stables, murmure l’anesthésiste.

Je hoche la tête, concentrée. Chaque geste compte, chaque mouvement doit être exact. La moindre erreur pourrait coûter la vie à ce patient, un jeune homme victime d’un accident de la route. Je termine la dernière suture, vérifie une dernière fois les signes vitaux et lâche enfin un soupir discret.

— L’opération est un succès. Fermez et stabilisez-le en salle de réveil.

Je recule, retire mes gants et les jette dans la poubelle stérile. Mais au moment où je m’apprête à quitter la salle, une douleur fulgurante me traverse la poitrine.

Je m’arrête net.

Une chaleur atroce grimpe le long de mon échine, un feu qui se propage sous ma peau, brûlant chaque nerf, chaque cellule. Je ferme les yeux un instant, cherchant à maîtriser cette sensation qui me hante depuis des semaines.

— Docteur Hale ? Ça va ?

La voix inquiète de Sarah me ramène à la réalité. Je prends une inspiration forcée et lui offre un sourire crispé.

— Juste un peu de fatigue. Rien d’inhabituel.

Mensonge.

Depuis quelque temps, cette brûlure devient de plus en plus fréquente. Au début, ce n’étaient que de simples picotements, des vagues de chaleur passagères. Mais maintenant, elles sont presque insupportables, comme si un feu invisible consumait mes entrailles.

Je quitte la salle d’opération et me dirige vers mon bureau d’un pas rapide. Dès que la porte se referme derrière moi, je plaque une main tremblante sur ma poitrine. La douleur est encore là, vibrante, comme une plaie ouverte.

— Merde…

Je me laisse tomber sur mon fauteuil en cuir et ferme les yeux, espérant que la sensation s’atténuera. Mais aussitôt, des images me frappent de plein fouet.

— Non…

Des flammes. Hautes, impitoyables. Une chaleur infernale qui m’enveloppe. Un cri qui s’arrache de mes lèvres.

Je rouvre brusquement les yeux, mon souffle court. Ces visions, ces sensations, elles n’ont aucun sens. Ce ne sont pas mes souvenirs. Je n’ai jamais été brûlée vive. Pourtant, mon corps semble se souvenir d’une douleur qui n’a jamais existé dans cette vie.

J’attrape la boîte d’antalgiques posée sur mon bureau et avale un comprimé à sec.

— Ça doit être le stress.

Un coup contre la porte me fait sursauter. Je redresse la tête et vois mon collègue, le docteur Evans, passer la tête dans l’encadrement.

— Lysandra, on a une urgence. Cas compliqué.

Je me lève aussitôt, remerciant mentalement l’univers pour cette distraction bienvenue.

— J’arrive.

J’ignore encore que ce patient va changer ma vie.

— Qu’avons-nous ?

Ma voix est tranchante, professionnelle. À peine ai-je pénétré dans la salle des urgences que l’odeur de désinfectant et de sang me prend à la gorge. Autour de moi, l’équipe médicale s’active, l’atmosphère chargée d’une tension familière.

— Homme, début de trentaine, trouvé inconscient dans une ruelle, rapporte un interne. Il a des brûlures étranges sur le torse et présente une forte fièvre. Son rythme cardiaque est irrégulier, mais il ne réagit à aucun antidouleur.

Je fronce les sourcils en attrapant le dossier qu’on me tend. Aucun antécédent médical répertorié. Pas de papiers d’identité. Juste un nom : Ciel Donovan.

Mon regard glisse vers le lit où repose l’homme.

Et mon souffle se bloque.

Il est allongé sur le brancard, torse nu sous une blouse entrouverte, des électrodes fixées sur sa peau pâle et marquée de cicatrices que je ne parviens pas à identifier. Mais ce n’est pas cela qui me trouble.

C’est lui.

Ses traits sont à la fois durs et hypnotiques, comme sculptés avec une précision cruelle. Une mâchoire forte, des pommettes saillantes, une bouche qui semble faite pour murmurer des promesses dangereuses. Même inconscient, il dégage une aura qui m’oppresse, me fascine.

Mais c’est lorsqu’il ouvre les yeux que tout bascule.

Deux prunelles d’un ambre incandescent me transpercent, brûlantes, intenses. Une couleur que je n’ai jamais vue chez aucun patient, et pourtant…

Une chaleur brutale explose en moi.

Je vacille, prise d’un vertige violent. Mon cœur cogne contre ma cage thoracique, la brûlure sous ma peau s’intensifie à un point insoutenable.

Et puis, sans prévenir, une image me frappe de plein fouet.

— Lysandra…

Une voix grave, déchirante. Mon prénom, prononcé avec une tendresse désespérée.

Le crépitement des flammes. Une douleur inhumaine. Et ce regard. Toujours ce regard.

Je cligne des yeux, haletante, et la vision s’efface.

— Docteur Hale ? Ça va ?

Je tourne la tête vers Sarah qui me fixe avec inquiétude. Je hoche la tête, le souffle court.

— Oui… Je… C’est rien.

Je reviens vers mon patient, tâchant d’ignorer les frissons qui courent sur ma peau.

— Vérifiez son taux d’oxygène et administrez du sérum physiologique. On doit comprendre pourquoi il ne réagit pas aux antalgiques.

Je pose mes doigts sur son poignet pour prendre son pouls.

Et c’est à ce moment-là qu’il murmure d’une voix rauque, à peine audible.

— Lysandra…

Mon cœur rate un battement.

Je relève brutalement la tête, mes yeux accrochés aux siens.

Il me connaît.

Mais comment ?