La lumière du matin filtrait à peine à travers les lourds rideaux que Camilla roula dans son lit, les yeux encore embrumés, un goût de vin rouge lui collé à la langue. Elle tourna la tête : 08h17.
— Merde... Elle bondit, le cœur affolé, manquant de trébucher sur ses talons laissés au sol la veille. La fête d’inauguration avait été un succès — un peu trop peut-être. Des rires, de la musique, du champagne qui coule à flot. Et maintenant ? Elle était en retard. Pour sa première leçon avec Seth. Elle enfila en vitesse un jean noir, un pull crème froissé, et attacha ses cheveux en chignon bâclé. Un peu de parfum, deux gorgées d’eau à même le robinet. Elle sauta dans un taxi, pressant le chauffeur d’un ton presque suppliant. Seth vivait dans une villa à l’architecture intimidante, façade moderne, grandes baies vitrées, un portail électronique digne d’un bunker. Camilla descendit en trombe du taxi, remonta son col, et sonna. Seth ouvrit. Froid, implacable. — 08h33. Tu as une montre, Camilla ? — Je suis désolée, vraiment… On a fêté hier, j’ai perdu la notion du... — Tu t’es crue où ? À Ibiza ? Tu penses que c’est un jeu ? As-tu la moindre idée de ce dans quoi tu t’es embarquée ? Camilla resta bouche bée. Elle n’avait jamais vu Seth dans cet état. Il y avait dans ses yeux une dureté brutale, presque militaire. Elle entrouvrit les lèvres pour répondre, mais il leva la main. — Tais-toi. Ici, chaque minute de retard peut coûter un deal à un million. Ou une vie. Tu veux continuer ? Très bien. Mais la prochaine fois que tu me fais attendre, je te vire du contrat. Et crois-moi, dans ce monde, on ne refuse pas deux fois ce qu’on a accepté une première. Elle hocha la tête, encore sous le choc. Il la fit entrer dans un grand salon au style industriel, mur en briques, bois brut, mobilier noir et chrome. Une table basse couverte de dossiers, de cartes de visite, d’enveloppes. Il jeta un dossier devant elle. — Ton rôle, officiellement ? Directrice de la stratégie et des négociations. En surface, tu travailles pour l’entreprise, tu viens au bureau trois fois par semaine minimum ou plus si tu le désires.Tu assistes aux dîners de gala, aux conférences, aux lancements. En sous-marin ? Tu identifies la cible qu’on te confie. Tu la séduis, tu l’amadoues, tu obtiens ce qu’on veut. Et tu disparais avant qu’on comprenne ce qui s’est passé. — Je... je croyais avoir signé pour ça. — Tu as signé, oui. Mais je veux voir si tu peux tenir. Tu vas devoir convaincre, manipuler, mentir… sans jamais flancher. Prête ? Elle respira profondément. C'était intense. Mais elle n’était pas venue pour rester en surface. Elle voulait découvrir jusqu'où elle pouvait aller. — Montre-moi ce que tu sais faire, Camilla. Elle fronça les sourcils. — Pardon ? — Séduis-moi. Négocie. Convaincs-moi de te donner ce que je n’ai aucune intention de céder. Un petit sourire apparut sur les lèvres de Camilla. Très bien, jeu dangereux ? Allons-y. Elle se leva lentement, s’avança vers lui. Sa démarche était fluide, féline. Elle posa les mains sur le dossier de sa chaise, se pencha légèrement, sa voix plus douce, plus basse. — Et si je te disais que tu gagnerais bien plus en me gardant dans ton équipe qu’en m’humiliant ? Que je peux t’offrir des alliances que tu n’obtiendras jamais seul ? Que je lis les hommes comme des livres ouverts... Seth ne bougeait pas. Mais ses yeux la suivaient. Un frisson imperceptible lui passa dans le dos. Camilla fit le tour de la table, vint s’asseoir sur le rebord, face à lui. Son genou frôla le sien. — Je peux te faire gagner gros, Seth. Mais pour ça, il va falloir que tu me fasses confiance. Elle le fixa intensément. Il soutint son regard. Un silence tendu s’installa, presque électrique. Les secondes s’étiraient, et quelque chose d’incontrôlable se formait entre eux. Pas du désir pur, non. Une tension, brute, instinctive. Les pupilles de Seth s’assombrirent légèrement. Il se leva lentement, s’approcha d’elle. Camilla sentit son souffle. Il pencha la tête vers elle, murmura : — Tu joues à un jeu très risqué, Camilla. — Et toi, tu n’aimes pas perdre. Leurs visages n’étaient plus qu’à quelques centimètres. L’air vibrait. Puis… le téléphone de Seth vibra violemment sur la table. Il se redressa aussitôt, décrocha. — Seth, j’écoute… Quoi ? Tu es sûr ? Très bien, j’arrive. Il raccrocha, son regard immédiatement redevenu glacial. — On en reste là pour aujourd’hui. — Qu’est-ce qu’il se passe ? — Rien qui te concerne. Pas encore. Il prit sa veste, déjà en train de sortir. — Rentre. Et la prochaine fois, sois à l’heure. Ou reste chez toi. Camilla resta figée, les joues encore chaudes, le cœur battant. Elle n’arrivait pas à déterminer si elle venait de gagner… ou de perdre. Mais une chose était certaine : le jeu venait de commencer. En route vers chez elle ,le taxi sentait vaguement la sueur séchée et le cuir usé, mais Camilla ne semblait pas le remarquer. Assise à l’arrière, la tête posée contre la vitre tiède, elle laissait ses pensées courir, loin devant le tumulte de la ville qui filait autour d’elle. Les paroles de Seth résonnaient encore dans sa tête, cette voix grave et tranchante, cette façon froide de la scruter, d’exiger, de tester. Et ce regard, à la fin. Ce putain de regard qu’il lui avait lancé quand elle s’était approchée, quand elle avait décidé — sur une impulsion presque animale — de jouer le jeu. “Use de tes charmes…” Elle l’avait fait. Et bien plus qu’elle ne l’aurait cru. Elle avait senti ce frisson, ce pouvoir glisser sous sa peau comme une chaleur douce et dangereuse. Une tension électrique dans l’air, un jeu subtil, presque organique, entre elle et lui. Elle avait capté le moindre battement de ses paupières, la micro-expression quand ses yeux s’étaient attardés sur ses lèvres. Elle avait su qu’elle le tenait, même brièvement. Et ça… ça lui avait plu. Mais ce qui l’effrayait le plus, c’était à quel point elle avait aimé ça. Était-ce vraiment une aptitude nouvelle ? Ou quelque chose qu’elle avait enfoui profondément, longtemps refoulé sous une couche de morale, de peur, de honte ? Parce que oui… elle avait déjà usé de cette part d’elle. Avant. Quand elle n’avait pas le choix. Un souvenir amer vint lui serrer le ventre. Un vieux club privé. Un homme marié. Une dette impossible à rembourser. Elle se souvenait de la robe rouge. Du parfum entêtant qu’elle avait volé dans une boutique. De la façon dont elle avait feint l’innocence, puis doucement laissé tomber le masque pour devenir ce que l’homme voulait voir. Ce qu’elle devait être pour avoir ce fichu chèque. Ce soir-là, elle n’avait pas pleuré. Elle avait juste pris l’argent, calmement, comme on avale un poison en connaissance de cause. Une survivante. Elle s'était depuis lors juré de ne plus jamais retomber dans ces travers, mais la vie en a décidé autrement. Le taxi tourna dans une ruelle plus calme, et Camilla se redressa légèrement. Madame E… Ce nom revenait en boucle. Une énigme. Comment cette femme l’avait-elle trouvée ? Et surtout… que savait-elle exactement ? Camilla ferma les yeux, laissant sa mémoire la guider à travers la brume du passé. Et soudain, un détail. Une image. Une réception, des années plus tôt. Elle y avait été invitée par une amie d’un soir, une fille de la fac qui trainait dans des cercles riches et louches. Camilla n’était restée que quelques heures, mais elle se souvenait d’avoir attiré l’attention d’une femme élégante, aux cheveux gris cendrés impeccablement lissés. Un regard. Un sourire. Une conversation anodine sur l’art moderne et les ambitions de la jeunesse. Rien de marquant… sauf ce regard. Froid. Analytique. Presque médical. “Tu as du potentiel, ma chérie. Un diamant brut.” avait-elle dit en partant. Elle n’avait même pas demandé son nom. Camilla sentit un frisson lui parcourir l’échine. C’était elle. Madame E. Elle était là, dès le début. Elle l’avait remarquée. Observée. Et aujourd’hui, elle l’avait… recrutée. Camilla ouvrit les yeux, le cœur battant. Et si ce n’était pas un hasard ? Et si cette vie n’était pas une évasion… mais un piège soigneusement orchestré depuis bien plus longtemps qu’elle ne le pensait ?Lundi matin. Le jour J. À peine le soleil avait-il osé pointer le bout de son nez que Camilla était déjà debout, les yeux mi-clos mais l'esprit en ébullition. Elle venait de vivre l'un des week-ends les plus troublants de sa vie — et pourtant, son passé n'était pas exactement une douce promenade au parc. Après une douche rapide et une playlist sensuelle en fond sonore, elle se plaça devant le miroir. Son reflet lui renvoya l’image d’une femme conquérante. Elle maquilla ses lèvres d’un rouge profond, souligna ses yeux d’un trait félin, puis enfila son tailleur rouge parfaitement cintré. Ce rouge-là n'était pas qu'une couleur. C’était un avertissement. Aux pieds, des Louboutin noires vernis, les fameuses semelles rouges assorties à son ambition. Le vrombissement discret d’un moteur l’arracha à sa contemplation. Le chauffeur venait d’arriver. Elle descendit, le cœur battant. Direction l’inconnu... ou plutôt Aetherium & Partners. --- Le véhicule s’arrêta devant un immense buil
La porte d’entrée claqua doucement derrière elle, coupant net le froid du dehors . Camilla s’appuya quelques secondes contre le battant, les yeux fermés, respirant l’odeur toute fraîche de sa nouvelle maison — un subtil mélange de vanille, de linge propre et de pâte coiffante de Léna. — Cam’, t’es rentrée ? lança une voix depuis la cuisine. — Oui, c’est moi. Léna passa la tête par l’embrasure, un torchon à la main, un grand sourire aux lèvres. — Alors ? Raconte-moi tout ! C’était comment ta première journée dans ton mystérieux manoir de luxe ? Camilla esquissa un sourire fatigué et retira ses chaussures. — Étrange… intense… tordu. — Tordu ? Ça commence bien. Dis-m’en plus. Allez, viens t’asseoir, j’ai fait du riz sauce tomate. Une fois installée autour de l'immense table a manger , Camilla raconta tout : son arrivée, la colère de Seth à cause se son retard , la d
La lumière du matin filtrait à peine à travers les lourds rideaux que Camilla roula dans son lit, les yeux encore embrumés, un goût de vin rouge lui collé à la langue. Elle tourna la tête : 08h17. — Merde... Elle bondit, le cœur affolé, manquant de trébucher sur ses talons laissés au sol la veille. La fête d’inauguration avait été un succès — un peu trop peut-être. Des rires, de la musique, du champagne qui coule à flot. Et maintenant ? Elle était en retard. Pour sa première leçon avec Seth. Elle enfila en vitesse un jean noir, un pull crème froissé, et attacha ses cheveux en chignon bâclé. Un peu de parfum, deux gorgées d’eau à même le robinet. Elle sauta dans un taxi, pressant le chauffeur d’un ton presque suppliant. Seth vivait dans une villa à l’architecture intimidante, façade moderne, grandes baies vitrées, un portail électronique digne d’un bunker. Camilla descendit en trombe du taxi, remonta son col, et sonna. Seth ouvrit. Froid, implacable. — 08h33. Tu as une mont
— C'est ici, annonça Seth sans la regarder, le regard fixé sur son téléphone. Camila descendit du véhicule, encore sous le choc. — C'est... pour moi ? — T'y vivras pendant la durée du contrat, répondit-il sèchement. Tu n'as rien à payer. Profites-en. Ils franchirent la porte d’entrée. Un souffle d'air frais parfé et maîtrisé la saisit. Le hall s'étendait en une vaste pièce au sol en marbre blanc, où des luminaires suspendus semblaient flotter dans les airs. Une fontaine décorative scintillait au centre. — Oh mon Dieu... — Tu devrais voir le reste, répondit Seth, étonnamment amusé. Il la guida dans la maison. Le salon, immense, comportait des canapés en velours beige, une télévision encastrée dans le mur, une bibliothèque garnie de livres d'art et de romans en édition originale. Une baie vitrée donnait sur une piscine miroir, scintillant dans le jardin luxuriant. La cuisine était un rêve de chef : plan de travail en granit noir, électroménagers dernier cri, cave à vin
Vendredi matin, 08h00 précises. Comme un ballet bien chorégraphié, la voiture noire attendait devant la maison de Léna, les vitres teintées reflétant le ciel pâle du matin. Camila, tirée à quatre épingles, portait un tailleur sobre mais élégant prêté par Léna. Un nœud d’angoisse mêlé d’excitation s’était installé dans son ventre, mais elle l’ignorait, décidée.Léna lui fit un dernier câlin.— Tu m’envoies un message dès que t’es arrivée. Et rappelle-toi…— Oui, oui, dit Camila avec un sourire forcé. “Au moindre souci, je me barre.” Je sais. Mais t’inquiète pas. Je sens que tout va bien se passer.Le même chauffeur, impassible comme un sphinx, l’accueillit d’un sobre signe de tête avant de démarrer en silence. À travers les vitres teintées, la ville défilait, distante, comme si elle appartenait à une autre vie.La maison — ou plutôt le manoir — était exactement la même. Une froide majesté, une atmosphère pesante, presque mystique.Camila fut conduite cette fois dans un salon baigné de
Léna passait nerveusement ses articles sur la caisse, le bip-bip régulier de son scanner était devenu une forme de méditation pour elle, un fond sonore qui l’empêchait de trop penser. Le supermarché était bondé comme tous les jeudis après-midi, et elle enchaînait les clients avec un sourire mécanique, coincée dans une routine qu’elle n’avait pas choisie. Elle avait en poche un diplôme en consulting obtenu avec mention, mais visiblement, le monde se fichait bien de ses efforts. Les réponses à ses candidatures ne venaient jamais. Et quand elles venaient, c’était pour lui dire qu’elle manquait d’expérience. Comme si survivre seule depuis l’enfance ne comptait pas comme expérience.Lena était orpheline, tout comme Camila. C’est sûrement ce qui les avait rapprochées au départ, il y a quatre ans, dans ce même supermarché. À l’époque, Lena était encore étudiante, et Camila, fraîchement engagée comme renfort en caisse pendant l’été. Leur première vraie conversation avait eu lieu dans la salle