À l'heure du déjeuner, je suis pétri par les remords.
Non seulement j'ai abandonné mon frère avec une inconnue, mais en plus avec un Alzheimer !
Je suis définitivement une sœur pitoyable...
Je ne sais plus ce que j'ai mangé, sûrement rien, puis je file à l'hôpital d'Edimbourg pour voir ma mère.
Une heure plus tard, je sors de là-bas en étant anéantie comme à chaque fois que je vois ma génitrice sur son lit de malade.
Je fixe ce parking sordide et ce ciel gris qui accentue mon mal-être, en m'intoxiquant d'une clope pour calmer mon coeur qui pleure.
Je ne sais pas comment il m'a reconnue, peut-être qu'il m'a suivie à la sortie de la chambre d'hôpital, mais cette voix rauque et tellement unique me fait soudain sursauter :
—J'ai oublié de te remercier ce matin.
Je garde mon regard braqué sur ce parking, avec aucune envie de converser avec Jaden.
—De rien.
—Pourquoi t'es ici ?
—J'aime bien la vue.
Jaden vient s'accoler sur la même rambarde que moi, et je sens la chaleur de son corps contre le mien.
—Pourquoi tu ne m'as pas dit pour ta cousine ? je demande en crachant de la fumée.
Il sort une cigarette et j'entends le clipse du briquet.
—T'étais super stressée ce matin.
Je tourne enfin ma tête vers lui, pour le découvrir en blouse blanche.
Le contraste de son look de vagabond de ce matin, et le jeune homme brun bien coiffé et surtout sec, est édifiant.
Son regard marron est très brillant.
Tandis que je le dévisage sans aucune pudeur, il me tend sa main.
—On ne s'est toujours pas présenté. Jaden, et toi ?
—Léna, je bredouille en lui serrant sa main chaude.
Il m'offre une nouvelle fois un sourire ravageur qui laisse paraître ses dents blanches et parfaitement alignées.
—Tu as quelqu'un ici ?
J'allume ma deuxième cigarette avant de lui répondre :
—Ma mère.
—Elle est médecin ?
N'ayant aucune envie de lui révéler que chaque jour qui passe la rapproche de la mort, je rétorque avec la rage au ventre :
—Plus ou moins.
Il lache un petit rire, si doux et franc, qu'il fait frissonner mon coeur.
Déstabilisée, je jette ma clope avant de dévaler les escaliers pour aller rejoindre ma voiture.
Il crie mon prénom pour me retenir, mais j'ai qu'une hâte : récupérer mon petit frère à la sortie de l'école pour enfin rentrer chez nous.
Cette semaine est passée à une allure folle. Entre les devoirs de mon petit frère, les visites à l'hôpital que j'ai pris soin d'écourter pour ne plus retomber "par hasard" sur Jaden, et les deux hommes à la maison et leur foutoir, sans oublier mon nouveau boulot, je n'ai qu'une envie : pouvoir enfin souffler.
Après avoir déposé mon frère chez ma grand-mère, Hylan, Max et moi on se rend à notre Qg habituel: le bar "Basix".
Pour faire court: je sors avec Hylan depuis cinq ans. Âgé de 26 ans, il est psychologue du travail dans une grande entreprise à Édimbourg.
Son frère Max a mon âge, et il est l'exact opposé d'Hylan: il enchaine les missions intérims dans une philosophie de vie contraire à celle de son frère : Bosser - gagner de l'argent - et le dépenser.
Hylan est grand à la peau mate, toujours propre sur lui, alors que son frère a un look plus casual et surtout des cheveux blonds décolorés.
On boit tranquillement nos bières dans le bar, et on rigole aux blagues de Max.
Puis je sors de table pour aller aux toilettes, ou peut-être au bar je ne sais plus, et je tombe (encore) sur l'auto-stoppeur.
—Léna !
Son enthousiasme me surprendra toujours.
—Salut.
—Qu'est-ce que tu fous là ?
Il semble plus sobre que moi.
—La même chose que toi, je réponds en me dirigeant au bar.
Bien évidemment il m'accompagne, et commande aussi une bière.
Sa présence me rappelle à chaque fois l'oubli de mon petit frère au bord de la route avec une inconnue. Et ça m'énerve. Du coup, moins je le vois, mieux je me porte.
—Je suis avec des collègues, tu viens avec nous ? me propose-t-il.
—J'aime pas les gens.
Il éclate de rire.
—C'est la meilleure celle-là ! Une psy qui n'aime pas les gens !
J'agrippe ma bière en serrant les dents, bien décidée à le fuir.
Mais il me rattrape par le coude, et me fait pivoter vers lui.
À ce moment-là, je suis obligé de le regarder pour lui lancer des éclairs.
Ses yeux sont de nouveau noisettes.
—T'es sérieuse ?
Silencieuse, je me contente de le reluquer de haut en bas. Un jean et une chemise noire. Pas mal.
—Viens, je déclare, on va plutôt s'installer tous les deux à une table.
Ses yeux s'élargissent face à ma proposition.
Il bafouille un "Ok..." surpris.
On va s'asseoir au fond de la salle, à ma table préférée.
Les coudes posés sur la table, je sirote ma bière en silence pour le déstabiliser.
—T'es venue avec tes copines ? demande-t-il.
—Non.
—T'es seule ?
—Non plus.
Il esquisse (encore) un sourire.
—Avec ton mec ?
—Peut-être.
Cette fois c'est lui qui boit en silence, plongé dans ses pensées.
Mon automatisme professionnel prend alors le dessus, et j'observe sa posture. Il se tient bien droit sur sa chaise et me fixe de manière déterminée.
Il semble sain d'esprit.
—Ça fait longtemps que t'es avec lui ? reprend-il d'un ton posé.
—Rien de sérieux.
—C'est à dire ?
Agacée par ses questions, je ramène la bière à mes lèvres, avant de répondre d'une voix froide :
—Je suis un électron libre.
Il pose sa bouteille sur la table, en même temps que ses coudes, pour se pencher vers moi.
—Tiens donc ! Et ça veut dire quoi ?
Ses yeux pétillent de malice, son visage arbore un sourire au coin.
D'un regard espiègle, je prend sa main et on se lève de table. On traverse un long couloir, avant de tourner à gauche.
Une fois devant la porte en bois, je sors la clé de mon soutien-gorge, je la déverrouille, puis j'entraîne Jaden à l'intérieur.
Je ferme la porte à clé, allume la lumière, avant de faire glisser ma robe noire sur le sol.
Je ne prête pas attention à son regard, trop d'alcool coulant dans mes veines, mais je suis sûre de prononcer :
—Je suis à toi pendant une heure. C'est à prendre ou à laisser.
Troublé, il me fixe pendant de longues secondes.
—Ma proposition expire dans 3...2...
Il s'avance alors vers moi, ce qui me fait sourire.
Mes paupières se ferment, mais une main chaude se dépose sur ma joue et me trouble.
—Léna...Ouvre les yeux...
Je les plisse d'un air méfiant.
Son pouce caresse doucement ma joue, ce qui accentue mon trouble.
—Pourquoi tu fais ça ? murmure-t-il.
—...
Ses yeux noisettes s'insèrent dans les miens avec une puissance monstrueuse.
—Réponds-moi s'il te plaît...
Je déglutis plusieurs fois, avant de rétorquer :
—J'ai besoin de me sentir en vie.
Il pousse un long soupir, avant de poser son front contre le mien.
—C'est à cause de ta mère ?
D'un geste brusque je pousse sa main. Je remets ma robe, et sort de la pièce d'un pas agacé.
—Attends ! s'écrie-t-il.
J'accours, ou plutôt titube jusqu'à Hylan, et une fois à sa hauteur je m'empresse de m'asseoir sur ses genoux pour me blottir dans ses bras.
—Ma puce, ça va ?
—Oui, je suis crevée.
—Tu veux rentrer ?
J'acquiesce de la tête.
—Excusez-moi...
Et merde.
J'enfouis mon visage encore plus profondément au creux du cou d'Hylan.
Son odeur me fait du bien.
—Je me présente, je suis Jaden, un ami de Léna.
—Ma puce ? s'étonne Hylan. Tu le connais ?
—Non !
—Je crois que tu te trompe, mec. Va voir ailleurs.
C'est ce que j'adore chez Hylan: son assurance qui me comble d'un sentiment de protection.
—Ok, rétorque froidement le parasite. Désolé et bonne soirée.
Je savais très bien gérer la vie des autres, j'avais même eu un 17 au mémoire, alors que ma vie à cette époque-là se résumait à un énorme chaos.
<.>
Mercredi matin, 10h.Je fixe depuis trente minutes ce vieux portail en fer, derrière lequel se trouve la maison de retraite qui accueille ma cousine.Je n'ai pas dormi de la nuit.J'étais fou d'inquiétude pour Léna.Est-ce qu'elle va bien? Est-ce qu'elle s'est encore barrée de chez elle à cause du boloss, et qu'elle n'a pas osé venir chez moi ?Pourquoi elle ne m'appelle jamais quand ça ne va pas ?J'écrase ma troisième cigarette, enfin décidé à aller voir ma cousine.Je suis sûr que Léna est venue bosser même si j'ai prévenu la secrétaire lundi qu'elle ne viendrait pas de toute la semaine.J'aurais tellement voulu qu'elle reste avec moi ce jour-là, et même toute la nuit comme je lui avais proposé, mais cette fille fuis les hommes autant qu'elle les ensorcelle.Une fois à l'intérieur de cette maison de retraite de bourges, l'hôtesse de l'accueil m'indique poliment le numéro de la chambre de ma cousine : numéro 23, deuxième étage.Mon courage en main, cinq minutes plus tard je me tiens
Point de vue JADEN—Parce que je voulais prendre l'air. J'étouffe là-bas !Les bras croisés sur sa poitrine, ses magnifiques yeux verts s'ancrent en moi de manière désespérée.La voir encore plus fragile que d'habitude, là juste devant moi, sous mon toit, me rend encore plus fou d'elle.Je dois l'embrasser.Je m'approche d'elle pour coller ma main sur sa joue, quand des coups contre la porte me ramènent à moi.Son mec.Je fais un pas en arrière, à bout de nerfs que ce gars veuille la récupérer.Elle est venu chez moi, putain ! Ça veut tout dire ducon !—Il faut que tu lui parles.Je l'entends soupirer fort, et quand je me retourne pour croiser ses yeux, elle acquiesce de la tête.J'ouvre au connard du soir qui fait pitié à voir, et avant de sortir de la chambre je jette un dernier regard à ma rose.Elle ne me voit déjà plus, obnubilée par son mec qui la prends immédiatement dans ses bras.Ok, cette fille est compliquée.Je me demande même si elle est vraiment psy ? Il faudrait que je
Quand je redescends dans le salon, Hylan est en train de fumer une cigarette dans le jardin, pendant que son frère comate devant la télé.Je les fixe tous les deux avec un grand vide dans mon cœur.C'est la fin du ménage à trois.C'est la fin de ma liberté.La schizophrène que je suis, attrape son sac à main et les clés de voiture. Je claque la porte de la maison des frères Henderson.Je conduit vite, trop vite, à travers de longues nappes de brouillard.Une voiture me suit derrière moi et n'arrête pas de me faire des appels des phares. C'est Max.J'appuie sur l'accélérateur jusqu'à 120 km/h sur des routes limitées à 90.Je dois fuir aussi loin que possible, pour que Max ne puisse jamais me rattraper.Dix minutes plus tard, je me gare en trombe devant le gîte, déglinguant sur mon passage une table et des chaises. Le fracas est terrible.Affolée, je sors de la voiture, quand j'entends celle de Max écraser le reste des débris qui jonchent sur le sol.J'ai à peine le temps de tambouriner
Le soir, après avoir couché mon petit frère, Hylan m'attends dans le couloir.Son regard froid ne présage rien de bon.D'un pas tremblant, je suis Hylan dans sa chambre, ignorant quelle pierre va encore tomber sur ma tête...Assis face à face sur le grand lit de sa chambre, il me dévisage avec un regard trouble.—Mon frère est venu me parler.—Mmmh...—Apparemment vous avez décidé de vous mettre ensemble?—...—T'as envie de te mettre avec lui ?—Tu me connais Hylan, je sors avec personne. À part toi.—Oui mais toi et moi, on est quoi pour toi ?—On est...On est...On est Nous !—Tu nous considères comme un couple ?—Hylan, ça fait cinq ans qu'on est ensemble ! Donc oui !—T'es prête à laisser tomber Max ?—Ah non ! Tu ne vas pas t'y mettre toi aussi !Je me lève furieuse du lit, et je commence à faire les cent pas dans la chambre.—Ma puce, j'ai besoin de réponses.—Et moi j'ai besoin qu'on me laisse tranquille !Je m'arrête de marcher en posant mes mains sur mes hanches.—Je suis en
Depuis combien de temps n'ais-je plus fait l'amour "normalement" dans un lit avec un garçon qui s'intéresse réellement à moi ?L'instant qui suit est baigné de sérénité. Une douce sérénité que je n'ai plus côtoyé depuis fort longtemps.Jad me fait rouler sur son ventre, et on se contemple dans un beau silence.Cependant son regard perd peu à peu de sa lumière, jusqu'à que je réalise qu'il est devenu soucieux.—Il faut qu'on parle.—Pourquoi est-ce qu'on doit toujours parler avec toi ? je marmonne.—Parce qu'on ne peut pas continuer comme ça !—Alors quitte-moi ! Disparais de ma vie !Je tente de me dégager de son ventre, mais il me maintient fermement dans ses bras.—C'est trop tard. Je tiens trop à toi.Abasourdie par ses paroles, je lache prise, et mon corps s'écroule sur le sien.Mon visage enfouis dans son cou, je chuchote :—Jad, ne fais pas ça.—Faire quoi ?—N'espère pas quelque chose avec moi. S'il te plaît.Il retire ses bras de mon dos, et j'en profite pour rouler sur le côt
En arrivant à la maison de retraite le lendemain matin, une voiture sportive gris métallisée, est garée juste à côté du portail.Je reconnais immédiatement celle de Jaden. Je sors de ma voiture avec ma colère qui est revenue en force.Il sort aussi de sa Golf pour se diriger droit vers moi. Il est vêtu exactement comme le premier jour de notre rencontre : un jean et un k-way noir.Un vrai vagabond.—Pourquoi t'as pas répondu à mes appels ?s'inquiète-t-il en s'arrêtant devant moi.—Tu l'as tuée, Jad ! Tu l'as tuée !Choquées, ses pupilles s'écarquillent.Animée d'une rage indescriptible, je me rue vers lui pour frapper son torse aussi fort que je peux.—C'est à cause de toi qu'elle est morte ! Tu m'as forcée à la tuer !J'éclate en sanglots.Une fois de plus.Ses bras viennent m'envelopper avec une profonde douceur, alors que la douleur qui me ronge depuis deux jours se libère avec fracas.Pendant que je m'effondre dans ses bras, il recule contre un arbre, pour se mettre à l'abri du fr