Le ciel ne m’avait jamais paru aussi vibrant. Un mélange d’orange et de gris se dessinait entre les nuages. Le soleil descendait lentement derrière les toits de la ville. Tout semblait s’apaiser. La lumière du jour s’effaçait peu à peu. Et moi, j’étais lucide. Un homme serein, prêt à faire face à la tempête… celle de ma femme.
Nous étions presque arrivés à la maison. Encore quelques pas avant de franchir la porte de notre demeure. J’avais hâte de voir son sourire. Hâte d’ouvrir cette porte et de la retrouver, comme si rien ne s’était passé. Hâte de croire que le temps avait calmé sa colère. Je descends du véhicule, la veste en main, ma chemise bleu nuit entrouverte au col. Mes cheveux sont en vrac, mais je m’en fous. Ce qui m’occupe l’esprit, c’est Siara Harper-Blaz. — Merci madame… euh— Je m’interromps. Je n’ai même pas retenu son nom. Pas le temps de finir ma phrase qu’une odeur de carburant me saisit. Le chauffeur redémarre rapidement, sans un regard en arrière. Elle non plus. Mais franchement ? Je m’en fiche. On ne se reverra jamais. Mes pas lourds me portent jusqu’à l’entrée. Tout est plongé dans l’obscurité : le salon, la cuisine ouverte… Je marche les mains dans les poches comme un ado qui rentre tard. Je me la joue cool, mais je tremble intérieurement. J’ai peur, oui. Peur de la retrouver en colère. Peur d’affronter ce que j’ai fait. Je la revois, elle. Sa silhouette fine, presque immobile dans le salon. Les lumières s’allument. Siara est assise dans le fauteuil, une bouteille de vin à la main. Elle fixe la cheminée, silencieuse. Je ne vois que son dos. J’avance à pas de loup, félin en chasse, et je me penche pour embrasser son épaule nue. Mais je suis stoppé net. — Ne me touche pas. Pas tant que tu sentiras encore l’alcool sur toi. Ce n’est pas juste ses mots qui me blessent. C’est sa voix. Cassée. Froide. Loin de celle que j’aime entendre. J’aurais voulu sentir sa chaleur. Mais ce soir, ce ne sera pas pour moi. Je contourne le canapé et m’assieds en face d’elle. Son regard est mouillé, sûrement d’avoir pleuré. Et ça… ça me fracasse. Je m’étais juré de ne jamais être la cause de ses larmes. Mais une partie de moi… une partie sombre est soulagée de la voir ainsi. Pourquoi ? Peut-être parce qu’elle m’a fait mal. Parce qu’elle m’a menti. Parce qu’elle avait continué à prendre la pilule en secret, et qu’elle m’a brisé. Elle n’avait jamais pleuré à ce moment-là. Moi si. J’étais seul à souffrir. Alors ce soir… ces larmes, quelque part, me font du bien. Et ça me dégoûte de le penser. — Va te doucher, Aaron. Tu pues l’alcool. Elle boit une gorgée de vin, sans me quitter des yeux. Je me lève sans dire un mot. Comme d’habitude. Comme la dernière fois où cette dispute avait presque tout fait voler en éclats. Je vais dans la salle de bain et laisse la porte entrouverte. C’est un message. Une invitation silencieuse : Si tu veux me pardonner comme je t’ai pardonnée, viens. Alors j’attends. — Tu viens prendre un bain avec moi ? Elle se lève. Mon cœur s’emballe. Peut-être qu’elle va venir. Qu’on va s’enlacer dans cette baignoire immense. — Pas ce soir, dit-elle en montant les escaliers. Je la regarde s’éloigner. Son corps, ce corps que je connais par cœur, me fuit. Je comprends. Je ne dis rien. Je me tourne vers la baignoire. Je me déshabille lentement et m’enfonce dans l’eau chaude, jusqu’à la gorge. Mes muscles se relâchent, mais mon esprit reste en tension. Puis une voix me tire de mes pensées : — Tu as encore de la place pour moi ? Je cherche son regard. Elle est là, appuyée contre la porte, ses cheveux détachés, un léger sourire aux lèvres. J’ai un flash : bipolaire ? lunatique ? J’en ris intérieurement. Mes bras s’écartent pour l’accueillir. Elle s’approche et glisse son corps dans le mien. Sa tête se pose sur mon torse. — Je suis désolé, j’aurais dû t’appeler, soufflé-je, les yeux fermés. Elle se retourne. Sa main touche ma joue, puis ses lèvres trouvent les miennes. Son baiser est doux, presque fragile. Ça m’électrise. Ça me donne envie de… — Je déteste quand on se dispute, murmure-t-elle. — Moi aussi. Elle marque un silence, puis ajoute : — Demain, on va voir un médecin. Ses mots me font rouvrir les yeux. Elle est si proche. — Pourquoi ? — Je pense que… je suis enceinte. Mais je veux en être sûre. Je ressens une onde de choc dans tout mon corps. Mes mots se bloquent. Mon cœur explose. Siara est peut-être enceinte. Un bout de moi. Un bout d’elle. Un bout de nous. Dix ans qu’on espère. Et enfin… peut-être. — C’est incroyable ! Mais je croyais que le docteur Lee nous avait dit que— — Je sais… Mais Dieu fait des miracles, souffle-t-elle en se blottissant contre moi. Je tremble d’émotion. Dans neuf mois, peut-être, un petit être naîtra de notre amour. Mon cœur est en feu. Il ne manque plus que l’avis du docteur Lee pour que je sois pleinement heureux. Parce que, il y a un an, ce même médecin nous avait dit qu’il y avait de grandes chances que Siara ne puisse jamais avoir d’enfants. Ce cauchemar m’a hanté depuis. Mais là, j’ai envie d’y croire. Elle sort de la baignoire. Je la suis. On s’habille. On va se coucher. ⸻ Le jour se lève sur la maison des Blaz-Harper. Bientôt, peut-être, nous serons trois. J’ai dormi comme un roi. Elle est encore dans mes bras. Prisonnière volontaire. Je l’embrasse partout. Elle gémit, elle rit. Je suis comblé. Sa peau contre la mienne m’enveloppe d’une paix pure. — On a rendez-vous dans moins d’une heure, dit-elle en souriant. — Je sais, mais j’ai envie de rester là encore un peu. Elle quitte le lit. Me laisse sur ma faim. J’aurais voulu lui souffler tout ce que je ressens. Mais elle a raison, on doit y aller. — Moi aussi. Mais j’ai besoin de savoir si je suis vraiment enceinte. On ne traîne pas. Petit-déjeuner rapide. Puis en voiture. Je suis sur le point de démarrer quand un visage se colle à la vitre. Joey — Salut Aaron. Hier soir, on t’a attendu. J’avais même invité des gens importants pour parler de ton business… — Je sais. Mais j’étais pas en état. — Ouais… Ta femme me l’a dit. Mais… j’ai vu des vidéos de toi. Siara intervient aussitôt : — On n’en parle pas maintenant. Aaron, démarre. Joey, on discute plus tard, d’accord ? On est un peu pressés. Je démarre. Hector me fixe d’un air intrigué. Je suis paumé. Apparemment j’étais saoul, j’ai parlé à des inconnus, et quelqu’un a filmé. Génial. Je veux lui demander si elle a vu ces vidéos, mais je n’ose pas. On est bien, là. Je ne veux pas gâcher ça. — T’inquiète, dit-elle. Je suis sûre que t’étais juste… dans ton monde. Et que les choses ont dérapé. Cette phrase. Elle me tue. Qu’est-ce qu’elle insinue ? Mais elle n’a pas l’air fâchée. C’est étrange. — Qu’est-ce que j’ai fait dans ces vidéos ? — Tu chantais, tu dansais, tu racontais ta vie. Rien de grave. Je souffle. Juste un mec bourré, donc. — J’ai dit quoi, exactement ? — Que t’avais raté une promotion, que tu détestes le resto de notre voisin… et que ta femme t’a menti. Aïe. La boulette. Mais elle garde son calme. Et moi, je me dis qu’après dix ans, ce genre d’écarts ne casse plus rien. — T’étais pas en colère, j’espère, quand t’as vu ça ? — Je sais comment tu deviens quand tu bois. C’est pour ça que je te dis toujours de pas le faire, dit-elle avec un petit sourire. Je lui rends son sourire. Et je me concentre sur la route, le cœur léger… et plein d’espoir.Deux ans plus tardÉcole élémentaire Saint-Exupéry — 12h45Ah, les mioches. Ça court partout, ça bave comme des limaces. Sans oublier qu’ils crient… et ça commence sérieusement à me taper sur les nerfs. Mais aujourd’hui est un jour important pour Veronika, alors je suis là pour elle.Ça fait deux ans qu’on est ensemble. Deux ans que je vis avec cette femme merveilleuse, et je peux encore dire que j’en suis follement amoureux. Je suis fier de la personne qu’elle devient chaque jour. Elle est épanouie, et c’est tout ce qui compte pour moi.Nous sommes à l’école élémentaire Saint-Exupéry. Veronika doit lire un extrait de son nouveau livre devant une classe de jeunes élèves. La plupart ont entre cinq et sept ans. Une vraie garderie.Je suis adossé contre un mur crème. À côté de moi, une institutrice intime le silence à ses élèves. La salle se calme aussitôt. Veronika me cherche du regard. D’ailleurs, depuis que nous sommes arrivés, elle n’a fait que ça : me regarder.Ses yeux descendent v
Un mois, deux mois, trois mois. Je ne compte même plus. Trente jours. Soixante jours. Quatre-vingt-dix jours. Je crois que j’ai assez compté. Ça fait trois mois qu’elle n’est pas revenue. Pourtant, elle me l’avait promis. Sans elle, j’ai recommencé ma vie comme si nous ne nous étions jamais connus. Je suis retourné vivre dans ma maison, car rester dans la sienne me perturbait. Elle ne m’a pas envoyé un seul message. J’ai tenté de l’appeler, mais je tombe sur son répondeur à chaque fois. J’ai fini par abandonner et par me faire à l’idée qu’elle ne reviendra pas. Je vis ma petite vie : maison-boulot. C’est ma routine et plus rien ne l’égaye. Trois mois. Quatre-vingt-dix jours après son départ, je réalise que je suis amoureux d’elle. Si seulement je lui avais avoué mes sentiments avant qu’elle ne parte, je n’aurais pas à vivre avec ce sentiment constant de regret. C’est amer, c’est excessif. C’est trop. Je ne l’attends plus. Je préfère vivre avec nos souvenirs. Ces quelques jour
SentimentÉtat affectif ou affection profondeÊtre amoureux« Sentiments forts éprouvés pour une personne. L’amour nous fait l’idéaliser, d’où l’expression : l’amour rend aveugle. C’est un désir profond qui grandit avec le temps. Quand on est amoureux, on a sans cesse envie de voir l’être aimé, de le serrer dans nos bras. Sa simple présence suffit à nous rassurer et à nous apaiser. La personne amoureuse a peur de perdre celui ou celle qu’elle aime et serait prête à se sacrifier pour lui/elle. »⸻Où en sommes-nous, elle et moi ?Pourquoi je n’arrive pas à lui répondre clairement ?Elle se lève. Elle ne veut pas de réponse, elle l’a dit. Elle s’en va, me laissant seul. J’en profite pour réfléchir, mais c’est un vrai casse-tête. C’est compliqué…Les sentiments sont difficiles à comprendre. Il y a l’amour, l’amitié, et bien d’autres nuances. Tellement de choses dans lesquelles on se perd. J’y cogite longtemps, avant que le sommeil ne m’emporte.⸻Le jour se lève.J’ai dormi sur le canapé
Il faut que je lui dise au revoir. Oui, il le faut, pour que nos souvenirs ne deviennent pas des cauchemars et que le pardon ait raison de nous.Je veux dire au revoir aux mensonges, à la rancœur qui nous a séparés, car j’aime encore cette femme et je l’aimerai à jamais. Elle fait partie de moi.Autrefois, elle a été ma chair, mon âme sœur, ma côte, ma moitié. Je veux dire adieu à ses yeux verts émeraude, ceux qui me faisaient vriller à une époque. Ceux dont je suis tombé amoureux. Je l’ai aimée jusqu’à l’épuisement. Jusqu’à ce que mon cœur n’en puisse plus. Mais aujourd’hui, ce soir, il est temps de tourner définitivement la page.Un simple papier nous a séparés, mais nos mots, eux, n’ont pas été entendus. Non, nous n’avons pas su faire ressortir toutes ces choses que nous avions en nous. Et puisque nos chemins vont prendre des directions différentes, il est temps de le faire.La voiture de Jared roule sur la route. C’est lui qui conduit. Je suis assis à l’avant, côté passager. Je su
12h02Après une demi-journée de travail, je suis enfin prêt à rentrer à la maison. Enfin… chez Veronika. Ce matin, je suis passé chez moi pour me changer et récupérer ma voiture. C’est donc à son volant que je repars, direction la plage privée de Tsubaki.⸻La route est longue, monotone. Je bâille comme un idiot. Il me tarde d’arriver et de fouler le sable chaud. Je roule des heures sous une chaleur étouffante. Quand j’arrive enfin, il est presque quatorze heures. Je gare la voiture non loin de la maison, les véhicules n’ayant pas accès jusqu’à l’entrée.Je pousse la porte. Le salon est vide.— Veronika ? T’es là ?— Oui, dans la salle de—Sa voix se perd, trop faible pour que je distingue la fin. Je me laisse guider et arrive devant une porte entrouverte. Le bruit de l’eau me parvient. Elle est sous la douche.Je veux toquer, mais ma main hésite. Une envie étrange me pousse à franchir la porte. Je résiste. Je préfère attendre qu’elle descende. Mais soudain, mon pied pousse la porte t
Il est neuf heures. J’ai dormi sur le canapé, torse nu, car Veronika porte mon t-shirt. J’ai eu du mal à trouver le sommeil, trop occupé à veiller sur elle. J’avais peur de fermer les yeux et qu’elle disparaisse. Chaque fois que mes paupières se fermaient, l’angoisse revenait.Au réveil, je tombe sur son visage encore endormi. Je me lève doucement et m’approche d’elle. Je vérifie si elle respire toujours. Oui. Je souffle, rassuré.Le jour s’est levé. La nuit a été calme, malgré la tentation de suicide de Veronika. Y repenser me glace le sang. La peur revient, m’envahit de nouveau. Son corps presque inerte, son souffle disparu, son cœur que je ne sentais plus battre à l’unisson avec le mien… L’image m’étouffe.Cette femme est blessée, son âme n’a pas encore cicatrisé. C’est ce qui l’a menée au bord de l’eau, hier soir. Et moi, je n’ai rien vu venir. Elle s’est laissée emporter, ses poumons se remplissant d’eau. Je sais qu’à son réveil, elle me tiendra pour responsable, car ses démons o