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Chapitre 3 – Les corps se souviennent

Author: Jynx
last update Huling Na-update: 2025-06-28 03:58:56

Émilie

Mon téléphone vibre sur la table de nuit, une lumière bleue douce qui perce le voile du matin. Je tends la main, les yeux encore lourds de sommeil. Le nom qui s’affiche me tire un sourire : Léa, ma cousine. Ce prénom résonne comme une promesse de réconfort, d’échappée belle.

« Allô ? »

La voix de Léa est un torrent de joie et d’excitation, éclaboussant la pièce d’une chaleur contagieuse.

« Tu es prête pour cette semaine de folie ? J’ai trop hâte que tu arrives, Émilie ! »

J’entends le bruit familier des champs, des oiseaux, du vent dans les arbres. Elle est déjà au ranch, baignée de soleil et de vie, et moi, je suis encore ici, à Paris, à digérer l’idée de quitter mon quotidien.

« Oui, oui, je serai là demain. Prête à mettre le feu à ce mariage et à ton enterrement de vie de jeune fille ! » dis-je avec un rire timide.

« Parfait, parce que tu vas avoir besoin d’énergie. Et devine quoi ? Le meilleur ami de Mathis sera là aussi, il est sculpteur, un vrai artiste. Je parie que tu vas l’adorer. »

Je ris doucement, un peu incrédule.

« Tu me caserais presque… »

Elle rigole.

« Peut-être un peu. Mais surtout, prépare-toi. Cette semaine va tout changer. »

Je raccroche le sourire aux lèvres, un étrange mélange de nervosité et d’excitation qui commence à s’infiltrer dans mes veines.

Le lendemain, je quitte mon appartement, sac à dos sur l’épaule, le cœur un peu serré. Le train file à travers les paysages, quittant la ville grise pour s’enfoncer dans une campagne où le temps semble avoir ralenti.

Les collines ondulent à l’horizon, des prairies dorées se mêlent aux forêts profondes, et des chevaux libres galopent dans les champs.

Je ferme les yeux et respire cet air nouveau, frais et doux.

Mais mon esprit est ailleurs.

Il revient, ce rêve.

Le même depuis six mois, mais ce soir, plus vif, plus brûlant. Sa voix, son souffle contre ma peau, ses doigts qui effleurent mes hanches.

« Tu me manques », murmure-t-il.

Je me réveille en sursaut, le cœur battant.

À la gare, Léa m’accueille avec son sourire éclatant, le visage lumineux, les bras ouverts. Son futur mari, Mathis, est là aussi, calme et bienveillant.

Le trajet jusqu’au ranch est un poème vivant. Les chevaux hennissent, les fleurs sauvages dansent sous la brise, et la lumière caresse chaque détail avec une tendresse infinie.

Le ranch de Léa est un tableau d’authenticité : une maison de bois clair, une grande grange décorée de guirlandes, des champs à perte de vue.

Je suis accueillie comme une reine, mais en moi, une tension familière gronde.

Cette nuit-là, je rêve encore. Mais ce n’est plus un simple rêve.

Je suis nue, allongée sur une pelouse douce, les rayons du soleil filtrant entre les feuilles.

Il est là, agenouillé à mes côtés, ses mains chaudes sur mes hanches, son regard brûlant.

Il murmure mon prénom.

Je me réveille haletante, trempée de sueur, le corps en feu.

Le lendemain, je me lève tôt et pars marcher dans les champs, les bottes enfouies dans la rosée fraîche.

Je longe les sentiers bordés de haies, le souffle du vent mêlé aux chants d’oiseaux.

Et soudain, devant un atelier de bois, il est là.

De dos, concentré, les bras nus, un jean usé, un tablier taché.

Je reste figée, mon cœur prêt à exploser.

Je ne distingue pas son visage, mais quelque chose en moi sait.

C’est lui.

Gabriel, lui, est en plein travail.

Le bois répond à ses gestes, chaque copeau tombant avec un bruit sec et régulier.

Mais il ne sculpte pas. Il s’épuise à chercher ce qu’il ne trouve pas.

Le visage de la femme qu’il ne connaît pas hante ses mains, ses rêves, son âme.

Il sent une présence.

Il se retourne, mais il n’y a rien.

Pourtant, il sait.

Les jours passent, chargés de préparatifs, de rires, de longues soirées à décorer la grange.

Je participe à tout, mais mon esprit divague.

Je cherche des signes.

Je sens parfois son regard, puis rien.

Je me demande si je ne suis pas en train de devenir folle.

Le soir du troisième jour, la fête bat son plein.

Les enterrements de vie de jeune fille et de garçon sont réunis.

La musique country emplit la grange, les verres tintent, les corps dansent.

Je ris, je bois, les joues rouges, l’alcool réchauffant mon corps.

Puis je le vois.

Adossé à un pilier, verre en main, ses yeux plongés dans les miens.

Le temps s’arrête.

Je sens mes jambes fléchir, mon cœur tambouriner.

Il fait un pas vers moi.

Puis quelqu’un le touche sur l’épaule.

Il détourne le regard.

Je cligne des yeux.

Il a disparu.

Je m’éloigne, le souffle court, le corps en feu.

Je sais maintenant que ce n’est pas un rêve.

Il est réel.

Et il me brûle.

Gabriel sort de la grange, l’air frais lui frappant le visage.

Il sent son cœur s’emballer, chaque battement une promesse.

Il ne sait pas encore comment, mais il la trouvera.

Et cette fois, il ne la laissera pas s’échapper.

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