Les jours qui suivirent l’arrivée de Marie Besson furent comme un répit inattendu pour Léa.Durval, d’ordinaire omniprésent dans ses déplacements, dans ses gestes, dans ses silences qui s’étiraient pour la maintenir sous pression, semblait désormais tourné ailleurs. Et cet ailleurs portait le nom, les talons et le rire feutré de Marie.La jeune femme, revenue de Londres, naviguait dans les couloirs du Conglomérat avec une assurance désarmante. Elle s’installait dans les salles de réunion sans qu’on l’y ait conviée, improvisait des présentations, suggérait des pistes de développement devant Durval avec une audace presque irrévérencieuse. Et Durval, loin de la remettre à sa place, souriait. Léa n’avait jamais vu ce sourire-là. Ce sourire approbateur, presque… complice.Au début, Léa s’en félicitait. Elle pouvait enfin souffler. Retrouver un peu de silence, de normalité. Elle en profitait pour terminer ses dossiers en paix, éviter les appels nocturnes, ne plus recevoir ces textos ambi
Elle ne répondit pas tout de suite. C’était trop étrange. Cette façade de fragilité, d’humanité. Était-ce une autre de ses manipulations ? Ou était-ce vrai ?— Tu m’as blessée, dit-elle simplement.Il leva les yeux vers elle. Un silence lourd suivit.— Je sais. Je sais ce que je t’ai pris. Et pourtant… je n’arrive pas à te laisser partir.Il pencha la tête sur le côté, la fixant.— Est-ce que tu penses à moi… quand je ne suis pas là? Elle baissa les yeux, les joues soudain rouges.— Parfois, murmura-t-elle malgré elle.Il sourit, très légèrement.— Moi, je pense à toi tout le temps. Même quand je ne devrais pas.Puis, lentement, il s’allongea, étendu sur le dos, regardant le plafond.— Tu sais, j’ai toujours vécu dans le contrôle. Dans la stratégie. J’ai appris que l’amour est une faiblesse. Une distraction dangereuse. Mais toi, tu t’insinues partout. Tu t’infiltres dans ma tête, Léa.Elle resta sans voix. Il ne l’avait jamais regardée comme ça. Pas comme un objet. Mais co
Elle avança dans le vaste salon, suivant les bruits de pages qu’on tournait nonchalamment.Einer Durval était là. Installé confortablement dans un fauteuil bas, jambes croisées, torse légèrement penché sur un journal économique. Il portait une chemise bleu nuit ouverte sur le col, et ses manches soigneusement retroussées laissaient entrevoir ses avant-bras tendus.Il leva à peine les yeux.— Où étais-tu, Léa ?Elle s’arrêta, droite, face à lui.— Je suis allée voir ma mère , murmura-t-elle.Il replia lentement le journal et le posa sur la table basse.— Ta mère? Tu ne m’as pas prévenu.— Je… Je pensais rentrer à l’heure. Mais j’ai dû la rassurer. Il hocha doucement la tête, puis tapota deux fois ses doigts sur l’accoudoir.— Tu sais ce que je ne comprends pas, moi ? Pourquoi le dîner n’est pas prêt.Elle cligna des yeux, déstabilisée.— Pardon ?Il se leva. Mesuré. Froid.— Tu vis ici maintenant. Tu manges ici. Tu dors ici. Tu utilises mon toit, mon lit, mes ressources.
Cela faisait deux jours que Charles n’avait pas vraiment vu Léa. Deux jours à se contenter de ses réponses brèves, de ses sourires mécaniques, de ses silences soudains. Deux jours à se demander ce qu’elle lui cachait.Ce samedi-là, il attendait devant le café où ils s’étaient donnés rendez-vous. Il était venu avec l’espoir qu’en dehors du bureau, loin de cette pression invisible qu’il sentait flotter autour d’elle, elle parlerait enfin.Léa arriva avec dix minutes de retard. Elle avait l’air fatiguée. Son visage était pâle, ses yeux gonflés trahissaient un sommeil tourmenté.— Salut, dit-elle en déposant un baiser rapide sur sa joue.— Salut. T’as l’air crevée.Elle haussa les épaules.— La semaine a été longue.— Tu veux qu’on s’installe ?Ils prirent place à une petite table en terrasse. Le soleil perçait timidement à travers les nuages. Le serveur vint rapidement prendre leur commande, et Léa demanda un thé.Charles la regardait avec attention. Elle évitait son regard. Il
La voiture noire aux vitres teintées se gara devant l’immeuble du Conglomérat Durval. Léa descendit la première, talons nets sur le trottoir. À ses côtés, Durval sortit tranquillement, la veste impeccable, le visage aussi impénétrable que d’habitude.La portière se referma dans un bruit feutré. Léa leva les yeux vers la façade du bâtiment. Son cœur tambourinait. Elle n’était pas prête. Mais elle n’avait pas le choix. Encore une fois.Ils franchirent les portes de verre ensemble.Dès l’instant où elle posa le pied dans le hall, les regards fusèrent. Discrets pour certains, insistants pour d’autres. Des chuchotements étouffés naissaient derrière les écrans d’ordinateur, des silences trop lourds s’installaient entre les discussions.Une assistante fronça légèrement les sourcils en les voyant passer côte à côte. Un analyste détourna les yeux, l’air coupable.Léa sentit ses joues se réchauffer. Elle n’osa pas croiser un seul regard. Son sac plaqué contre sa hanche, elle avança droit,
Le matin filtrait doucement à travers les rideaux en lin beige. Dans la grande chambre d’amis, Léa ouvrit les yeux sur le plafond haut, la lumière dorée, le silence feutré. Ce n’était pas chez elle. Ce n’était pas son lit, ni son monde. Elle tourna la tête. Émilie dormait à ses côtés, paisible, les joues encore marquées de la peur de la veille.Léa se leva doucement, attrapa un peignoir posé sur une chaise, et se dirigea vers la fenêtre. Dehors, les jardins taillés au millimètre reflétaient une perfection presque irréelle. L’odeur du café montait déjà depuis le rez-de-chaussée, portée par une brise légère. Tout était calme. Luxueux. Et pourtant, elle n’avait jamais ressenti un tel malaise.Elle ne voulait pas rester ici.Elle descendit, lentement, les marches massives du grand escalier. Dans la cuisine, un domestique lui adressa un sourire poli.— Bonjour, mademoiselle. Le petit-déjeuner est servi dans la véranda.Elle ne répondit pas, ou à peine, et continua jusqu’à la véranda.