LOGINL’aube pointait à peine à l’horizon lorsqu’elle se réveilla en sursaut. Le drap à côté d’elle était froid. Sesar était déjà parti. Comme toujours, sans un mot, sans un regard. L’odeur de son parfum flottait encore dans la pièce, lourd, entêtant, presque agressif. Lisa s’assit sur le bord du lit, nue, la peau moite, le cœur serré. La nuit avait été longue, étouffante, pleine de fausses caresses et de véritables cauchemars.
Elle ferma les yeux quelques secondes, essayant de retrouver un semblant d’équilibre. Mais à l’intérieur, c’était le chaos. Le vide. Elle se leva lentement, prit une douche brûlante comme pour effacer l’empreinte de Sesar sur son corps. Elle se lava longuement, minutieusement, frottant chaque centimètre de peau avec une rage sourde. Elle ne pleura pas. Plus maintenant. Elle n’avait plus le luxe de la faiblesse. Quand elle rentra chez elle, la maison était calme. Trop calme. Elle se dirigea vers la chambre de Bobby, mais le lit était vide. Une note était posée sur la table du salon, griffonnée de la main de la baby-sitter : « Bobby est à l’école. Il a pris son petit déjeuner et m’a dit qu’il allait bien. Appelle-moi si besoin. — Clara. » Lisa soupira de soulagement. Elle posa son sac, retira ses chaussures, puis se dirigea vers la cuisine. Le carrelage froid sous ses pieds lui rappelait qu’elle était bien revenue à la réalité. Elle prépara un café fort, noir, sans sucre. Elle en avait besoin. Elle s’assit à la table, le regard dans le vide, les mains enroulées autour de la tasse brûlante. Elle pensa à la nuit dernière. Aux lèvres de Sesar sur sa peau. À ses mains possessives. À ses murmures empoisonnés. Et à ce fichu coup de téléphone qui avait tout bouleversé. La cargaison interceptée. Il devenait paranoïaque. Et donc plus dangereux. Lisa sortit son téléphone, hésita une seconde, puis composa un numéro sécurisé. Il ne sonna que deux fois. — Capitaine Reyes. — C’est moi, murmura-t-elle. Un silence, puis : — Où es-tu ? Ça va ? — Chez moi. Bobby est à l’école. Je suis rentrée tôt ce matin. — Des nouvelles de McGir ? Lisa inspira profondément. — Il est venu hier soir. Comme prévu. Il… il était tendu. Quelqu’un a intercepté la cargaison. Il pense qu’il y a une taupe. — Il en a parlé ouvertement ? — Pas avec des détails. Mais assez pour comprendre qu’il est sur ses gardes. Il va commencer à resserrer les mailles. Il devient prudent, Reyes. Trop prudent. Elle marqua une pause. Elle regarda autour d’elle, comme si les murs pouvaient l’écouter. — Je suis montée dans sa chambre pendant qu’il dormait. J’ai cherché. Des indices, n’importe quoi. Mais il n’y avait rien. Il cache tout ailleurs. Pas de papiers, pas d’armes visibles, pas de trace de la cargaison. Reyes soupira à l’autre bout du fil. — On s’en doutait. Ce type est intelligent, Lisa. Il ne laisse rien traîner. Et là, il va devenir encore plus méfiant. — Je le sais. Je fais tout ce que je peux pour le mettre en confiance, mais… chaque nuit me détruit un peu plus. Un silence s’installa. Elle entendit Reyes murmurer quelque chose à quelqu’un d’autre, puis revenir vers elle. — Tu tiens le coup ? Elle ferma les yeux. — Je n’ai pas le choix. — Tu peux faire une pause. On peut te sortir de là. — Non. Pas maintenant. Pas alors qu’il commence à paniquer. Je dois rester. Il y eut une hésitation au bout de la ligne, puis Reyes reprit : — On t’enverra un renfort discret. Quelqu’un qui peut t’aider sans attirer l’attention. Tu le croiseras bientôt. On a besoin d’un autre œil dans ce cercle. Tu es trop seule. Lisa hocha la tête, même si Reyes ne pouvait pas la voir. Elle termina son café d’un trait, grimaça, puis se leva. — Je reste à l’écoute. Je vous envoie un rapport détaillé dans l’heure. — Fais attention à toi, Lisa. Elle raccrocha sans répondre. Elle resta debout un long moment, le téléphone toujours dans la main. Puis elle se dirigea vers le salon, s’installa devant son ordinateur portable et ouvrit le fichier sécurisé qu’elle utilisait pour ses rapports. Ses doigts tremblaient légèrement au début, mais elle se força à écrire. À tout noter. Chaque mot de Sesar. Chaque détail de la nuit. Chaque élément, aussi petit soit-il, pouvait servir. Quand elle eut fini, elle relut le tout, puis envoya le fichier à l’adresse cryptée fournie par Reyes. Ensuite, elle se laissa tomber sur le canapé, épuisée. Un jour, ce cauchemar prendra fin, pensa-t-elle. Un jour, je verrai ce monstre enchaîné. Et ce jour-là, je pourrai peut-être recommencer à respirer. Mais pour l’instant, elle devait continuer à jouer son rôle. Celui de Dolce. La poupée de Sesar. Elle ferma les yeux. Dans sa tête, une image s’imposa. Celle de Bobby. Son rire. Son regard. Elle se leva, alla chercher une photo de lui sur le meuble du salon, la caressa du bout des doigts. — Pour toi, murmura-t-elle. Tout ça, c’est pour toi. La nuit tombait à peine sur la ville, mais les couloirs du QG résonnaient déjà du murmure des hommes, des allers-retours nerveux, des mots soufflés dans l’obscurité. Lisa, toujours vêtue de sa robe noire moulante, traversa le hall sans un mot, chacun s’écartant à son passage. Dolce. Voilà comment on l’appelait ici. La favorite du Roi. Un garde lui ouvrit la porte du dernier étage. Elle entra. L’ambiance dans la pièce était étouffante, voilée de fumée et d’un parfum de cuir chaud. Sesar était seul, adossé à la baie vitrée, une cigarette à la main, ses yeux fixés sur les lumières de la ville. Il ne se retourna pas tout de suite, mais il avait senti sa présence. — Je t’ai attendue, dit-il calmement. Elle ne répondit pas, préférant s’approcher lentement. — Tu m’as dit de ne venir que si j’en avais envie, Sesar. — Et t’es venue. C’est tout ce qui compte, murmura-t-il en écrasant sa cigarette. Il se retourna enfin. Ses yeux avaient ce mélange de fatigue et d’obsession, une faim étrange, brûlante. Il la dévisagea longuement, puis s’approcha d’elle, posant une main sur sa joue. — Tu dors encore chez toi ce soir ? demanda-t-il, sa voix douce, presque blessée. Elle haussa les sourcils, surprise par la question. — Évidemment. Pourquoi ? Il prit une inspiration plus longue. Il semblait hésiter. Et puis, dans un souffle : — J’ai envie de t’avoir près de moi. Chaque nuit. J’en ai marre que tu partes, Dolce. J’en ai marre de me réveiller sans toi. Je veux te savoir là. Je veux pouvoir te tenir dans mes bras, sentir ton souffle… Tu comprends ? Un silence s’abattit. Un vrai. Un silence qui hurlait entre eux. Lisa le fixa sans ciller. Il s’était approché si près qu’elle pouvait sentir sa chaleur. Et ce qu’elle vit dans ses yeux… c’était réel. Pas de jeu. Pas de manipulation. Il ne mentait pas. Pas cette fois.Mais le garçon n’eut pas le temps de réagir. Un autre homme fondit sur lui et le souleva en hurlant.— Maman ! MAMAN !!— BOBBY !! hurla Lisa en se jetant vers lui.Trop tard. Raphaël tira un coup en l’air et cria à ses hommes :— On s’en va ! Maintenant !Dans la confusion, Lisa fut projetée en arrière. Sa tête heurta violemment le mur. Sa vision se brouilla. Elle vit flou, des silhouettes courir, des cris, Bobby qui tendait les bras vers elle, déchirant l’air de son cri :— MAMAAAN !Puis la porte vola en éclats derrière elle.— LISA !!Sesar. Il entra comme une tornade, l’arme au poing, les yeux injectés de sang. Il la vit au sol, se précipita vers elle.— Il a… Bobby… murmura-t-elle.Sesar ne dit rien. Il regarda vers le couloir déjà vide, les impacts de balle, la fumée. Il serra les dents.— Ils vont vers la cour arrière. Je dois y aller.— Je viens avec toi ! s’écria Lisa en tentant de se relever.Mais Sesar la repoussa violemment contre le mur, la retenant d’un bras ferme.— Tu
Lisa se pencha, plissant les yeux. — Non… non… c’est impossible… La portière s’ouvrit. Un homme en costume sombre descendit lentement, comme s’il savourait l’instant. Son visage, bien que marqué par les années, n’avait rien perdu de sa dureté : un regard glacial, des pommettes hautes, un sourire cruel qui n’appartenait qu’à lui. — Raphaël… murmura Lisa, les jambes flageolantes. — Il est vivant… Son souffle se coupa. Des images se superposèrent dans sa tête : ce père autoritaire, charismatique, qui lui avait appris à tirer, à mentir, à survivre. Cet homme qu’elle avait cru mort par Sesar, dont le corps n’avait jamais été retrouvé. Il était là. Vivant. Plus terrifiant que jamais. À l’extérieur, Carmine et Sesar étaient déjà en position, entourés de cinq hommes armés. Sesar avança seul de quelques pas, un regard noir braqué sur l’homme qui sortait de la voiture. — Tu n’es pas le bienvenu ici, Raphaël. L’homme éclata d’un rire froid et sarcastique. — Ah… Sesar. Mon propr
Lisa était recroquevillée sur le fauteuil, un plaid sur les jambes, le journal d’Émilie à moitié refermé sur ses cuisses. Ses yeux étaient rouges d’épuisement, ses pensées embrouillées. Depuis qu’elle avait découvert les écrits de cette femme qu’on disait être sa mère biologique, elle ne savait plus à quoi se raccrocher. Elle avait été élevée par un homme qui n’était peut-être qu’un meurtrier et un imposteur, et elle vivait désormais sous le même toit que le fils de cet homme, Sesar, un manipulateur froid qui disait agir pour “la vérité”.La porte s’ouvrit brusquement. Elle n’eut même pas la force de sursauter.— Alors ? lança Sesar, en entrant d’un pas tranquille, les mains dans les poches.— Tu as fini de pleurer comme une madeleine ?Lisa leva lentement la tête vers lui, les joues humides, les yeux encore brillants. Son regard était vidé d’émotion, mais une lueur de colère y naissait doucement.— Va-t’en, Sesar. Laisse-moi tranquille.Il ferma la porte derrière lui et resta debout
— Émilie a fui. Avec toi Tu avais deux ans. Mais Raphaël vous a retrouvées. Il a fait croire que ta mère était morte dans un accident. Il t’a arrachée à elle. Il t’a élevée comme un trophée. Une enfant qu’il avait modelée pour mieux se donner bonne conscience. Lisa tomba à genoux, tremblante. — Tu veux me faire croire que ma vie entière est un mensonge… Sesar s’accroupit près d’elle, lentement. — Non. Je veux que tu comprennes que tu es l’héritière légitime de l’empire D’Estréa. Que tu viens d’une lignée bien plus noble que celle de ces monstres Wood. Tu n’es pas une victime, Lisa. Tu es le fruit d’une guerre. Et tu peux décider si tu veux la subir… ou la terminer. Elle releva les yeux vers lui, remplis de haine et de confusion. — Et toi ? Pourquoi tu m’as enlevée ? Pourquoi tu m’as enfermée ? Pourquoi tu m’as… fait ça ? Un long silence. — Parce que je t’aimais. Et que je te détestais pour ressembler à cette époque où j’étais faible.Et parce que… malgré tout… tu es ce
Sésar se rapprocha encore, son visage à quelques centimètres du sien. — Tu crois tout savoir, hein Lisa ? Tu crois que t’es cette pauvre petite victime, la fille du grand Raphaël Wood ? La princesse du royaume Wood ? Tu sais même pas qui tu es. Lisa fronça les sourcils. — Qu’est-ce que tu racontes maintenant ? Tu veux encore m’endoctriner avec tes mensonges ? Un rictus amer déforma le visage de Sésar. — Je comprends mieux pourquoi Raphaël a tué tes parents. Ils étaient aussi bornés, aussi stupides que toi. Lisa sentit son cœur se serrer. — Quoi ?… Répète ce que tu viens de dire ! Sésar eut un long silence. Puis, comme si les mots lui brûlaient la bouche : — Tu n’as jamais été la fille de Raphaël Wood. Tu ne sais rien de ta propre histoire. Tu n’étais qu’un pion, une erreur dans un plan plus vaste que toi. Et tu te tiens encore là, à parler d’amour et de justice, comme une idiote. — Tu mens ! hurla Lisa, la voix brisée. Tu mens ! Tu mens comme toujours ! Tu es malad
Lisa le recula un peu pour observer son visage. — Tu vas bien ? Ils ne t’ont pas fait de mal ? — Non… tonton Sésar m’a même parlé. Il a été gentil avec moi. Il a dit… Le regard de Lisa changea, et Bobby hésita. Il baissa les yeux. — Il a dit quoi ? demanda-t-elle doucement, mais fermement. — Il a dit… qu’il était mon père. Lisa sentit un coup violent dans sa poitrine. Elle vacilla légèrement. — Quoi ? souffla-t-elle. — Il a dit qu’il était mon papa. Et qu’il m’aimait. Il m’a serré dans ses bras… Il avait l’air sincère, maman. Le silence tomba comme une chape de plomb dans la pièce. Lisa le fixait sans pouvoir parler. Son corps s’était figé, et son cœur, fracassé, battait à tout rompre. — Non, Bobby, dit-elle enfin d’une voix basse et tremblante. Non, tu ne dois jamais redire ça. Tu m’entends ? — Mais… pourquoi ? Tu m’as toujours dit que papa était loin… — Parce que je voulais te protéger ! Elle se leva brusquement, commença à faire les cent pas, nerveuse, la