Lisa détourna les yeux vers la rue. Elle sentait son cœur cogner plus vite. Il n’était pas comme les autres. Il avait ce quelque chose de calme mais déterminé. Un homme dangereux, sûrement. Mais peut-être pas pour elle.
— Vous n’avez pas peur de vous asseoir avec une inconnue qui pourrait être armée ? lança-t-elle. Il sourit. — Si vous l’étiez, vous auriez déjà tiré. Le silence retomba. Pas gênant. Plutôt… enveloppant. — Je peux vous offrir quelque chose ? reprit Marco. — Un thé noir. Il fit signe au serveur. Quand la commande arriva, Lisa entoura sa tasse de ses deux mains comme pour s’y raccrocher. — Vous avez ce regard, dit-il soudain. Celui des gens qui portent une tempête en eux. — Et vous, vous avez ce regard des gens qui croient pouvoir l’éteindre, répliqua-t-elle doucement. Il hocha la tête, un peu admiratif. — J’aime bien parler avec vous, Lisa. Elle sursauta. Il savait son prénom. — Ne soyez pas surprise. Reyes m’a parlé de vous… en bien. Vous avez du cran. Vous êtes douée. Trop douée pour faire ce que vous faites actuellement. Il faisait référence à sa couverture. À ce rôle de “Dolce”, la fille facile que Sesar avait ajoutée à sa collection de trophées. Marco la regardait sans jugement. Il savait. Et il comprenait. — Faites attention, dit-il en se levant. Dans ce genre de jeu, on finit toujours par se brûler. — Peut-être que je cherche à brûler quelque chose, répondit-elle sans réfléchir. Il la fixa longuement, puis hocha doucement la tête. — Alors ne perdez pas de vue pourquoi vous avez allumé l’incendie. Et sur ces mots, il s’éloigna. Elle le suivit des yeux, son cœur battant plus vite que jamais. Elle ne savait pas encore si Marco serait un allié ou une menace. Mais une chose était sûre : il venait de fissurer un peu plus l’armure qu’elle avait mis des années à construire. Et dans ce monde de trahisons, de mensonges et de vengeance… c’était peut-être le plus grand des dangers. pitre : L’alerte La nuit s’était installée sur la ville comme un voile d’encre, étouffant les bruits du jour, laissant derrière elle une ambiance trouble, presque oppressante. Lisa s’était préparée avec soin. Elle portait une nuisette noire, simple mais terriblement élégante, qui mettait en valeur ses courbes sans tomber dans la provocation. Elle savait que ce soir encore, il viendrait. Et elle devait être prête. Prête à le séduire. Prête à jouer son rôle. Un peu après vingt-deux heures, la sonnette retentit. Elle alla ouvrir, le cœur lourd sous son calme apparent. Sesar McGir se tenait devant elle, vêtu d’un long manteau sombre, le regard intense, les traits légèrement tirés. Il entra sans un mot, sans lui accorder un sourire. Il avait cette façon de posséder l’espace, de faire peser sa présence, comme s’il était le centre de l’univers. Lisa referma la porte derrière lui, lentement, puis se retourna. — Tu es tendu, dit-elle doucement, presque comme une caresse. Il ne répondit pas tout de suite. Il retira son manteau, le jeta sur le dossier d’un fauteuil, puis s’approcha d’elle. D’un geste lent, il fit glisser ses doigts le long de son bras nu. — J’ai eu une journée de merde, Dolce, murmura-t-il. J’avais besoin de me vider la tête. Et le corps. Elle déglutit, mais ne laissa rien paraître. — Tu es chez toi, répondit-elle. Il l’attira contre lui. Son souffle était chaud, imprégné d’alcool et de colère rentrée. Ses lèvres trouvèrent les siennes avec une brutalité presque possessive. Lisa ferma les yeux, se laissa faire. Elle le laissa glisser ses mains sur son corps, l’embrasser dans le cou, lui murmurer des choses qu’elle ne voulait pas entendre. Son cœur battait vite, pas de désir, non. D’angoisse. De haine contenue. Elle revivait cette nuit-là, il y a six ans. La chambre de son père. Le sang. La peur. La douleur. Et maintenant elle était là, à nouveau, prisonnière du monstre. Mais elle devait le faire. Elle devait continuer. Pour Bobby. Pour la justice. Pour elle-même. Sesar la souleva sans effort, la porta jusqu’à la chambre. Il la déposa sur le lit, la dévora du regard, puis se pencha sur elle. Leurs corps s’emmêlèrent dans une étreinte électrique. Elle ne bougea pas, à peine. Elle l’embrassa comme il le voulait. Elle gémit comme il aimait. Et au fond d’elle, elle pleurait en silence. Mais soudain, la sonnerie de son téléphone retentit. Brève, agressive. Il grogna, se redressa à moitié, attrapa l’appareil posé sur la table de chevet. Lisa se redressa elle aussi, en enroulant le drap autour d’elle. — Quoi ? aboya-t-il. Elle observa attentivement. Il s’était figé. Son regard s’était assombri d’un coup. Il écoutait. Quelques secondes plus tard, il lâcha : — Merde. Il se leva, nu, furieux, passa une main dans ses cheveux en bataille. — Qu’est-ce qu’il se passe ? demanda Lisa d’une voix douce, feignant l’inquiétude. — La cargaison. Une partie du convoi a été interceptée à la frontière. Ils ont saisi deux camions. On pense que quelqu’un a parlé. Il marchait dans la chambre, furieux, nerveux. Lisa, toujours dans le lit, gardait un air inquiet mais intérieurement, son cerveau tournait à mille à l’heure. La cargaison… Cela devait être celle dont Capitaine Reyes parlait dans le dernier rapport. Elle ne savait pas que l’opération allait déjà frapper aussi fort. Il fallait qu’elle garde la face. — Tu crois que c’est un flic infiltré ? demanda-t-elle doucement. Il la regarda un instant, les yeux perçants. — Peut-être. Ou un petit con qui veut jouer au héros. En tout cas, je vais devoir resserrer les rangs. Être prudent. Il alluma une cigarette, torse nu, tendu comme une corde. Lisa descendit du lit, s’approcha, posa une main sur son épaule. — Tu devrais te reposer un peu. La fatigue peut te faire faire des erreurs. Il la regarda longuement, puis souffla : — T’es la seule qui me calme, Dolce. La seule. Elle se força à sourire, alors que cette phrase la rendait malade. — Alors laisse-moi te calmer, souffla-t-elle en l’embrassant à nouveau. Il se laissa faire, mais elle sentait qu’il n’était plus tout à fait là. Son esprit était déjà ailleurs, à préparer des contre-mesures, à chercher des taupes, à planifier sa vengeance.Lisa referma la porte derrière elle, le cœur battant, les mains encore marquées du souvenir de la poigne de Sesar autour de sa gorge. Elle inspira profondément, secouant la tête comme pour faire disparaître ce goût métallique de peur et de rage mêlées. Il fallait rester concentrée. Direction la cuisine. Elle ne savait même plus l’heure qu’il était. Peut-être minuit, peut-être plus tard. La villa était silencieuse, presque trop. Les hommes de Sesar devaient encore faire la ronde dans la cour. Carmine… probablement pas loin. Toujours à l’affût. Toujours prêt à frapper au moindre faux pas. Lisa mit l’eau à bouillir, sortit une tasse noire mate, parfaitement assortie à l’univers sombre de cet endroit. Elle ouvrit le placard, trouva un café en grains luxueux, puis le moulin. Les gestes étaient lents, précis. Elle gagnait du temps. Tentait de calmer le tremblement discret qui lui parcourait la nuque. Elle pensait à Bobby. À son petit corps chaud contre elle. À sa respiration douce lor
Elle ferma les yeux une seconde pour retrouver son calme. Puis les rouvrit lentement, laissant une larme solitaire couler sur sa joue. — Lâche-moi, Sesar… Tu me fais mal. Il ne bougea pas, ses yeux cherchant désespérément la faille dans son visage. Elle inspira profondément. — Reyes est… l’amant de ma sœur. C’est compliqué, mais j’avais besoin de lui parler. Je suis allée chercher l’argent de Bobby. Tu sais, l’enfant dont je m’occupe parfois. C’est mon neveu. Ma sœur me laisse le garder, mais elle me paie pour ça. Elle ne veut pas que son mari sache pour l’argent, alors c’est Reyes qui me le donne. Sesar ne répondait pas. Sa respiration s’était accélérée. Il tremblait légèrement, comme s’il se battait avec lui-même. — Je suis désolée, j’aurais dû te dire où j’allais… Mais j’avais peur que tu penses que je te cache des choses. Et c’est exactement ce que tu crois, non ? Il la relâcha brusquement. Elle chancela, mais ne tomba pas. Il recula de quelques pas et s’assit lourdem
À l’intérieur du commissariat, elle croisa quelques visages familiers. Certains la saluèrent brièvement, d’autres détournèrent les yeux, mal à l’aise. Son statut entre deux mondes ni tout à fait flic, ni tout à fait civile dérangeait. Elle le savait. Et s’en fichait. Elle trouva Reyes dans son bureau, penché sur un dossier, cigarette au coin des lèvres, les sourcils froncés. — Il faut qu’on parle, dit-elle sans préambule. Il leva les yeux, referma lentement le dossier et éteignit sa cigarette dans le cendrier métallique déjà rempli. — T’as du cran de venir comme ça après ce que t’as fait hier. — Ce que j’ai fait ? Tu veux dire… ne pas avoir tué un homme à moitié mort devant son portail ? Excuse-moi de ne pas être une exécuteuse professionnelle ! Reyes se leva brusquement, sa chaise raclant le sol avec un bruit sec. — Lisa, on t’a intégrée dans cette mission parce que t’as des raisons personnelles, mais aussi parce qu’on pensait que tu savais rester froide. Et là, t’as la
Le portail claqua doucement derrière elle. Le calme de la soirée contrastait brutalement avec la tension de la villa de Sesar. Ici, dans cet appartement discret qu’elle appelait “chez elle”, Lisa pouvait enfin baisser la garde. Ou du moins, essayer. Elle monta les escaliers lentement, ses talons dans une main, les clés dans l’autre. Elle s’arrêta une seconde devant la porte, inspirant longuement avant de l’ouvrir. L’intérieur était paisible. Le salon baignait dans une lumière tamisée, filtrée par l’abat-jour en rotin suspendu au plafond. Et là, sur le canapé beige légèrement usé, une scène d’une tendresse rare lui serra le cœur : Bobby, son fils, était profondément endormi, la tête penchée en arrière, un bras autour de la petite Clara, la baby-sitter de seize ans qui somnolait encore, la tête appuyée sur son épaule. Lisa referma la porte avec délicatesse et s’approcha. Le visage de Bobby, à moitié enfoui dans le coussin, semblait si calme, si innocent, qu’elle sentit une larme
La cour intérieure de la villa baignait dans la lumière chaude du matin. Le soleil perçait à travers les branches du vieux flamboyant au centre de l’allée, et les hommes de Sesar, en tenue sobre, allaient et venaient, organisés comme une fourmilière sous tension. Carmine, en veste noire impeccablement boutonnée, se tenait face à Evan Marly, un homme au regard froid et au costume italien bien ajusté. Les deux hommes discutaient à voix basse près de la fontaine, leurs silhouettes trahissant une conversation sérieuse, ponctuée de gestes fermes et de hochements de tête. De temps en temps, Evan jetait un regard vers la maison, comme s’il s’assurait que personne n’écoutait. Lisa, depuis la terrasse ombragée, observait la scène en silence, un verre d’eau à la main. Elle avait attaché ses cheveux en un chignon désinvolte, se fondant dans le décor avec la grâce discrète d’une ombre bien entraînée. Son cœur battait à un rythme irrégulier. Elle savait que cette rencontre entre Carmine et E
Elle ferma les yeux. Elle voyait encore Sesar étendu sur le lit, pâle mais le regard brûlant quand il lui avait dit qu’il voulait qu’elle reste. Elle repensa à la pression de ses lèvres contre les siennes quelques heures plus tôt. Ce n’était pas de l’amour… mais ce n’était plus de la haine pure non plus. Quelque chose d’invisible la tirait encore dans cette maison. — Je viens de trouver un carnet de mon père. Avec des éléments clés. Peut-être un complice. Ou un nom qu’on n’a jamais eu. Si on agit maintenant, je perds tout. Je veux la vérité, pas juste une arrestation. Reyes souffla, agacé. — Tu joues un jeu dangereux, Lisa. Tu commences à t’impliquer. — Je suis déjà impliquée, capitaine. Elle raccrocha. Son regard glissa vers le carnet posé sur la couverture. La nuit était lourde et moite. Dehors, les grillons chantaient. Dedans, les démons ne dormaient jamais. Carmine se tenait près de la fenêtre, les bras croisés, une cigarette éteinte entre les doigts. Le jour venait