LiraJe respire.Et cette fois, ce n’est plus un dernier geste désespéré lancé contre l’oubli, ce n’est plus une supplique adressée aux ténèbres pour retarder l’effacement non, cette fois, c’est une décision.Le souffle revient. Lourd. Râpeux. Mais réel.Il entre en moi comme on ouvre une brèche dans une citadelle assiégée depuis des jours, des nuits, des éternités.Et je le laisse faire.Il me déchire, il me ravage, il me blesse presque mais je le laisse faire, car dans sa morsure il y a une vérité, et cette vérité, c’est que je suis encore là.Mon corps est une masse de pierre, une montagne inerte qui refuse d’obéir. Mes membres pèsent une tonne. Mon sang coule lentement, comme s’il hésitait encore à reprendre sa course. Et mes paupières, refermées depuis ce qui me semble être une autre vie, sont devenues des murailles opaques entre moi et le monde.Mais derrière ces murs, je sens.Quelque chose. Quelqu’un. Elle.L’espace a changé.Ce n’est pas une trace visible. C’est une tension,
VolarionElle n’ouvre pas les yeux.Pas une fois.Pas même lorsque la lumière du matin racle les rideaux, traînant son or sale sur le sol battu de la tente.Pas même lorsque les oiseaux, les enfants, la vie reprennent leur place dans le village.Elle respire encore, oui.Mais à peine.Comme si chaque souffle était mesuré, pesé, jugé.Comme si son corps devait convaincre quelque chose de la laisser rester.Moi, je ne dors plus.Je ne pense même pas.Je suis là. Je veille.Et dans cette veille, je m’effrite.À force de silence, je deviens pierre.Je parle souvent.Des souvenirs simples, anodins.Le goût des pommes rouges dans la clairière.Le froid de la rivière qu’elle n’aimait pas.La façon dont elle avait, un soir, ri si fort qu’elle en avait pleuré.Mais elle ne réagit pas.Et je sens que quelque chose s’éloigne.Un fil invisible, mais tendu.Un fil qui se détend.Qui glisse.Qui menace de se rompre.C’est là que je la sens.Nael.Pas un bruit.Mais une présence.Entêtante , persist
LiraJe ne comprends pas pourquoi mes pas me conduisent vers lui.Je ne comprends pas comment je me dirige vers cette silhouette figée dans le silence.Je ne prends aucune décision.Je n’exerce aucune volonté.Je ne ressens même pas une pulsion.Je ressens un appel.Je ressens un glissement lent et irrévocable.Je réponds à une force ancienne, inscrite dans mes os bien avant ma naissance, bien avant que mon souffle devienne mien.Mes jambes avancent sans moi.Elles se détachent de ma conscience, comme si mon esprit restait en arrière, suspendu à l’orée du monde, incapable d’arrêter ce mouvement.Je reconnais mes jambes.Je me souviens de leur force.Elles couraient, elles fuyaient, elles dansaient.Aujourd’hui, elles marchent seules.L’air m’enveloppe comme un linceul.Le sol devient flou sous mes pieds.Ma peau capte des sensations qui ne viennent pas d’ici.Je le vois.Il ne bouge pas.Il ne parle pas.Il me regarde.Ses yeux contiennent le feu et l’eau, la pierre et le vent, la mém
LiraLa première nuit, je ne dors pas, parce que dormir, ce serait comme baisser la garde, comme consentir à ne plus surveiller cette chose en moi qui s’agite sans nom, et je reste là, allongée dans le noir, le regard cloué au plafond de toile de la tente, persuadée qu’un simple mouvement de paupières suffirait à ouvrir un passage entre ce monde et un autre.Chaque bruissement dans les feuillages me donne l’impression d’un souffle retenu trop près de mon oreille, chaque silence me hurle des vérités que je ne veux pas entendre, et je retiens ma respiration, pendant des secondes longues comme des années, convaincue que le moindre soupir pourrait faire venir quelque chose non pas d’extérieur, mais d’en dessous, ou pire, de dedans.La deuxième nuit, je cède, pas parce que mon corps réclame le repos, ni même parce que ma peur s’est dissipée elle a simplement changé de forme , mais parce que mon esprit s’épuise à porter le poids de tous ces possibles, de toutes ces sensations indicibles, de
LiraNous reprenons le chemin de la meute au pas de course.Pas parce que nous sommes poursuivis.Mais parce que nous portons quelque chose maintenant.Et que ça presse.Je n’arrive pas à parler. Les mots me brûlent la gorge. Si je les libère, je crains qu’ils ne prennent forme, qu’ils n’enflent, qu’ils deviennent des choses à part entière. Des entités avec des jambes longues et des bouches trop grandes.Volarion ne me regarde plus. Il avance, tendu, droit comme une lame. Il guette, il écoute. Pas l’extérieur. Lui-même. Comme si quelque chose à l’intérieur voulait sortir. Ou s’installer.Chaque pas nous rapproche de la meute. Mais cette idée ne me rassure pas.Je devrais me sentir soulagée à l’idée de retrouver les nôtres.Mais je sens déjà que nous ne sommes plus des leurs.Et que eux non plus ne sont plus tout à fait ce qu’ils étaient.Le rideau des feuillages s’ouvre enfin sur la clairière.Le camp est là.Silencieux.Trop silencieux.Pas de rires. Pas de hurlements d’enfants. Même
LiraL’air libre me déchire les poumons.Je titube en sortant du ravin, comme si le monde normal ou ce qui prétend encore l’être refusait de me reprendre. Chaque pas que je fais loin de ce lieu me coûte, me blesse. Comme si la chose qui y dormait avait laissé ses griffes en moi.Volarion ne parle pas. Il marche vite, trop vite, le visage fermé. Mais je vois ses poings, crispés au point que ses jointures blanchissent.Nous ne sommes pas en fuite. Nous sommes rejetés. Repoussés hors de ce territoire comme des intrus. Ou peut-être… comme des invités pas encore prêts à entrer.Je sens encore le rire. Il s’est imprimé en moi, glacial, infect. Il m’accompagne, plus fidèle que mon ombre.Nous traversons les bois sans bruit. Les oiseaux se sont tus. Même les branches ne craquent plus.Quand enfin nous atteignons le haut plateau qui borde le campement, quelque chose en moi espère. Que tout soit intact. Que Kaelis nous attende avec son regard dur, ses reproches prêts à tomber. Que le monde ait