MasukArianaJe tends une main. Elle tremble comme une feuille. Je la rapproche du clavier. Le curseur clignote à côté de la fenêtre du message.Je pourrais répondre. Quelque chose de court. De rassurant. De cryptique. Quelque chose qui lui dirait que je suis en vie sans la mettre en danger, sans révéler où je suis.Mais Nikos… s’il voit ça…Sophie : Je ne lâche pas l’affaire. Je te jure que je ne lâche pas l’affaire. Je commence à fouiller. Si ce salopard de Laskaris a quelque chose à voir avec ça…Le sang se glace dans mes veines.Non.Sophie, non.Elle est téméraire. Impulsive. Si elle se met en tête de confronter Nikos, de fouiner… Il la brisera. Il ne la tuera pas, non, ce serait trop direct. Il trouvera quelque chose. Une dette. Une faiblesse. Une photo compromettante. Il la détruira de l’intérieur, comme il est en train de me détruire, mais en pire, parce qu’elle n’a pas ma rancœur tenace pour armure. Elle a juste un grand cœur, trop grand.La peur pour elle est plus forte que toute
ArianaLa journée s’est écoulée dans un brouhaha étouffé de soie, de murmures et du cliquetis des épingles entre les dents des couturières. J’ai été un mannequin, un manège à tourner sur commande. J’ai marché, pivoté, arrêté. J’ai senti les tissus devenir une seconde peau, les armatures de corset s’enfoncer dans mes côtes jusqu’à ce que la douleur devienne une compagne familière, un rappel constant.Maintenant, je suis de retour dans le bureau, devant l’écran d’ordinateur figé sur une esquisse de la robe de cendres. Mes doigts sont froids. Mon corps entier est une unique et sourde vibration de fatigue et de tension rentrée.La pièce est silencieuse, trop silencieuse. Le genre de silence qui laisse la place aux échos. L’écho de sa voix, disant « tu es parfaite ». L’écho du froissement du tulle, comme des pas de fantômes. Et plus loin, plus profond, l’écho d’une vie qui semble appartenir à une autre, à une femme naïve dont le seul souci était une collection de vêtements et une rivalité
ArianaJe remonte sur la plateforme. Cette fois, la silhouette est guerrière. Dangereuse. Le cuir craque doucement quand je respire. Je me vois dans le miroir : une insurgée, une pillarde. L’ironie est un acide dans ma gorge. Je suis l’antithèse parfaite de cette image. Je suis captive, pacifiée, obéissante.Son regard s’attarde sur la ligne du lacet, qui suit ma taille, descend vers ma hanche. Je sens son tracé comme une brûlure.— Mieux, murmure-t-il, plus pour lui que pour les autres. Mais le cuir respire trop. On doit voir la tension. La contrainte. Il doit sembler qu’elle va le faire craquer d’un seul mouvement.Il s’approche. Je cesse de respirer.Il ne me touche pas. Il s’arrête à un mètre, les mains dans les poches de son pantalon, penchant légèrement la tête.— Là, dit-il en indiquant du menton ma cage thoracique. Serrez davantage. Il faut que chaque inspiration soit une victoire.L’habilleuse s’avance, ses doigts volant sur le lacet. La pression augmente. Ma respiration devi
ArianaLa pièce est inondée d’une lumière blanche, impitoyable. Ce n’est pas la lumière du soleil, c’est celle de la clinique, de l’autopsie. Elle éclaire chaque grain de poussière dans l’air, chaque nervure du marbre blanc du sol. Au centre, une plateforme surélevée. Autour, des miroirs en triptyque, me renvoyant à l’infini des reflets que je ne reconnais pas.Je suis debout, en sous-vêtements. La soie est froide contre ma peau, qui n’est plus qu’une carte de séismes intimes. Les femmes de l’équipe, muettes et efficaces comme des infirmières, tournent autour de moi. L’une tient une première tenue sur un cintre.C’est une robe. Non, c’est un étui. Une longue ligne noire, asymétrique, avec une épaule drapée comme une aile brisée, l’autre épaule nue. Le tissu, un crêpe lourd, semble absorber la lumière.— La première silhouette, annonce la femme au tailleur gris. « Cendres ».Le mot tombe dans le silence glacé de la pièce.Je lève les bras, mécanique. Elles font glisser la robe. Le tiss
NikosLa porte de mon bureau se referme dans un silence huilé, mais son parfum , cette affreuse et enivrante mixture de fleur d’oranger propre et de peur à peine dissimulée , persiste dans l’air. Je reste un moment dans le couloir, le dos contre le bois lisse.Je l’ai laissée là. Debout. Droite dans son armure de soie noire et blanche. Une statue de défi glacé.C’était plus fascinant que sa soumission de la nuit dernière.La voir plier, cèder à la tempête que j’ai déclenchée en elle… c’était une victoire. Brutale. Primale. Satisfaisante à un niveau qui a résonné dans mes os. J’ai pris. Elle a donné, malgré elle. Son corps a parlé une langue que son esprit refusait.Mais ce matin… cette froideur calculée. Cette précision de robot. Elle s’est assise, elle a travaillé, elle a collaboré. Elle a regardé les esquisses du Phénix avec les yeux d’un général étudiant une carte de bataille. Pas une victime. Pas une amante. Une tactitienne.Une colère froide se tord dans ma poitrine, mêlée à une
ArianaLe jour se lève. Encore.Cette bande de lumière pâle qui se fraie un chemin entre les stores devrait être une promesse. Elle n’est qu’une accusation.Je suis étendue dans la position exacte où il m’a laissée, les draps de soie froids et froissés autour de moi. Mon corps n’est plus le mien. C’est une carte de géographie violente, tracée de souvenirs à vif. La douleur sourde entre mes cuisses. La sensation fantôme de ses mains sur ma peau. L’écho de ma propre trahison résonnant dans chaque muscle.Je te hais.Je l’avais dit.Je le pensais. Je le pense.Alors pourquoi mon corps a-t-il répondu ? Pourquoi cette faim archaïque s’est-elle réveillée, balayant la peur et la haine pour n’y laisser qu’un besoin animal, désespéré ?La honte est un acide qui coule dans mes veines. Elle brûle plus fort que sa possession. Il n’a pas seulement pris mon corps. Il a exposé la faille en moi, la bête cachée qui a répondu à son prédateur.Je me lève. Mes jambes tremblent. Je me traîne jusqu’à la sal







