Ivy
Je cours.
L’air nocturne fouette mon visage, mais je n’arrive pas à échapper à leur présence.
Ils sont là.
Partout.
Dans mon souffle erratique, dans la chaleur qui refuse de quitter ma peau, dans le frisson qui me parcourt encore.
Ils m’ont marquée.
Et ça me terrifie.
Je m’enfonce dans la forêt, la pénombre avalant mes pas précipités. Mon cœur cogne si fort que j’ai l’impression qu’il va exploser.
— Fuis autant que tu veux.
La voix de Kael s’élève, proche. Trop proche.
Je me retourne, mais il n’y a personne.
Juste l’obscurité mouvante et le silence oppressant.
Un ricanement résonne à ma gauche.
— Tu le ressens, n’est-ce pas ?
Cette fois, c’est Lyam.
Je serre les dents.
— Sortez de ma tête !
— Nous n’y sommes pas, murmure Soren, sa voix un souffle dans mon dos.
Je me fige.
Ils sont là.
Leur présence m’enveloppe comme une ombre vivante.
Je ferme les yeux une fraction de seconde, cherchant à reprendre le contrôle. Mais quand je les rouvre, Lyam est devant moi.
Aucun bruit. Aucune alerte.
Juste lui.
— Laisse-toi aller.
Je recule, mais je bute contre Kael.
Ses mains se posent sur mes hanches, m’empêchent de fuir.
— Lâchez-moi, grondé-je.
— Ce n’est pas nous qui te retenons, Ivy.
Le murmure de Soren me fait tressaillir.
— C’est toi.
Ma respiration est erratique.
Ils mentent.
Ils jouent avec moi.
Mais mon corps ne comprend pas la différence.
Je suis en feu.
— Qu’est-ce que vous m’avez fait ?
Kael rit, son souffle caressant ma nuque.
— Nous n’avons rien fait.
Lyam effleure ma joue du bout des doigts.
— C’est en toi depuis toujours.
Ivy
Je me débats, mais ils ne me retiennent pas vraiment.
Ils me laissent lutter.
Comme s’ils savaient que je ne peux pas fuir.
— Arrêtez…
Mais ma voix manque de conviction.
Soren pose sa main sur mon bras. Un simple contact, et je suffoque.
— Pourquoi nier l’évidence ?
Mes lèvres tremblent.
— Parce que ce n’est pas possible.
Kael resserre légèrement son étreinte.
— Et pourtant…
Il ne termine pas sa phrase.
Il n’a pas besoin.
Le silence parle pour lui.
Mon corps parle pour moi.
Lyam plonge son regard dans le mien, intense, brûlant.
— Tu es à nous.
Un frisson me traverse.
Parce que, malgré tout…
Je sais qu’il dit la vérité.
Ivy
Je suffoque.
L’air est chargé d’une tension que je ne peux pas ignorer.
Leurs présences m’écrasent, m’enveloppent, m’enchaînent.
Mon corps tremble, pas de froid, pas de peur. D’autre chose. Quelque chose de plus profond, plus instinctif.
Je devrais fuir.
Mais mes jambes refusent de bouger.
Lyam se tient devant moi, impassible, dominant. Son regard d’or liquide me transperce, son odeur me fait tourner la tête.
Kael est dans mon dos, une ombre brûlante qui me frôle sans me toucher. Il joue avec mes nerfs, avec mes sens.
Soren est en retrait, mais je sens son regard peser sur moi, analysant chaque frisson, chaque battement de cœur erratique.
Je ferme les yeux une seconde, tente de reprendre le contrôle.
En vain.
— Tu luttes encore, murmure Kael, sa voix un poison sucré à mon oreille.
— C’est inutile, ajoute Lyam, s’avançant d’un pas.
Ma gorge se serre.
— Ce n’est pas réel…
Soren esquisse un sourire, froid, tranchant.
— Tu crois pouvoir mentir à ton propre corps ?
Je ravale un souffle tremblant.
Ils ont raison.
Je le ressens.
Un feu brûle en moi, insidieux, implacable. Il ne devrait pas être là.
Mais il est là.
Lyam lève la main.
Un infime mouvement.
Et je me tends tout entière, comme si un fil invisible me liait à lui.
Mes lèvres s’entrouvrent sur une inspiration saccadée.
— Tu ressens ce lien, pas vrai ?
Un frisson me parcourt.
Je ne veux pas répondre.
Parce que je connais la vérité.
Parce que je sais.
Kael rit doucement derrière moi.
— C’est fascinant de te voir te battre… alors que tu es déjà perdue.
Mon cœur cogne.
— Je ne suis pas perdue, soufflé-je.
Soren avance enfin, brisant l’espace qui nous séparait.
— Alors regarde-moi dans les yeux et dis-le.
Je me fige.
Son regard est un gouffre, une nuit sans fin où quelque chose de plus profond m’appelle.
Je veux détourner les yeux.
Mais je ne peux pas.
Parce qu’au fond…
Je ne veux pas.
Lyam approche sa main de mon visage, ses doigts frôlent ma peau.
Une onde de chaleur explose en moi, me coupant le souffle.
Je me tends, incapable de lutter contre cette réaction instinctive.
Kael glisse ses doigts sur ma hanche.
— Laisse-toi aller.
Ma tête hurle non.
Mon corps crie oui.
Ivy
Je suis en feu.
C’est insupportable.
Chaque respiration est un supplice, chaque frisson une torture.
Lyam pose enfin sa main sur ma joue.
Le contact est un électrochoc.
Je suffoque.
Je veux fuir.
Je veux me jeter dans ses bras.
Je veux m’abandonner.
Je veux résister.
— Arrêtez…
Ma voix n’a aucune force.
Kael murmure contre ma peau :
— Non.
Je ferme les yeux, le souffle erratique.
Je suis piégée.
Et je le sais.
L’air brûle.
Il est trop dense, trop chargé d’une énergie que je ne comprends pas. Une énergie qui pulse autour de moi, en moi.
Je tremble.
Mais ce n’est pas la peur.
Non.
C’est autre chose. Quelque chose d’inexplicable. De dangereux.
YviL’aube se fait plus brillante encore. Il n’y a plus de doutes. Le vent, léger comme une caresse, souffle dans les arbres. Chaque feuille, chaque brin d’herbe, chaque souffle d’air semble en harmonie. La terre, la mer, et le ciel semblent accueillir le nouveau jour avec une ferveur silencieuse. Solen est là. Il a pris place dans ce monde, et avec lui, le poids de l’espoir.Je serre son petit corps contre moi, son souffle chaud contre mon torse. Il est si petit, si fragile. Et pourtant… il porte tout. Il est la réponse à tout ce que nous avons vécu, à toutes les épreuves qui ont façonné nos vies. La lutte, les sacrifices, les trahisons, les espoirs déchus. Tout cela a conduit à ce moment. À lui.Aleksandr se tient près de moi. Il ne dit rien. Son regard est rempli de fierté, mais aussi d’une tristesse discrète, comme si le fait que Solen existe n’effaçait pas les luttes de son passé. Je vois l’homme qu’il est, cet homme qui a traversé tant de ténèbres pour arriver à cet instant. Il
YviLa nuit recule comme une marée lente. Le ciel s'effrange, déchiré par une lumière nouvelle, une lueur pâle qui n’appartient ni au jour ni à l’au-delà. Tout semble suspendu. Même le vent s’est tu.Mon ventre se tend, mais ce n’est pas seulement la naissance d’un enfant. C’est celle d’une ère. D’un équilibre. Je le sens dans mes os, dans mon sang. Il arrive.Je pousse un cri, non de douleur, mais d’appel. Et le monde me répond.Aleksandr m’enlace, ses mains sur mes épaules, sa voix dans mon oreille, faible mais ancrée.— Je suis là. Jusqu’au bout. Jusqu’à lui.Ses bras me soutiennent. Mais c’est son âme que je sens. Entière. Offerte. Reliée.Autour, ils se placent en cercle. Nos piliers. Nos gardiens. Ceux par qui ce miracle est possible.KaelLe ciel palpite. Une aurore sans soleil rampe entre les nuages. Et au centre de cette clarté : elle. Elle qui enfante ce que même les dieux redoutaient.Je sens l’énergie vibrer sous mes paumes. La terre parle, à travers mes os, mes veines. Et
Soren— Il faut toucher le Cœur.— Tu plaisantes ? souffle Lys. Tu veux traverser ça ?— Pas le choix.Je m’élance.Entre les Ombres, les lames, les cris.J’ai vécu trop longtemps pour fuir maintenant.IskraJe suis à ses côtés.L’épée en avant.Je suis née pour cette bataille.Pas pour survivre.Mais pour brûler jusqu’à la dernière étincelle.LysJe chante.Encore.Plus fort.Le monde saigne autour de nous.Mais mon chant le maintient debout.Comme un souffle.Comme un cœur qui refuse de mourir.Le GardienJe regarde Yvi.Elle tremble.Enfin.Elle a compris.— Le prix n’est pas une vie.C’est un nom.Elle fronce les sourcils.— Le tien.Elle vacille.Puis relève le menton.— Alors qu’il brûle aussi.YviJ’avance.Je laisse mes souvenirs derrière.Je marche sur la faille.Sur ce fil tendu entre le Néant et le Tout.Et au bout, je le vois.Le Souffle Originel.Ni créateur, ni destructeur.Un battement.Un instant.Un commencement.Je tends la main.AleksandrJe sens l’impact.Comme une
YviJe tombe.Mais ce n’est pas une chute.C’est un retour.Le vide m’accueille comme un ventre ancien.Je traverse les strates de l’existence, les mondes qu’on ne nomme plus, les souvenirs éteints.Ma chair est brûlure.Ma mémoire est feu.Mon nom est un cri.Autour de moi, tout se replie.Le monde se défait dans l’ordre inverse de sa naissance.Les océans se retirent, les montagnes s’effondrent à l’envers.Le premier souffle du monde se répète.Et moi, au centre.Je deviens l’origine.Puis, je m’arrête.Suspendue dans l’œil du cyclone.Une silhouette m’attend.Grande. Nue. Inhumaine.Couverte de chaînes.Et derrière ses yeux — l’oubli.Le Gardien— Tu n’aurais pas dû revenir, Yvi.— Je ne suis jamais vraiment partie.Je tends la main.Un feu noir y palpite.Pas de la magie.Quelque chose d’autre.Quelque chose que même lui ne comprend pas.Il me regarde.— Tu as goûté à ce qui précède les dieux.— Je suis ce goût.Il recule. Juste un peu.Assez pour que je sente sa peur.Elle me don
AleksandrLe ciel saigne.L’aube ne se lève pas.Elle fuit.Je marche dans les ruines d’un monde qui ne m’obéit plus.Chaque pas soulève la cendre d’une guerre que nous n’avons pas choisie.Mais que nous avons terminée.Ou cru terminer.Car rien ne dort jamais tout à fait ici.Et je sens… quelque chose.Un frisson dans mes os.Un murmure ancien.Le souffle d’Yvi, peut-être.Ou l’ombre de ce qui vient.— Elle est encore là, murmure Lys derrière moi.Je me retourne. Elle est nue dans la lumière. Nue de peur, de doute, de mensonge.Ses tatouages brillent comme des cicatrices ouvertes.Elle ne pleure pas. Elle ne pleure plus.— Tu la sens aussi ? je demande.Elle hoche la tête.— Elle est le feu sous la terre. Et il commence à remonter.LysJe vois à travers elle.À travers ce qu’elle a laissé.Le monde se tord sous mes pieds.Et chaque pas devient un choix.Il ne reste rien de l’ancienne balance.Le Gardien est parti, mais la fracture s’étire encore, comme une plaie qui refuse de cicatri
AleksandrElle disparaît.Pas dans la mort.Pas dans le silence.Elle devient autre chose.Une lumière étrange irradie du centre de la faille, douce et brûlante à la fois.Elle ne dévore pas.Elle révèle.Je tombe à genoux.J’essaie de me souvenir de son visage tel qu’il était avant tout ça.Avant la magie, les pactes, les dieux brisés.Avant la guerre.Mais tout s’efface.Il ne me reste qu’une sensation.Sa chaleur dans ma paume.Le poids de sa tête contre ma poitrine, une nuit, il y a des siècles.Et cette phrase :« Je t’ai choisi, même quand je n’aurais pas dû. »Je hurle, mais rien ne sort.Le cri reste enfermé dans ma gorge.Le monde se referme sans elle.LysJe me redresse.La terre est fendue sous mes pieds, mais je reste debout.Le vent porte encore les cendres de ce qui fut, mais j’avance.Elle n’est plus là.Mais quelque chose est resté.Je le sens en moi.Un écho. Une étincelle.Je tends les bras.Et la lumière me répond.Ma peau s’illumine, marbrée de lignes dorées qui ne