Neriah
Le retour à l’intérieur m’a semblé irréel, comme si j’étais une étrangère revenue d’un rêve trop intense pour être vrai. La fête battait encore son plein derrière la porte close, les rires faux et les conversations insipides reprenant leur place. Mais j’étais ailleurs. Si loin.
Chaque pas résonnait dans le marbre comme une dissonance. J’avais l’impression de flotter, le corps encore chargé de l’électricité de la nuit. Les visages se tournaient parfois vers moi, mais je ne les voyais pas. Je ne voyais que lui.
Mes pieds nus avaient laissé des empreintes humides sur la pierre froide du jardin. Je pouvais encore sentir le contact de la terre contre ma peau, l’odeur sauvage de la nuit qui flottait autour de moi, l’empreinte invisible de sa présence sur mon bras.
Son regard m’avait transpercée. Ce n’était pas un regard ordinaire. Il n’avait rien demandé. Il avait pris. Comme si mes secrets lui appartenaient déjà.
Dans ma poitrine, un feu nouveau brûlait, un feu à la fois doux et cruel. Un désir brutal, une tension sourde qui me consumait lentement, férocement. Rien de tendre. Rien de paisible. Une déchirure, oui. Une faille ouverte par une main que je ne connaissais pas encore.
Je m’enfermai dans la solitude de ma chambre, fermant la porte sur le monde bruyant et vain. Là, dans l’obscurité, je laissai mes pensées déferler, incontrôlables. Loin du tumulte, mais pas en paix.
Qui était-il ? Pourquoi cette intensité, ce poids dans mon cœur ? Pourquoi ce feu qui m’avait saisie à l’instant même où nos regards s’étaient croisés ?
Je n’étais pas quelqu’un de sentimental. On m’avait appris à verrouiller mes émotions, à ne rien laisser paraître. Mais cette fois… c’était différent. Comme si quelque chose d’enfoui depuis des années s’était brisé, avait remonté à la surface.
Je me surpris à revoir son visage, chaque détail gravé dans ma mémoire. Ses yeux, surtout. Cette lumière ardente qui semblait contenir à la fois la promesse du danger et celle d’un refuge impossible. Une lumière ancienne. Une lumière que je croyais avoir déjà vue, ailleurs, dans un souvenir que je n’arrivais pas à saisir.
Je me pinçai la lèvre, tentant de chasser cette image qui ne voulait pas s’effacer. Il ne suffisait pas de fermer les yeux. Il était là, dans mes veines. Dans mon souffle.
Et pourtant, au fond de moi, une part d’espoir tenace s’était allumée. Une étincelle que je n’avais pas su éteindre.
Liam
De retour dans la maison, le monde semblait soudain trop étroit, trop bruyant, trop artificiel. Chaque son, chaque éclat de rire, chaque regard me vrillait le crâne. Je ne pouvais plus supporter cette mascarade.
Je savais que j’avais vu quelque chose d’interdit, quelque chose d’inexplicable, dans ce jardin baigné par la lune rouge. Ce n’était pas seulement elle. C’était ce qu’elle réveillait. En moi. Dans le monde.
Je me suis enfermé dans la pièce la plus isolée, laissant la porte derrière moi claquer comme un défi lancé à l’univers. Une fuite. Ou une tentative de survie.
Je posai mon front contre le mur froid, cherchant à calmer la tempête qui grondait en moi. Mais rien ne se taisait. Elle était là, partout.
Cette femme, Neriah… Elle était plus qu’une énigme. Elle était une brûlure vive dans mon esprit, une flamme que je ne pouvais ni ignorer ni éteindre.
Je ne connaissais rien d’elle, et pourtant, j’avais la sensation douloureuse de la connaître depuis toujours. Comme si mon corps se souvenait, même si ma mémoire restait muette.
Je revoyais son regard, ses lèvres entrouvertes, le frisson qui avait parcouru son corps quand je l’avais touchée. Un frisson que je ressentais aussi, plus fort encore. Une résonance.
Je savais que cette nuit, notre rencontre volée, allait bouleverser nos vies. Ce n’était pas un caprice. Pas une attraction fugace. C’était autre chose.
Mais je ne savais pas encore à quel point. Et j’avais peur de le découvrir.
Neriah
Les heures passèrent, lourdes et lentes. Le sommeil me fuyait, et chaque fois que mes paupières se fermaient, c’était son visage qui apparaissait dans mon esprit. Cette silhouette immobile, cette lumière dans ses yeux, cette voix rauque qui avait murmuré mes défenses. J’avais cru me protéger, mais il avait traversé mes murailles en un battement de cils.
Je finis par me lever, les jambes tremblantes, et j’allumai une bougie. Sa flamme vacillante semblait être le seul point lumineux dans cette obscurité qui m’enveloppait. Elle dansait comme moi, incertaine.
Je pris un carnet et un stylo, et me mis à écrire, cherchant à dompter ce feu intérieur. Chaque mot traçait un sillage de cendres.
Je ne sais pas ce qui s’est passé. C’est comme si une partie de moi s’était réveillée, une partie que j’ignorais. Je ne sais pas s’il est un danger… ou une promesse.
Je laissai la plume courir sur le papier, vidant mes pensées, mes doutes, mes peurs. Mes désirs aussi. Une part de moi voulait fuir. L’autre voulait courir vers lui.
Puis, dans un coin de la pièce, un vieux miroir captait la lumière de la bougie. Je me levai pour me regarder. Mon reflet me fit l’effet d’une gifle.
Je regardai cette femme qui me fixait, et que je ne reconnaissais plus tout à fait.
Ses cheveux noirs, désordonnés, encadraient un visage pâle et fin. Ses yeux, grands et profonds, brillaient d’une intensité nouvelle, comme si une flamme intérieure les animait. Sa peau était douce mais marquée par les jours trop longs, les nuits trop courtes.
J’avais l’impression d’être une étrangère dans mon propre reflet, une femme déchirée entre deux mondes. Une frontière invisible s’était ouverte, et je l’avais franchie sans le vouloir.
Je soufflai sur la flamme de la bougie, plongeant la pièce dans une obscurité enveloppante. Un silence lourd, presque sacré, s’installa.
Et c’est dans cette nuit silencieuse que je compris que rien ne serait plus jamais pareil.
Liam
Le jour s’était levé quand je finis par m’effondrer sur le canapé, épuisé mais incapable d’éteindre ce feu qui me consumait.
La promesse muette de cette nuit, le poids de ce regard, la brûlure qui m’avait parcouru… Tout cela me hantait. Et plus je cherchais à comprendre, plus je m’enfonçais dans l’inconnu.
Je n’avais pas seulement envie d’elle. J’avais besoin d’elle. De cette part de moi qu’elle avait réveillée.
Mais tout en moi hurlait que c’était une erreur. Que m’approcher d’elle reviendrait à déclencher une tempête que rien ne pourrait arrêter.
Je savais que le destin avait croisé nos chemins pour une raison. Mais je craignais déjà le prix à payer.
Car ce feu, aussi intense soit-il, ne pouvait être qu’un prélude à la douleur. Et pourtant, malgré tout, je n’avais aucune envie de l’éteindre.
Le silence reprit ses droits.
Mais dans les ombres de cette maison, une guerre silencieuse venait de commencer.
Une guerre entre le désir et la peur, entre la lumière et les ténèbres, entre ce que nous avions été et ce que nous étions sur le point de devenir.
Et c’était seulement le début.
NeriahIls ne bougent pas.Leurs poitrines se soulèvent lentement, en cadence mais comme à contrecœur, comme si même respirer au même rythme les mettait en danger, comme si reconnaître ce souffle commun était déjà céder quelque chose qu’ils refusent de lâcher.Kael garde les mâchoires serrées, les yeux fixés sur moi mais pas sur moi, comme si j’étais devenue transparente et qu’il cherchait à travers ma peau un point d’ancrage pour ne pas basculer. Liam, lui, me fixe directement, mais je sens que ce n’est pas moi qu’il voit, c’est Kael derrière moi, c’est l’ombre qu’il s’est juré de détester.Je ne dis rien, pas encore, je laisse le silence se déposer, lourd et profond, jusqu’à ce qu’il devienne insupportable, jusqu’à ce qu’il colle à leurs veines comme une brûlure lente.— Regardez-vous.Ma voix fend l’air comme un coup sec.Liam détourne le regard une fraction de seconde, Kael aussi, mais jamais en même temps, comme si leur refus devait rester désynchronisé pour être crédible.— Vous
NeriahIls sont là.Kael, à ma gauche, blessé, haletant, la chemise déchirée, le torse strié de sang, ses yeux vrillés d’ombre et d’or. Le souffle court, animal. Les crocs encore visibles. La rage pas tout à fait descendue.Liam, à ma droite, ses épaules trop larges pour ce monde, ses mains encore chargées d’électricité, ses veines palpitantes sous la peau, son regard incandescent, animal, brisé. Sa poitrine se soulève, chaque battement comme un grondement contenu.Et moi, au milieu.Je ne bouge pas.Je ne fuis plus.Le moteur ronronne doucement, sans démarrer. Mes doigts sont sur les clés, mais je n’ai plus besoin de partir. Pas encore. Pas comme ça. Pas alors que tout s’ouvre sous moi, en moi.Ils ne disent rien. Le silence est lourd, saturé, vibrant, comme avant un séisme. Un entre-deux. Une suspension.Et je comprends.S’ils me tuent maintenant ce n’est pas moi qu’ils veulent atteindre, pas vraiment. C’est l’autre. C’est le miroir. C’est l’énigme. C’est le double. C’est ce qu’ils
NeriahJe n’ai plus de force, plus de souffle, seulement cette impression de flotter entre deux battements de cœur, allongée dans l’humus humide et la poussière d’étoiles qui colle à ma peau, mes paumes en sang ouvertes comme des offrandes muettes, mes jambes écorchées, mes membres engourdis, mes cheveux collés à ma nuque, à mes joues, lourds de sueur, de terre, de peur, et cette morsure, cette marque en feu qui pulse dans ma nuque, dans ma cage thoracique, jusque dans mes os, comme un second cœur plus ancien, plus vaste, plus vrai que le mien.Et Kael est là, debout, inflexible, encore, son souffle rauque, guttural, presque animal, ses yeux fendus d’or et de nuit brillant dans l’obscurité comme deux éclats de fièvre, ses crocs sortis, sa peau tendue par la rage, par la promesse d’un massacre, par la violence d’un amour brut, sans mots, sans issue.Mais il ne frappe pas, il ne tue pas, pas cette fois.Il me soulève, doucement, comme si j’étais faite de verre et de nuit, comme un farde
NeriahJe les regarde.Leurs corps frémissent encore, pris dans une immobilité plus violente que la lutte, une tension si dense qu’elle en devient matière, souffle, feu, et dans cet instant suspendu, je ne respire plus, je ne pense plus, je me dissous dans ce face-à-face trop ancien, trop animal, qui me dépasse, leurs yeux se dévorent, leurs muscles tremblent, la pièce est trop petite, trop pleine de ce qu’ils ne disent pas, et moi, moi je suis là, entre eux, contre eux, et quelque chose dans mon ventre se met à hurler.Et tout change.Kael se tourne vers moi, d’un coup, comme s’il se souvenait que j’existe, ou comme s’il s’en souvenait trop fort, ses yeux me transpercent, noirs, brûlants, fendus d’or, et sans que je comprenne pourquoi, sans que je puisse bouger, sans que j’aie le temps de crier ou de penser ou de dire non ou oui, il me saisit.Ses bras m’enlacent, puissants, brutaux, possessifs, mon corps se plaque contre le sien, mes jambes battent l’air, mes mains cherchent un appu
NeriahIls ne bougent plus.Le silence est un tambour, sourd, prêt à éclater, chaque souffle est un cri que personne n’ose prononcer, la pièce entière est suspendue entre leurs deux regards, entre cette haine ancienne et ce désir trop vivant, trop brûlant, cette chose qui palpite entre eux et à l’intérieur de moi, cette chose qui me ronge, qui me dévore, cette marque sur ma peau qui n’est pas qu’un sceau, mais un appel, une fracture, une ouvertureIls se toisent, aucun ne recule, et je sens, au fond de mes entrailles, quelque chose d’invisible, d’ancien, qui monte, comme un grondement sous la terre, comme une bête qui remue après des siècles d’oubliKael avance d’un pas, Liam aussiLeurs muscles vibrent, leurs veines noircissent sous la peau, parcourues par une lumière sale, irisée, vivante, un éclat de fièvre qui rampe, qui s’enroule, comme un serpent de feu, ils sont beaux, ils sont terribles, ils ne sont plus des hommesJe recule, à genoux, je cherche à fuir mais mes jambes sont du
NERIAHJe suis encore là.Le souffle coupé. Le cœur en vrac. L’odeur de Kael sur mes lèvres, dans ma gorge, jusque dans mes poumons. Son baiser n’est pas terminé. Il n’a pas été un élan, ni une caresse.C’était un sceau.Je ne comprends pas ce qu’il a déclenché.Je le fixe. Il ne bouge pas. Et pourtant, quelque chose… change. L’air, les murs, la lumière elle-même semblent se replier.Ses yeux ne sont plus les mêmes.Plus sombres plus anciens. Un noir qui avale. Un silence chargé de millénaires.Il lève lentement une main, et du bout des doigts, effleure ma gorge. Juste là, sous l’oreille.Je frémis. Je crois qu’il va m’embrasser à nouveau.Mais il ne bouge rapidement et se rapproche de moi sans que je ne comprenne comment , mon cou est dans sa bouche , ses crocs me mordent jusqu'au sang . Je cri de douleur , puis il me relâche .Il murmure, comme un oracle :— C’est fait.— Quoi ? Ma voix n’est qu’un souffle éraillé.Et alors…Je sens comme une marée.Sous ma peau, à la base de ma nuq