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Hassan et Lalla Tislin
Hassan et Lalla Tislin
Author: zinerom

Chapitre 1 : Là où le vent se lève

Author: zinerom
last update Last Updated: 2025-11-09 03:53:34

L'aube s'étirait sur les crêtes de l'Atlas, lente et fragile, comme si le soleil craignait de réveiller un souvenir ancestral. Dans la vallée d'Afella, le vent dormait encore, mais chacun savait qu'il ne dormait jamais longtemps.

Les femmes allumèrent silencieusement les premières flammes.

Sur la terrasse, les hommes scrutaient les nuages.

Et dans la maison du cheikh Amghar, Lalla Tislin, la fille du maître, se tenait à la fenêtre.

Le ciel avait une couleur rare, entre l'argent et le miel, celle qu'on voit juste avant l'orage.

Elle leva la main et balaya l'air, une vieille habitude d'enfance.

Sa nourrice lui disait toujours :

« Touh le vent avant qu'il te parle, sinon il se met en colère. »

Elle se remémora avec un sourire son passé chéri.

Mais ce matin-là, le souffle même du monde lui semblait différent, plus lourd, plus proche.

Au puits, Hassan attachait les mules.

Le jeune homme marchait d'un pas nonchalant, comme les montagnards qui n'attendent pas grand-chose du ciel, mais qui l'écoutent malgré tout.

Sa mère, disparue depuis longtemps, disait de lui :

« Il marche comme si la terre lui faisait confiance. »

Lorsqu'il leva les yeux, il aperçut Tislin à la fenêtre.

Leurs regards se croisèrent : simples, clairs et familiers.

Ils n'avaient jamais longuement parlé.

Leurs mondes étaient séparés par un seul nom : elle était la fille du cheikh, lui le fils d'un sans-terre.

Mais il existe des silences plus profonds que mille conversations.

Et ce silence existait depuis leur plus tendre enfance.

— Hassan ! appela une voix derrière lui.

C'était Rachid, le fils du caïd.

Démarche fière, bottes trop neuves, sourire trop assuré.

— Le vieil homme dit que l'eau doit couler avant midi. La fontaine est lente. — La montagne elle-même est plus lente, répondit Hassan sans se retourner.

— Alors va la pousser, railla Rachid.

Il partit en riant, suivi de deux serviteurs.

Tislin avait tout entendu.

Elle se détourna, mais le vent lui apporta un fragment de la voix d'Hassan : calme, obstinée, inflexible.

Un sentiment de tension l'envahit.

Un peu plus tard, elle se mit en route pour la source.

Le chemin exhalait une odeur de terre humide et de menthe sauvage.

Elle aimait cet instant : l'instant où le monde n'avait encore emporté personne.

Mais aujourd'hui, un bruissement étrange l'attendait, vibrant dans les entrailles du vent.

Elle s'arrêta.

Sous les amandiers, les feuilles tremblaient sans raison apparente.

Le vent venait d'en bas, du puits, et non du ciel.

Un souffle chaud, presque humain.

Elle s'approcha. L'eau semblait scintiller, non couler, scintiller, comme si quelque chose respirait sous la surface.

Et dans ce scintillement, elle vit – non pas un reflet, mais un signe.

Une spirale, fine et vacillante, sculptée dans la lumière même.

« L'eau du vent », murmura-t-elle.

Une voix la fit sursauter.

– Tu la vois aussi ?

C'était Hassan.

Il avait toujours la corde du puits en bandoulière. Ses mains, sales de terre, tenaient une jarre.

Elle voulut répondre, mais les mots lui manquèrent.

Il s'accroupit et examina la surface.

– Je croyais que c'était une légende, dit-il.

– Et maintenant ?

– Maintenant, je crains que ce ne soit vrai.

Ils restèrent là, penchés sur le miroir du puits,

jusqu'à ce qu'une rafale plus forte vienne briser cette forme.

L'eau était redevenue simple.

Mais le vent conserverait sa spirale dans son souffle.

Quand ils revinrent, le ciel avait tranché.

Les ancêtres disaient : « Quand la montagne déplace les ombres sans bouger, elle écoute. » Et cette nuit-là, la montagne écoutait. De faibles bruits, comme des pas sur la pierre, parvenaient en dessous. Hassan leva les yeux, inquiet.

— La terre bouge.

— Non, dit Tislin. C'est le vent qui descend.

Une vieille femme apparut derrière eux, le visage voilé de blanc.

C'était Aïcha n'Tissint, la gardienne des sources.

Ses yeux ressemblaient à deux étranges nuances de gris, entre brume et lumière.

— Ne touchez pas à l'eau du vent, dit-elle.

— Pourquoi ? demanda Tislin.

— Parce qu'elle prend qui elle veut, et jamais deux fois.

Elle les observa longuement, surtout Hassan.

Puis elle ajouta :

— Quand le vent t'appelle, ce n'est pas par jeu.

Et elle s'éloigna lentement, son voile flottant dans la poussière.

Derrière elle, la spirale invisible s'agitait déjà quelque part dans le ciel.

Enfin, le vent se leva.

Et pour la première fois depuis des générations, il prononça les deux noms d'un seul souffle :

Hassan… Tislin.

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