Chapitre II
Lycée professionnel St.E – 8h17 J'entre dans la salle de cours en traînant les pieds, ma casquette enfoncée jusqu'aux sourcils. Normalement, je suis du genre à arriver pile à l'heure, mais aujourd'hui, j'ai pris dix minutes de plus devant mon miroir à me demander si je devais changer de style. Finalement, j'ai gardé mon uniforme habituel : survêt' noir, baskets usées et cheveux attachés en une queue-de-cheval négligente. "Jordan ! T'as vu T*****r ? T'es partout !" Je lève les yeux vers Ludo, un gars de ma classe qui brandit son téléphone sous mon nez. À l'écran, une photo floue de moi allongée dans le vestiaire, avec Enzo penché au-dessus. "Super," je grogne en m'asseyant au fond de la salle. "Exactement ce dont j'avais besoin." Mme CLARK, notre prof de gestion, entre d'un pas vif et lance un regard circulaire. "Bonjour à tous. Aujourd'hui, nous corrigerons le dossier sur la comptabilité analytique." Je sors machinalement mes feuilles, mais mon esprit est ailleurs. Depuis hier soir, mon portable n'arrête pas de vibrer. Des notifications I*******m, des demandes d'ami de parfaits inconnus, et pire – des messages de filles que je connais à peine me demandant "C'EST VRAI QU'ENZO T'A DONNÉ SON NUMÉRO ?" "Jordan ?" Je sursaute. Toute la classe me regarde. Mme CLARK a les sourcils levés. "Tu pourrais nous expliquer le calcul du coût marginal, s'il te plaît ?" Merde. J'ai complètement zappé la leçon. "Euh... C'est quand on calcule le coût supplémentaire pour produire une unité de plus ?" Je devine au sourire de la prof que j'ai tapé dans le mille par chance. "Exactement. Content de voir que tu suis, malgré ta célébrité naissante." Quelques rires fusent. Je rougis malgré moi. --- 10h30 – Pause café Je m'écrase sur un banc de la cour, aspirant ma première gorgée de café comme une naufragée. Michael débarque avec son sourire enjôleur habituel, deux croissants à la main. "Alors, la star, comment on gère la gloire ?" Je lui arrache un croissant des mains. "Si t'as envie de garder tes doigts, je te conseille de fermer ta gueule." Il rit, insouciant. "Détends-toi, dans deux jours tout le monde aura oublié." "J'espère." Je mords dans le croissant avec rage. "T'as vu le bordel sur les réseaux ? Y'a même un compte fan qui a été créé : 'Jordan et Enzo - Love Story au Vélodrome'." Michael s'étouffe de rire. "Nooon ? T'es sérieuse ?" "Je te jure." Je sors mon téléphone et lui montre l'écran. "Regarde. 2 000 abonnés en une nuit. Et y'a déjà des théories comme quoi je serais sa cousine éloignée." On éclate de rire tous les deux, mais au fond, ça me gave. Depuis quand se prendre un ballon dans la gueule devient un événement national ? "T'as vu ce qu'ils disent sur l'interruption du match ?" Michael baisse la voix. "Certains fans gueulent parce que l'OM a perdu le rythme après l'incident." Je roule des yeux. "Oh, super. Maintenant je suis responsable de la défaite aussi ?" --- 12h05 – Self du lycée Je fais la queue avec mon plateau, capuche relevée pour éviter les regards. Peine perdue. "Eh, Jordan !" Kévin, un gars de ma classe de compta, se pointe avec ses potes. "Alors, c'était comment le vestiaire des mecs ? T'as vu des choses... intéressantes ?" Je serre mon plateau jusqu'à blanchir mes jointures. "Vas-y, continue. J'ai toujours rêvé de casser des dents à un connard avant le dessert." Il lève les mains en riant, mais recule. "Calme-toi, c'était juste une question !" Je prends mon plateau et vais m'asseoir seule dans un coin. Mon téléphone vibre. Un message inconnu. "Salut Jordan, c'est Enzo. Tout va bien après hier ?" Je manque lâcher mon portable. Comment il a eu mon numéro ? Ah oui... le vestiaire. J'avais ma carte étudiante dans ma poche. Je reste plantée là, à fixer l'écran comme si c'était une bombe. --- 17h50 – Trajet vers l'entraînement Je marche vite, mes écouteurs bloquant les bruits de la ville. Deux filles me pointent du doigt près du kiosque à journaux. Devant elles, la une de La Provence : "L'incident du Vélodrome : qui est cette mystérieuse fan ?" Putain. Ils en ont fait un article maintenant ? Je baisse la tête et accélère le pas. "Eh ! C'est toi la meuf du match !" Un groupe de jeunes me suivent du regard. "T'as cartonné sur TikTok !" Je fais semblant de ne pas entendre. --- 18h30 – Terrain d'entraînement Dès que je pose le pied sur le gazon synthétique, je me sens mieux. Ici, au moins, je sais qui je suis. Pas la "meuf du vestiaire". Pas la "fan mystérieuse". Juste Jordan. Mehdi me lance un ballon. "Alors, prête à oublier ta vie de star pour un peu de vrai foot ?" Je contrôle le ballon d'une talonnade, le faisant passer derrière ma jambe avant de le récupérer."T'as pas idée à quel point j'ai besoin de ça." --- Pendant deux heures, je cours, je crie, je transpire. Je marque deux buts et fais une passe décisive. J’ouvre la porte de l’appartement et l’odeur familière du foutou et de la sauce graine me frappe de plein fouet. Un vrai shoot de nostalgie. Ma mère est en plein coup de pilon dans le mortier, les bras musclés par des années à préparer ce plat traditionnel. "Ah, te voilà enfin !" Elle me lance un regard en coin sans interrompre son rythme. "Tu pourrais m’aider au lieu de rester plantée là comme une statue." Je pose mon sac et me laisse tomber sur une chaise. "Maman, tu sais très bien que je cuisine aussi bien qu’un singe avec une poêle." "À ton âge, je savais préparer toute la sauce toute seule !" Elle secoue la tête, exaspérée. "Comment tu vas faire plus tard, hein ? Tu vas nourrir ta famille avec des sandwichs ?" Je rigole. "Si un jour j’ai une famille, je lui apprendrai à commander des plats en ligne." Elle lève les yeux au ciel. "Dieu merci, ta grand-mère n’est pas là pour entendre ça." Je souris en la regardant verser la sauce graine, épaisse et parfumée, dans un grand bol. La couleur rouge foncé, la texture onctueuse… Rien à voir avec les plats surgelés que je me fais quand je suis seule. --- Plus tard, dans ma chambre Je m’allonge sur mon lit, le ventre lourd de sauce graine, et sors enfin mon téléphone et je 5 messages non lus. Je les ouvre à contrecœur. "Salut Jordan, c’est Enzo. Tout va bien après hier ?" "Tu viens souvent aux matchs ? ;)" "T’es en colère ?" "Je peux savoir pourquoi tu réponds pas ?" "Bon, ok. Désolé si je t’ai embêtée." Je soupire. Qu’est-ce qu’il veut, au juste ? Je tape une réponse rapide avant de réfléchir : "Désolée, j’avais des trucs à faire. Et non, je suis pas en colère. Juste occupée." Trop neutre ? Peut-être. Mais je n’ai pas envie de jouer à son jeu. Trois points de suspension apparaissent aussitôt. Il répond : "Occupée à éviter mon nom sur Internet ? 😅" Je souris malgré moi, Au moins, il a de l’auto-dérision. Mais c’est pas une raison pour flirter. Je réponds sèchement : "Exactement. Bonne nuit." Et j’éteins mon téléphone. Basta.Chapitre 14 23h17 La lumière bleutée de mon téléphone éclaire ma chambre d'une lueur fantomatique. Je suis recroquevillée sous la couette, l'appareil collé à mon oreille, à écouter la voix rauque d'Enzo qui me raconte sa journée avec ce mélange de passion et d'épuisement qui me fait toujours sourire. "—...et quand j'ai vu que le coach nous faisait recommencer les sprints pour la troisième fois, j'ai cru que j'allais mourir, litéralement. Mendez a vomi derrière les tribunes, le pauvre." Je mords mon oreiller pour étouffer mon rire. "Quel gentleman. T'as au moins tenu sa tresse pendant qu'il rendait son âme ?" Sa réponse est un grognement moqueur qui me fait frissonner. "T'es sadique, toi. Alors, ce week-end ?" Je ferme les yeux, sentant mon cœur faire un bond périlleux dans ma poitrine. Depuis trois jours, tout semble trop facile entre nous. Ses messages qui arrivent pile quand je pense à lui, ces attentions qui me font rougir comme une ado, cette façon qu'il a de me regarde
Chapitre XIIIJe marche vers la fac avec des pas traînants, chaque mouvement de la robe contre mes jambes me rappelant cruellement à quel point je suis sortie de ma zone de confort. Le tissu trop léger, trop soyeux, me donne l'impression d'être nue sous les regards insistants qui se posent sur moi. Des regards surpris, amusés, parfois admiratifs - mais tous me brûlent comme autant de petits soleils."Putain de robe", je murmure entre mes dents, regrettant amèrement d'avoir cédé à cette folie passagère. Chaque pas vers l'entrée de la fac est un supplice, chaque coup d'œil jeté dans ma direction me fait monter la chaleur à mes tempes.Et puis je les vois.Michael, toujours aussi décontracté, adossé contre le mur. Lucas, encore un peu pâle à cause de sa grippe. Et Mehdi... Mehdi, debout près des marches, les bras croisés, son regard sombre planté droit sur moi."Salut les gars", je lance, m'efforçant à un ton naturel qui sonne faux même à mes oreilles.Michael me répond avec son enthousi
Chapitre XIIMes doigts tremblent légèrement en parcourant une énième fois l'historique de nos messages. Chaque mot d'Enzo semble gravé au fer rouge dans ma mémoire. Je ferme les yeux, sentant la chaleur me monter aux tempes plutôt qu'aux joues - cette réaction physique que je ne peux contrôler et qui me trahit à chaque fois. Comment ai-je pu me laisser prendre à ce jeu ? Lui, l'éternel séducteur, et moi, celle qui se vantait de ne jamais tomber dans ces pièges.J'éteins brutalement l'écran, laissant le téléphone tomber sur le matelas avec un bruit sourd. La nuit est épaisse derrière mes rideaux, mais le sommeil refuse de venir. Mes ongles s'enfoncent dans mes paumes. Et si tout ça n'était qu'une distraction pour lui ? Un passe-temps entre deux conquêtes plus faciles ? Je me retourne violemment, enfouissant mon visage dans l'oreiller. ---Le réveil sonne comme une alarme de prison. 7h15, le parc dans vingt minutes. Mon estomac se noue à cette simple pensée.Debout devant mon placard
Chapitre XI17h30 - Falaise des Goudes Le vent fouette mes cheveux tandis que je fixe désespérément l'horizon, refusant de croiser son regard. Mes lèvres picotent encore - un souvenir vivace de ce putain de baiser qui m'a retourné les tripes. Il s'appuie contre le capot de son Audi, trop calme, trop sûr de lui. "Alors ?" Je plisse les yeux. "Alors quoi ?" "Tu fais la muette depuis cinq minutes." Un sourire en coin. "Je commence à me demander si je t'ai embrassée ou assommée." Je lui lance un regard noir. "C'était... bizarre." "Bizarre ?" Il éclate de rire. "Vraiment ?" "Oui. Inapproprié. Gênant. Choisis ton terme." Il se redresse et avance vers moi, lentement, comme on approche un animal sauvage. Je recule d'un pas, butant contre le pare-chocs. "Jordan." Sa voix est douce, trop douce même. "Si c'était si 'bizarre', pourquoi tu as répondu ?" Je rougis jusqu'aux oreilles. "J'ai pas répondu, j'ai... subi." "Ah oui ?" Il place une main de chaque côté de moi, m'empri
Chapitre X 7h30 - Terrain d'entraînementL'odeur du café brûlé et de l'herbe humide me saute au visage en poussant le portail. Je suis en retard - une première - mais le terrain est presque vide. Seulement Mehdi et Michael qui s'échauffent, Lucas absent pour cause de grippe.Mon père m'attendait hier soir dans l'entrée, les yeux brillants :"Alors ma championne ? Comment s'est passé ton dîner ?""Bien." J'avais grimpé l'escalier sans le regarder, sentant le regard pesant de ma mère dans mon dos. Elle n'avait rien dit. Elle savait, elle savait toujours.Michael me lance un regard en coin tout en faisant des passes contre le mur."Alors Jordan ? On a droit aux détails croustillants ?"Je lui envoie un tacle sec pour récupérer le ballon."T'as que ça à foutre ?"Mehdi reste silencieux, concentré sur ses lacets. Je sens la tension rouler en vagues depuis son coin de terrain."Bon sang, respire un coup Mehdi, t'es rouge comme une tomate", ricane Michael.C'est alors que Mehdi lève les
Chapitre IX Ma mère pose deux tasses de café fumant sur la table. La sienne, noire comme la nuit, sans sucre. La mienne, noyée sous trois cuillères de sucre et un nuage de lait. Elle s’assoit en face de moi avec la lenteur calculée d’un juge prêt à rendre son verdict. "Alors." Elle prend une première gorgée brûlante, ne clignant même pas des yeux. "Explique-moi comment on en est arrivés là." Je fais tourner ma tasse entre mes doigts, sentant la chaleur traverser la céramique. "C’est bête, en fait. Je me suis pris un ballon dans la tête au stade, il s’est excusé, on a discuté..." "Et il t’a offert des places pour le match." Je lève les yeux, surprise. "Papa t’a dit ?" "Non." Elle esquisse un sourire. "Mais hier soir, je l’ai surpris en train de danser dans le salon en répétant 'ma fille connaît Enzo Lacroix' comme un mantra." Je cache mon visage dans mes mains. "Oh mon Dieu, c’est gênant..." Ma mère pose sa tasse. "Écoute, ma chérie. Je ne vais pas t’interdire ce dîner