Alexios
La nuit m’appartient.
Elle pulse autour de moi, vivante, lourde de secrets murmurés dans le vent. Chaque ruelle est un théâtre d’ombres, chaque battement de cœur une mélodie qui danse à mes oreilles. Je les entends tous. Leurs espoirs, leurs peurs, leurs désirs inavoués. Mais un seul cœur m’intéresse ce soir.
Léna.
Je peux encore sentir son odeur sur ma peau, la chaleur infime de sa présence malgré la distance qui nous sépare désormais. Son regard brûle dans mon esprit, une flamme vacillante mais indomptable. Elle pense m’avoir échappé.
Elle se trompe.
Je me tiens au sommet d’un immeuble, observant la ville en contrebas. Leurs lumières artificielles n’ont aucun éclat pour moi. Elles ne sont qu’une pâle imitation de la lueur qu’elle dégage, elle.
Une femme qui ne sait pas encore à quel point elle est déjà à moi.
Un sourire effleure mes lèvres alors que je ferme les yeux. Il est temps.
Je laisse mon essence s’étendre, glisser dans l’air comme un murmure insidieux. Je l’appelle. Pas par les mots, mais par quelque chose de plus profond, plus ancien.
Un lien invisible que même elle ne pourra ignorer.
— Viens à moi, Léna.
Je le ressens immédiatement. Une tension, une hésitation.
Elle lutte.
Mais elle viendra.
Elles viennent toujours.
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Léna
Un frisson me parcourt, brutal, incontrôlable.
Je me redresse d’un bond dans mon lit, le souffle court. Mon cœur cogne contre mes côtes comme s’il voulait s’en échapper. L’air de ma chambre est lourd, chargé d’une énergie que je ne comprends pas.
Et pourtant, je sais.
Il est là.
Pas physiquement. Mais je le ressens, comme une présence impalpable qui serpente autour de moi, s’immisce sous ma peau.
Alexios.
Sa voix résonne en moi, douce, hypnotique.
— Viens à moi, Léna.
Non.
Je secoue la tête, tente de chasser son emprise. Ce n’est pas réel. Ce n’est qu’un jeu. Un piège.
Je me lève brusquement, traverse la pièce d’un pas nerveux. Mes doigts tremblent alors que je passe une main dans mes cheveux. Il faut que je sorte. L’air me manque.
Je prends ma veste et claque la porte derrière moi.
Les rues sont silencieuses à cette heure. Un calme trompeur. Mais mon corps ne se détend pas. Chaque ombre semble vibrer, chaque souffle de vent porte son nom.
Je marche vite, sans but précis, cherchant à m’éloigner de cette sensation oppressante. Mais plus j’avance, plus mon instinct me hurle que je ne suis pas seule.
Je m’arrête net.
Et je le vois.
Alexios, adossé à un lampadaire, son sourire indéchiffrable jouant sur ses lèvres.
— Tu es venue.
Sa voix est une caresse glacée sur ma peau.
Je serre les poings, luttant contre l’envie irrépressible de reculer.
— Tu m’as appelée.
Il incline légèrement la tête, amusé.
— Je n’ai fait que murmurer à la nuit. C’est toi qui as écouté.
Mon souffle se bloque. Il joue avec moi. Il veut me troubler.
Et pire encore… ça fonctionne.
Il s’approche lentement. Chaque pas est une menace silencieuse, un avertissement que je refuse d’entendre.
— Tu devrais avoir peur, dis-je, ma voix plus rauque que je ne l’aurais voulu.
— Oh, mais c’est toi qui trembles, Léna.
Il tend la main. Pas pour me toucher. Juste pour être là, dans mon espace, dans mon souffle.
— Tu es venue, parce que tu ne peux pas m’ignorer.
Mon cœur se serre.
C’est faux.
C’est faux.
Mais alors pourquoi mes doigts frémissent-ils d’envie de toucher cette main tendue ?
Pourquoi ai-je l’impression d’être attirée vers lui comme un papillon vers les flammes ?
— Lâche-moi.
Ma voix manque de conviction.
Alexios sourit, mais ne boug
e pas.
Il attend que ce soit moi qui cède.
Et ce qui me terrifie…
C’est que je suis sur le point de le faire.
LénaLa nuit est tombée depuis longtemps.Mais dans la maison, la lumière reste allumée.Il ne fait pas particulièrement froid, mais une couverture est posée sur le canapé. Le feu crépite doucement dans la cheminée, dégageant une chaleur douce et rassurante. Le tic-tac régulier de l’horloge rythme le silence.Kaël lit, allongé sur le canapé, les jambes croisées, les cheveux en bataille, concentré. Ses sourcils sont froncés, sa main joue distraitement avec la couverture. Il ne me voit pas, plongé dans son roman. Le monde pourrait s’effondrer qu’il ne lèverait pas les yeux.Alexio est à la table, penché sur son ordinateur. Il porte ses lunettes, celles qu’il ne met qu’à la maison, celles qui glissent toujours un peu sur son nez et qu’il refuse de changer. Une tasse de thé fume doucement à côté de lui. Il tape, s’arrête, relit. Son regard est plus serein qu’avant. Moins hanté.Et moi… je les observe.Pas comme une étrangère. Pas comme une rêveuse.Comme une femme qui sait ce qu’elle a tr
LénaIl y a un goût de lumière dans la brume du matin.Comme une promesse trop fragile.Une clarté timide, qui hésite encore à se poser sur nos peaux marquées.Mais il y a aussi cette tension, fine, presque imperceptible.Comme une corde trop tendue, prête à se rompre au moindre faux pas.Le retour est silencieux.Pas hostile. Pas triste. Mais suspendu.Le chemin jusqu’à la maison est ponctué du bruit mou de nos pas sur la terre sèche, craquelée, mêlée de feuilles mortes.Nos corps sont encore lourds de fatigue, de plaisir, de ce trop-plein d’intensité qu’aucun mot ne saurait décrire.Et pourtant, déjà, je sens l’inévitable se frayer un chemin.Le quotidien.Ses habitudes, ses horaires, ses attentes.La normalité comme une pluie tiède après la tempête.Et avec lui, cette peur.Qu’il broie ce qu’on vient de créer.Qu’il efface, sans pitié, les traces brûlantes de la forêt.Dans la cuisine, Kaël prépare du café.Ses gestes sont lents, précis. Il mesure, il verse, il attend.Alexio fouil
LénaLe sentier est glissant sous mes pieds mouillés. Kaël tient ma main.Alexio marche derrière moi, sa paume dans le creux de mon dos, ancrée, chaude, rassurante.Nous ne disons rien. Pas encore. Pas tout de suite.Il y a ce silence qui n’est pas vide, mais plein de tout ce que nous venons de vivre.Mon corps flotte encore, engourdi d’eux.Gorgé de leurs caresses, de leur souffle contre ma peau, de leur tendresse comme un feu qui ne consume pas, mais éclaire.Ils m’ont prise, oui. Ensemble.Mais sans jamais me déposséder.Je ne suis pas un terrain conquis.Je suis un territoire qu’ils apprennent à aimer, à comprendre, à explorer avec soin et respect.Et dans leurs gestes, dans leurs murmures, il n’y avait ni avidité, ni prise, seulement une offrande réciproque.Lorsque nous atteignons la clairière, les premiers oiseaux chantent.Tout est encore humide, lavé de la nuit.Les feuilles gouttent doucement, comme des larmes légères, et l’air sent la terre, la sève, la promesse.Je m’arrêt
LénaLe soleil grimpe lentement, mais son feu n’a rien à voir avec celui qui coule en moi.Chaque pas que je fais entre eux est un vertige.Leur peau frôle la mienne, leurs mains se croisent dans mon dos, sur mes hanches, sur mes épaules.Il n’y a pas de mot. Il n’y en a plus besoin.Le silence est devenu langage, le souffle est promesse.Leurs regards me suivent comme une caresse. Alexio, d’un brun tempétueux. Kaël, d’un or calme et profond.Deux flammes contraires, et je suis l’étincelle au centre.Ils s’approchent comme on s’approche d’un secret, d’une offrande, d’un serment ancien.J’ai la gorge nouée d’envie. D’attente.D’amour.Nous atteignons un petit recoin caché, là où la rivière s’élargit en une vasque claire, cerclée de rochers tièdes.Les arbres penchent leurs branches au-dessus de nous, comme s’ils voulaient nous protéger, ou simplement nous voir.Le vent est léger. L’ombre danse sur nos peaux.Alexio me pousse doucement, sans brusquerie, mais avec cette tension sous-jace
LénaQuand j’ouvre les yeux, la première chose que je sens, c’est la chaleur.Pas celle du soleil il dort encore derrière les collines, enveloppé dans sa couverture de brume mais celle de deux corps qui m’entourent.Alexio dans mon dos. Kaël face à moi.Deux présences. Deux rythmes. Deux cœurs battants.Et moi, au centre, comme l’épicentre d’un monde qui ne s’effondre plus.Je ne bouge pas tout de suite.Je savoure.Le silence est encore là, mais il n’est plus un refuge. Il est un écrin.Tout est calme, doux, suspendu.Une parenthèse après la guerre, une île après le naufrage.Je ferme les yeux à nouveau, un instant.Juste pour sentir.Le souffle d’Alexio sur ma nuque, lent, régulier, comme une berceuse ancienne.Ses bras m’enserrent comme une promesse faite dans une langue oubliée.Et Kaël, tout près, les paupières encore closes, tient toujours ma main dans la sienne.Il ne l’a pas lâchée. Pas une seconde. Même dans le sommeil, il s’accroche à moi comme à une vérité.Sa peau est chau
LénaLa journée a passé comme un souffle tiède, une respiration lente après une apnée interminable.Kaël s’est levé. Pas vite. Pas sans douleur. Mais il s’est levé.Et dans ce geste simple, il y avait un monde entier qui renaissait.Alexio l’a soutenu sans un mot. Moi, je l’ai regardé comme on regarde un miracle qu’on n’ose pas toucher.Nous avons marché un peu. Trois ombres entre les arbres calcinés, la terre encore tiède de magie, de guerre, de peur.Mais la Brèche est refermée. Le ciel ne saigne plus.Le monde panse ses plaies, et dans ce silence nouveau, on entend à nouveau la vie. Un oiseau. Une brise. Une rivière qui coule quelque part.Des choses simples. Des choses qu’on croyait perdues.Nous n’avons presque rien dit.Le silence n’était plus pesant. Il était doux. Comme un murmure ancien que seuls les cœurs battants savent entendre.La nuit est tombée lentement, sans brutalité, comme une couverture sur nos épaules fatiguées.Nous avons installé les couvertures côte à côte, sur