Léna
Je devrais fuir.
Tout en moi hurle de partir, de ne pas m’approcher davantage. Pourtant, mes pieds restent ancrés au sol, incapables de reculer. Alexios n’a pas bougé, mais sa présence m’enveloppe comme une étreinte invisible.
Son regard est un piège.
Je refuse d’être prise au piège.
— Je ne suis pas venue pour toi.
Les mots sonnent faux, même à mes propres oreilles.
— Oh ? Il incline la tête, amusé. Et pourtant, te voilà, à errer seule dans la nuit, jusqu’à moi.
Ma gorge se serre. Il a raison. Je suis venue. Parce que quelque chose m’a attirée, quelque chose de plus fort que ma raison.
Non. Je refuse de l’accepter.
— Tu as utilisé un tour de vampire.
Il sourit, un éclat amusé dans ses prunelles sombres.
— Si c’était le cas, tu ne serais pas en train de me résister.
Il a encore raison. Sa voix m’a hantée, mais je suis toujours maître de moi.
Alors pourquoi suis-je là ?
Je serre les poings.
— Je devrais te tuer.
Cette fois, il rit doucement, un rire bas et velouté qui me caresse la peau.
— Et pourquoi ne l’as-tu pas fait ?
Parce que mes mains tremblaient. Parce que lorsque j’ai croisé son regard, j’ai oublié pourquoi je le haïssais.
Mais je ne peux pas lui avouer ça.
— Je cherchais le bon moment.
— Mensonge.
Il fait un pas vers moi. Je ne bouge pas.
— Si tu voulais me tuer, tu ne serais pas venue seule.
Mon souffle se bloque. Il sait. Il sait que je n’ai dit à personne où j’allais, que mes sœurs d’armes dorment sans se douter que je suis ici.
Pourquoi ai-je agi ainsi ?
Son ombre s’étire jusqu’à moi, me frôle, et un frisson me parcourt l’échine.
— Que veux-tu de moi ? demandé-je, ma voix plus faible que je ne l’aurais voulu.
Son sourire s’efface.
— Tout.
Un battement de cœur.
Il n’a pas murmuré ces mots, il les a gravés en moi.
Mon ventre se contracte sous l’aveu brutal, sous la promesse contenue dans ce regard trop intense.
— Tu es fou.
— Peut-être. Il approche encore, si près que l’air entre nous vibre d’électricité. Mais dis-moi, Léna… Qui de nous deux est le plus fou ? Celui qui réclame ce qu’il désire, ou celle qui lutte contre une évidence ?
Je refuse d’écouter.
Je refuse d’entendre ce que ces mots réveillent en moi.
— Je ne t’appartiens pas.
— Pas encore.
Son souffle frôle ma joue.
Je devrais le repousser.
Mais mes doigts restent figés.
— Joue avec moi, Léna.
Ses lèvres effleurent ma tempe. Juste un effleurement, une caresse fantôme. Mais elle me brûle.
— Je ne joue pas.
— Alors fais un choix.
Il recule d’un pas, me libère de cette emprise invisible.
— Si tu veux me tuer, fais-le maintenant. Si tu veux fuir, pars et ne reviens jamais. Mais si tu veux comprendre… reste.
Mon cœur cogne furieusement contre ma poitrine.
Je devrais sortir mon arme. L’achever d’un geste sûr.
Mais mes mains restent vides.
Je devrais fuir, retrouver les filles, oublier cette nuit.
Mais mes jambes ne bougent pas.
Je devrais partir.
Je devrais…
Et pourtant, je lève les yeux vers lui.
— Si je reste, tu me donneras des réponses ?
Un sourire effleure ses lèvres.
— Je te donnerai bien plus que ça.
La nuit se referme sur nous.
Et moi, je ne bouge toujours pas.
LénaLa nuit est tombée depuis longtemps.Mais dans la maison, la lumière reste allumée.Il ne fait pas particulièrement froid, mais une couverture est posée sur le canapé. Le feu crépite doucement dans la cheminée, dégageant une chaleur douce et rassurante. Le tic-tac régulier de l’horloge rythme le silence.Kaël lit, allongé sur le canapé, les jambes croisées, les cheveux en bataille, concentré. Ses sourcils sont froncés, sa main joue distraitement avec la couverture. Il ne me voit pas, plongé dans son roman. Le monde pourrait s’effondrer qu’il ne lèverait pas les yeux.Alexio est à la table, penché sur son ordinateur. Il porte ses lunettes, celles qu’il ne met qu’à la maison, celles qui glissent toujours un peu sur son nez et qu’il refuse de changer. Une tasse de thé fume doucement à côté de lui. Il tape, s’arrête, relit. Son regard est plus serein qu’avant. Moins hanté.Et moi… je les observe.Pas comme une étrangère. Pas comme une rêveuse.Comme une femme qui sait ce qu’elle a tr
LénaIl y a un goût de lumière dans la brume du matin.Comme une promesse trop fragile.Une clarté timide, qui hésite encore à se poser sur nos peaux marquées.Mais il y a aussi cette tension, fine, presque imperceptible.Comme une corde trop tendue, prête à se rompre au moindre faux pas.Le retour est silencieux.Pas hostile. Pas triste. Mais suspendu.Le chemin jusqu’à la maison est ponctué du bruit mou de nos pas sur la terre sèche, craquelée, mêlée de feuilles mortes.Nos corps sont encore lourds de fatigue, de plaisir, de ce trop-plein d’intensité qu’aucun mot ne saurait décrire.Et pourtant, déjà, je sens l’inévitable se frayer un chemin.Le quotidien.Ses habitudes, ses horaires, ses attentes.La normalité comme une pluie tiède après la tempête.Et avec lui, cette peur.Qu’il broie ce qu’on vient de créer.Qu’il efface, sans pitié, les traces brûlantes de la forêt.Dans la cuisine, Kaël prépare du café.Ses gestes sont lents, précis. Il mesure, il verse, il attend.Alexio fouil
LénaLe sentier est glissant sous mes pieds mouillés. Kaël tient ma main.Alexio marche derrière moi, sa paume dans le creux de mon dos, ancrée, chaude, rassurante.Nous ne disons rien. Pas encore. Pas tout de suite.Il y a ce silence qui n’est pas vide, mais plein de tout ce que nous venons de vivre.Mon corps flotte encore, engourdi d’eux.Gorgé de leurs caresses, de leur souffle contre ma peau, de leur tendresse comme un feu qui ne consume pas, mais éclaire.Ils m’ont prise, oui. Ensemble.Mais sans jamais me déposséder.Je ne suis pas un terrain conquis.Je suis un territoire qu’ils apprennent à aimer, à comprendre, à explorer avec soin et respect.Et dans leurs gestes, dans leurs murmures, il n’y avait ni avidité, ni prise, seulement une offrande réciproque.Lorsque nous atteignons la clairière, les premiers oiseaux chantent.Tout est encore humide, lavé de la nuit.Les feuilles gouttent doucement, comme des larmes légères, et l’air sent la terre, la sève, la promesse.Je m’arrêt
LénaLe soleil grimpe lentement, mais son feu n’a rien à voir avec celui qui coule en moi.Chaque pas que je fais entre eux est un vertige.Leur peau frôle la mienne, leurs mains se croisent dans mon dos, sur mes hanches, sur mes épaules.Il n’y a pas de mot. Il n’y en a plus besoin.Le silence est devenu langage, le souffle est promesse.Leurs regards me suivent comme une caresse. Alexio, d’un brun tempétueux. Kaël, d’un or calme et profond.Deux flammes contraires, et je suis l’étincelle au centre.Ils s’approchent comme on s’approche d’un secret, d’une offrande, d’un serment ancien.J’ai la gorge nouée d’envie. D’attente.D’amour.Nous atteignons un petit recoin caché, là où la rivière s’élargit en une vasque claire, cerclée de rochers tièdes.Les arbres penchent leurs branches au-dessus de nous, comme s’ils voulaient nous protéger, ou simplement nous voir.Le vent est léger. L’ombre danse sur nos peaux.Alexio me pousse doucement, sans brusquerie, mais avec cette tension sous-jace
LénaQuand j’ouvre les yeux, la première chose que je sens, c’est la chaleur.Pas celle du soleil il dort encore derrière les collines, enveloppé dans sa couverture de brume mais celle de deux corps qui m’entourent.Alexio dans mon dos. Kaël face à moi.Deux présences. Deux rythmes. Deux cœurs battants.Et moi, au centre, comme l’épicentre d’un monde qui ne s’effondre plus.Je ne bouge pas tout de suite.Je savoure.Le silence est encore là, mais il n’est plus un refuge. Il est un écrin.Tout est calme, doux, suspendu.Une parenthèse après la guerre, une île après le naufrage.Je ferme les yeux à nouveau, un instant.Juste pour sentir.Le souffle d’Alexio sur ma nuque, lent, régulier, comme une berceuse ancienne.Ses bras m’enserrent comme une promesse faite dans une langue oubliée.Et Kaël, tout près, les paupières encore closes, tient toujours ma main dans la sienne.Il ne l’a pas lâchée. Pas une seconde. Même dans le sommeil, il s’accroche à moi comme à une vérité.Sa peau est chau
LénaLa journée a passé comme un souffle tiède, une respiration lente après une apnée interminable.Kaël s’est levé. Pas vite. Pas sans douleur. Mais il s’est levé.Et dans ce geste simple, il y avait un monde entier qui renaissait.Alexio l’a soutenu sans un mot. Moi, je l’ai regardé comme on regarde un miracle qu’on n’ose pas toucher.Nous avons marché un peu. Trois ombres entre les arbres calcinés, la terre encore tiède de magie, de guerre, de peur.Mais la Brèche est refermée. Le ciel ne saigne plus.Le monde panse ses plaies, et dans ce silence nouveau, on entend à nouveau la vie. Un oiseau. Une brise. Une rivière qui coule quelque part.Des choses simples. Des choses qu’on croyait perdues.Nous n’avons presque rien dit.Le silence n’était plus pesant. Il était doux. Comme un murmure ancien que seuls les cœurs battants savent entendre.La nuit est tombée lentement, sans brutalité, comme une couverture sur nos épaules fatiguées.Nous avons installé les couvertures côte à côte, sur