Se connecterLes couloirs de l’étage Stratégie avaient, en fin de journée, cette odeur mêlée de café refroidi, d’encre et de cire sur le marbre. Mila quittait la war room après un débrief tardif avec Niels Devereux, son patron, un classeur de slides annotés serré contre la poitrine. Depuis sa prise de poste comme assistante du Directeur Stratégie, elle naviguait entre réunions confidentielles, tableaux de risques et notes de cadrage que l’on reformule jusqu’à la dernière minute.La journée avait été longue, saturée de tension depuis la soirée et la découverte du micro. Elle sentait encore sur sa peau le froid de cette situation. Chaque geste lui semblait scruté depuis. Et dans cette tour, tout prenait des allures de théâtre : des regards prolongés, des mots polis mais tranchants, des silences qui pesaient plus lourd que les phrases.Elle tourna au coin du couloir où s’égrenaient les bureaux vitrés des chefs de projet. Ethan Marlow apparut, costume gris clair,un sourire qui se voulait détendu mais
La clé tourna dans la serrure avec un petit cliquetis sec, un son si habituel qu’il aurait dû apaiser Mila. Pourtant, ce soir-là, il vibrait dans ses oreilles comme une alerte. Elle poussa lentement la porte, referma derrière elle, et resta immobile, le dos appuyé contre le battant. Son sac glissa de son épaule, atterrit au sol avec un bruit mat, amplifié par le silence ambiant.Le premier souffle de l’appartement l’accueillit. Cette odeur reconnaissable entre toutes : un mélange de lessive fraîche, de papier et de café oublié sur la table basse. Normalement, c’était un parfum de refuge. Mais ce soir, il semblait masquer quelque chose, comme si un autre souffle, étranger, avait traversé l’espace avant elle.Mila retira ses escarpins d’un geste mécanique, les rangea bien droits contre le mur — ce petit rituel d’ordre qui la calmait d’ordinaire. Pas cette fois. Son cœur battait trop vite, cognant dans sa poitrine avec une intensité désordonnée. Elle tendit l’oreille. Rien. Mais justemen
La soirée touchait à sa fin, mais l’air du hall restait saturé. Les rires, les applaudissements polis, le cliquetis des coupes — tout cela formait un voile superficiel. Sous la surface, une tension plus dure vibrait, invisible mais palpable.Alec s’était éloigné des convives pour rejoindre un petit salon annexe, un espace tapissé de boiseries sombres, réservé aux discussions privées. Ethan Marlow y était déjà, une coupe de vin rouge à la main, adossé avec nonchalance contre un fauteuil en cuir.— Reyford, dit-il avec un sourire mesuré, comme s’il l’attendait.Alec referma la porte derrière lui. Le bruit se coupa aussitôt, ne laissant que le souffle feutré du chauffage et le léger cliquetis du verre contre la bague qu’Ethan faisait tourner distraitement.Leurs regards s’accrochèrent, se jaugèrent. Ni l’un ni l’autre ne cilla.— Vous avez un talent certain, Marlow, lança Alec d’un ton parfaitement poli. Celui d’entrer dans une pièce comme si elle vous appartenait déjà.Ethan inclina lég
La soirée poursuivait son cours, mais l’air semblait chargé de quelque chose que Mila seule percevait. Comme si les lustres du grand hall, pourtant éclatants, diffusaient une lumière plus dure, presque crue, qui soulignait les visages et les ombres.Elle venait de reposer sa coupe à moitié vide quand une voix grave, polie mais marquée d’un accent anglais feutré, s’éleva à sa droite.— Pardonnez-moi… vous êtes bien Mademoiselle Andrews ?Mila tourna la tête. Un homme venait d’apparaître dans son champ de vision, comme s’il s’était détaché de la foule. Il portait un costume bleu nuit parfaitement taillé, une chemise claire sans cravate — une audace subtile dans ce genre de réception — et un manteau gris jeté négligemment sur son bras. Ses cheveux bruns, légèrement ondulés, étaient coiffés sans raideur, comme si le vent avait participé à son allure étudiée.Mais ce furent ses yeux qui accrochèrent Mila : un gris clair, presque translucide, avec une intensité calculée. Il souriait, mais c
La salle du gala ressemblait à un décor de théâtre trop brillant pour être réel. Les lustres suspendus diffusaient des éclats d’or qui se reflétaient dans les coupes de champagne et sur les nappes immaculées. Chaque convive semblait jouer un rôle : rires appuyés, conversations vides mais stratégiques, poignées de main comme des contrats muets.Le parquet, ciré à l’excès, renvoyait le bruit des talons et des pas. Les effluves de parfums se mélangeaient : notes fleuries de jasmin, bois précieux, musc entêtant. Mila avançait prudemment parmi ces fragrances comme si chacune pouvait la trahir.Elle se savait tolérée ici, invitée de seconde zone sous prétexte de représenter « l’esprit d’équipe » de Reyford Corp. Une formule polie pour justifier la présence de quelques employés hors cadre. Elle avait appris à se tenir droite, à occuper le minimum d’espace, à observer plus qu’à parler.Et pourtant, chaque fois que son regard effleurait la silhouette d’Alec, elle sentait son équilibre vaciller
La nuit était tombée sur la tour Reyford comme un couvercle hermétique. Du haut du trente-deuxième étage, les lumières de la ville formaient un damier mouvant, mais à l’intérieur, seuls les bureaux éclairés rappelaient que certains esprits ne s’autorisaient jamais de repos.Mila gravit l’étage du département stratégie d’un pas mesuré, les muscles tendus. Dans ses bras, un dossier trop épais pour justifier sa présence à cette heure, mais assez lourd pour servir de prétexte. Elle avait appris à marcher comme une ombre dans cette tour : pas pressés, silhouette discrète, gestes retenus. Pourtant, cette nuit-là, chaque battement de son cœur résonnait comme un coup de talon sur le marbre.Elle inspira profondément avant de pousser la porte du bureau d’Alec.La pièce n’était éclairée que par une lampe basse, posée sur le coin du bureau en acajou. La lumière sculptait ses traits avec une dureté presque théâtrale : pommettes saillantes, mâchoire serrée, ombres sous les yeux. Sa cravate était d







