Le murmure de la pluie

...

Quand Yann Guérin est rentré à la maison, je venais tout juste de prendre rendez-vous pour une IVG prévue le lendemain.

Nous étions mariés depuis cinq ans, sans jamais avoir réussi à avoir un enfant.

Il y a quelques jours, j'avais découvert que j'étais enceinte de deux mois.

À l'origine, je voulais lui annoncer la nouvelle le jour de notre anniversaire de mariage, en guise de surprise.

Mais maintenant… il n'en valait plus la peine.

Yann a posé un petit sac sur la table et s'est approché de moi pour me prendre dans ses bras.

« Chérie, je t'ai ramené de la soupe. Viens, bois pendant que c'est chaude. »

J'ai jeté un coup d'œil dans le sac : quelques légumes, presque pas de viande, qui était tout risible.

Ça devait être des restes que quelqu'un avait laissés.

Je me suis esquivée de son étreinte et j'ai repoussé le sac un peu plus loin.

« Je n'ai pas faim. »

Yann, croyant que je faisais la difficile, a pris un bol, y a versé le contenu et l'a approché de mes lèvres.

« Arrête un peu, chérie, c'est ton plat préféré, non ? »

L'odeur froide et écœurante de la viande dans la bouillie s'est glissée dans mes narines, et je me suis précipitée aux toilettes pour vomir.

Yann a voulu me suivre pour me frotter le dos, mais je l'ai violemment repoussé d'un revers de main. Les yeux rouges, je l'ai fixé.

« Ne me touche pas ! »

Blessé par mes refus répétés, il a haussé le ton, l'agacement perceptible dans sa voix.

« Mais qu'est-ce que tu veux à la fin ? J'essaie de me rattraper, je fais tous les efforts possibles, et ça ne te suffit toujours pas ? »

« Je n'ai même pas relevé ton commentaire sarcastique, et c'est toi qui continues à m'en vouloir ? »

Il parlait avec tant d'assurance qu'on aurait dit que c'était moi qui avais fauté.

Je le regardais, incrédule, la voix légèrement tremblante.

« Tu veux que je félicite une autre femme d'avoir eu un enfant… avec mon propre mari ? »

Yann a tiré nerveusement sur sa cravate, agacé.

« Après la mort d'Eliott, Clémence voulait juste un enfant pour ne plus être seule. Qu'est-ce qu'il y a de mal à ça ? Et moi, j'étais son meilleur ami. C'est normal que je prenne soin d'elle, que je l'aide à réaliser ses souhaits. »

« Et puis, il ne s'est rien passé entre Clémence et moi. J'ai juste… donné un spermatozoïde, c'est tout. Tu n'as pas besoin d'en faire tout un drame ! »

« Tu te comportes comme une épouse jalouse et irrationnelle ! »

Une épouse jalouse ?

Quand Eliott est décédé, j'éprouvais vraiment de la compassion pour Clémence. Elle était jeune, veuve si tôt — je l'invitais souvent à dîner chez nous.

Dès qu'il y avait une ampoule grillée, un appareil en panne, c'était toujours Yann et moi qui allions l'aider.

Clémence, les yeux rougis, disait souvent :

« Si seulement Eliott était encore là… Je ne voudrais pas vous déranger autant. »

Et moi, je souriais doucement : « Mais non, c'est normal, ce n'est rien. »

Yann acquiesçait avec conviction : « Si tu as besoin de quelque chose, n'hésite pas. Je suis là. »

Je croyais sincèrement que c'était par loyauté entre amis.

Alors, j'ai fermé les yeux sur tous les petits gestes qu'il faisait pour elle.

Mais avec le temps… tout avait changé.

Sans que je le sache, Yann allait seul faire ses courses avec elle, l'aidait à monter un meuble, lui apportait de la pommade quand elle se brûlait…

Et à moi, il ne proposait jamais rien.

Je commençais à me sentir mal à l'aise. Yann répétait que c'était juste pour aider la veuve d'un ami. Je n'avais pas vraiment le cœur de contester.

Mais là… même faire un enfant pour elle ?

A-t-il seulement pensé à ce qui arrivera une fois que cet enfant sera né ?

Il l'appellera papa, elle sera maman — et moi ? Moi, sa femme légitime ?

Et nos futurs enfants à nous, il y pense ?

Je voulais lui parler calmement. Mais dès que j'ai entendu ses reproches au téléphone, j'ai abandonné l'idée.

Et maintenant, en voyant son air sûr de lui, comme s'il n'avait rien à se reprocher… ça ne valait vraiment plus la peine.

Yann a déversé toute sa frustration, puis a lancé une dernière phrase sèche :

« Réfléchis un peu à ton comportement. Arrête d'être aussi mesquine ! »

Et il a claqué la porte en partant.

À cette heure-ci, je n'avais aucun doute sur l'endroit où il allait.

Et comme prévu, peu après, Clémence a publié une nouvelle photo sur ses réseaux.

On y voyait la main de Yann posée sur son ventre.

La légende disait : « Le papa du bébé est venu passer la soirée avec nous. Il m'a dit que c'est ici qu'il se sent chez lui. »

En voyant cette image, je n'ai pas pu m'empêcher de sourire. Un sourire triste.

Sourire de ma propre naïveté.

Sourire de ne pas avoir vu que ce mariage était déjà en train de pourrir.

J'aurais dû comprendre, ce jour où Yann a cessé de l'appeler « Madame Sorel » pour simplement dire « Clémence ».

Puisque c'est comme ça… Alors il est temps de couper les liens avant qu'il ne soit trop tard.