Le mardi suivant, Phœbé est complètement à la bourre. Sa mère est allée travailler beaucoup plus tôt que d'habitude, l'obligeant à utiliser un réveil qui n'a évidemment pas sonné. Son père, pensant qu'elle commençait plus tard dans la journée, n'a pas pris la peine de vérifier et s'en est allé travailler.
La jeune femme ne s'est levée qu'une heure plus tard en sursaut. Il est dix heures six alors que depuis huit heures, elle est censée se trouver sur les bancs de l'amphithéâtre. Courant aussi vite qu'elle le peut dans son jean déchiré de toutes parts pour atteindre son établissement à plusieurs minutes, l'adolescente traverse les rues avec imprudence et les klaxons incessants qui résonnent dans sa tête lui font comprendre que tôt ou tard, elle se fera renverser.
Soudain, l'écrasante impression d'être espionnée vient peser sur ses épaules. Petit à petit, sa cadence ralentit. Ses yeux détaillent les alentours, du plus haut immeuble aux plus petits, du plus ancien aux plus modernes jusqu'aux plus étroites ruelles. Néanmoins, rien ne lui saute aux yeux. Peut-être est-elle juste un peu parano ? Le manque de sommeil y est sûrement pour quelque chose... Un puissant klaxon la retire de ses réflexions.
- Oh ! L'humaine, t'es pas chez toi ! lui hurle le chauffeur freiné sur le passage piéton sur lequel l'étudiante s'est malencontreusement arrêtée.
Un loup... Rapidement, Phœbé l'analyse. Il respire la soumission. Un corps de lâche, des yeux noirs et ternes : aucune lueur laissant penser qu'il est un dominant. Un simple oméga qui pense pouvoir dominer une humaine.
- Toi non plus, rétorque-t-elle. Ta place est dans ta meute, à faire le ménage pour ton maître, l'oméga.
Les rougeurs qui se répandent sur son visage lui arrachent un rictus de satisfaction. Aussitôt, l'adolescente reprend sa course vers son université.
- Mademoiselle Brown ? Je n'y croyais plus, commente Monsieur Kendel lorsque Phœbé ouvre la porte en trombe.
La jeune femme le dévisage furtivement et prend sa place au fond de l'amphithéâtre où étonnamment, se trouve une étudiante. Cette dernière la regarde en biais puis se reconcentre sur le cours du professeur. Retirant une simple feuille double, parmi tous les ordinateurs holographiques de ses camarades, elle s'affaire à la même tâche jusqu'à ce qu'un morceau de feuille lui parvienne. Sans même y jeter un œil, elle le lui rend. Elle sait que la présence de cette fille n'est pas un hasard.
- Lis-la, lui intime l'adolescente en la renvoyant vers elle.
Dans un soupir agacé, la jeune femme obéit. Elle le déplie et y découvre un message pour le moins amusant. Un avertissement contre sa meilleure amie, la rouquine, qui prévoit de lui sauter dessus à la pause déjeuner, soit dans moins de deux heures. Elle pouffe en lisant cela. Lui sauter dessus ? Quelle blague ! Louve ou pas, personne ne s'attaquera à elle.
- Mademoiselle Brown, je vous prierais de ne pas perturber mon cours, déjà que vous êtes arrivée en retard.
Choquée par le ton employé par son enseignant, l'Afro-Américaine relève la tête. Depuis quand ce loup lui parle-t-il aussi poliment ? Son ton blasé demeure toujours autant dans le fond de sa gorge toutefois, la formule appliquée n'est pas la même que d'habitude, la prenant totalement de court.
- Hum... OK, dit-elle avec scepticisme avant de demander à sa voisine de banc où elle a recueilli cette information.
Et la justification manque de peu de la faire ricaner. Elle les a apparemment entendus. La mélanoderme n'apprécie guère les colportages, elle préfère avoir des preuves solides afin qu'elle puisse être sûre. Malgré le fait que c'est tout à fait possible que la rouquine l'assaille par surprise.
Avant de se débarrasser de ce morceau de papier, elle lui demande une dernière chose qui lui semble essentielle : pourquoi l'avoir averti ? Cette fille pourrait très bien garder cela pour elle. Ne pas se mêler de ses affaires qui la mettront dans une sacrée situation si jamais un des nombreux larbins de la rousse le découvre.
La réponse qu'elle obtient la perd dans une totale incompréhension. La jeune femme, la mignonne petite blondinette, discrète au point d'être effacée, l'admire ? S'émerveille devant son détachement quotidien ? Et contemple son style vestimentaire ? Phœbé, complètement larguée, ne cherche pas à comprendre et la remercie avant de balancer la boule de papier dans la poubelle.
À l'heure de la pause, l'étudiante est à la fois étonnée et ravie de ne pas voir les deux loups sur ses talons. Traversant les couloirs maintenant vides, elle emprunte la direction de la cafétéria. La jeune femme a, depuis un certain temps maintenant, pris l'habitude de se rendre à la cantine une demi-heure suivant la sonnerie dans l'intention de ne pas se mélanger et se faire bousculer par la même occasion.
Regrettablement, Heather alias la rouquine survient du couloir perpendiculaire à celui qu'elle prend, brisant son moment de tranquillité. Dépourvue de considération à son égard, elle la contourne, elle et ses copines. Sauf qu'une se permet de lui bloquer le passage en plaquant son bras sous sa poitrine. Dans le but de ne pas perdre le peu de sang-froid qu'elle possède, la jeune femme expire bruyamment.
- Ton bras, gronde-t-elle.
Sous ses apparences de fille impénétrable, le sang qui pulse dans ses veines est plus que bouillant. La moindre incommodité dans ses projets l'irrite.
- Tu pensais que je n'oserais pas le faire ? débute Heather en s'approchant à pas lents de l'adolescente. Te faire payer ton existence ?
À reculons, la brune qui l'empêche d'avancer s'éloigne, laissant les deux jeunes femmes de même taille et qui n'ont que pour seule différence leur espèce, se regarder en chien de faïence.
- Ce que tu m'as volé m'aurait guidé au plein pouvoir, à une existence des plus grandes, des plus marquantes, mais il a fallu que tu sois là ! Une pathétique humaine ! Tu n'es pas digne de lui !
La tension de Phœbé, qui commence à grimper, redescend. Cette fille, parlant pour ne rien dire, est complètement dépravée avec son histoire de vol, de pouvoir et de lui dont elle n'est absolument pas responsable.
- D'accord, si tu veux, consent Phœbé avec un profond stoïcisme.
En un temps record, le dos de l'Afro-Américaine bute contre le mur. La rousse semble avoir du mal à contrôler sa louve face à son comportement désinvolte. Devançant Phœbé, une voix froide intervient :
- Je te conseille de la lâcher. Je pense que tu es consciente que ta vie est en péril s'il l'apprend ?
- On ne se répétera pas, ajoute une seconde personne en n'apercevant aucune réaction chez Heather. Le prochain avertissement sera le dernier, la menace-t-elle.
Les yeux brillants d'une lueur sauvage par son animal, son assaillante la relâche dans un grondement. Dans un semblant de dignité, elle fait demi-tour et s'en va. Phœbé ne perd pas non plus son temps et retourne à sa première occupation, atteindre le restaurant scolaire pour manger.
- Surtout, ne nous remercie pas, lui reproche un des deux garçons.
- Je ne vous ai rien demandé, se défend-elle en poursuivant sa route.
- Aussi fière que lui, ricane celui qu'elle reconnaît comme étant Clugan.
Aussitôt, la jeune femme fait volte-face pour découvrir ce dernier accompagné de Gordon et les fusille des yeux.
- Il n'y a pas de « lui » ! Je ne connais pas de « lui » ! Il y a moi et uniquement moi ! D'accord ? Maintenant, foutez-moi la paix !
Sur ces mots, elle rejoint la cafétéria.
- Elle n'est pas au courant... ? s'interroge Clugan en jetant un coup d'œil à son ami.
- Il semblerait que non. Enfin, ce n'est pas notre problème, soupire ce dernier en se dirigeant vers la sortie.
- Alors, quels sont vos hobbies, Mademoiselle Brown ? demande Juan, l'époux de Marta.Voici la énième question qu'on lui pose depuis qu'elle a été présentée à chacun des membres de la famille de Chad. Cinq enfants jouent dans l'immense cour à la limite de la forêt et approximativement trente personnes siègent autour de la table, mélangeant grands-parents, frères, sœurs, oncles, tantes, parrains et marraines. Chacun a une question à lui poser et aucun ne possède de filtres quant à leurs questions, car tous les sujets y passèrent : études, sport, famille, amis, relations avec d'autres hommes et maintenant, ses loisirs. Elle n'est décidément pas sortie de l'auberge.- Avant je faisais de la peinture, mais j'ai arrêté depuis je n'en ai plus, répond l'intéressée en fourrant un croissant dans sa bouche.- Pourquoi donc ? intervient Andrea, sa fille et donc la sœur de Natalia.- Le gouvernement a pété les plombs, déclare-t-elle, franchement. Ils ont interdit tout ce qui est peinture dans les
Un rictus espiègle se dessine sur son visage alors qu'elle dévisage le couple et la jeune femme en profite pour la détailler rapidement. C'est une femme de petite taille. Elle possède de longs cheveux bruns ondulés et de grands yeux parés de longs et épais cils. Contrairement à ceux de Chad, ils sont d'un brun foncé et ses traits ne s'apparentent qu'imperceptiblement aux siens. Quelle ingratitude de mettre un enfant au monde pour qu'il ne ressemble pas à sa mère.- Bien, allez vous installer dehors avec les autres, somme Natalia. Le petit-déjeuner sera servi dans quelques minutes.- Vous avez besoin d'aide, Madame ? demande poliment Phœbé.- Puisque c'est si gentiment demandé, rit-elle.La femme congédie Chad, lui promettant de bientôt lui ramener sa « chérie », et entraîne la jeune femme dans la cuisine avant de lui indiquer ce qu'elle doit faire : tartiner des tranches de pains grillés de tomates préalablement mixées. Ça ne semble pas être une tâche trop difficile. Elle se lave les
Des flammes dansent face à elle. Intenses, belles et puissantes. De l'autre côté, un regard d'or où se reflète ce brasier, la fixe avec avidité et complicité. Ses cheveux, d'habitude tressés ou attachés, sont libres et encadrent son visage aux traits virils.- Tu es prête, Mía ? demande-t-il de sa voix suave par ce lien qui leur est si précieux et intime.- Bien sûr que je le suis. J'attends ce jour depuis une éternité, sourit-elle alors qu'un vieil homme aux allures de chaman approche.- En ce jour de pleine lune, sous les yeux attentifs et ravis de notre mère bien-aimée, nous célébrons l'union de deux âme-sœurs qui scelleront leur amour pour l'éternité. Femelle Alpha, à vous l'honneur.À une vitesse fulgurante, Phœbé s'enfonce dans la forêt, un énorme sourire sur les lèvres. La course poursuite entre la femelle et le mâle. Ce jeu a beau lui paraître malsain, la jeune femme ne peut empêcher ce sentiment d'excitation de s'emparer de son être. Durant des mois entiers, elle a été entraî
- Tu as une vieille tête, lâche Phœbé lorsque Chad fait son entrée dans le salon. Tu as fait la fête ?- On peut dire ça comme ça, sourit-il.Avec sa bouteille... Les sourcils de l'Afro-Américaine se froncent presque automatiquement. Que signifie « on peut dire ça comme ça » ? C'est un oui ? C'est un non ? Avec qui et où ? Sa bouche s'entrouvre dans le but de lui poser la question, mais il la devance.- Il n'y avait personne, Mía, mais ravi de voir que tu t'en inquiètes, se réjouit-il.- Tu as fait la fête tout seul ? Tu es vraiment un ma...Sa phrase demeure en suspens tandis que les lèvres de Chad se posent sur les siennes avec une douceur comparable à la caresse d'une fleur. Si délicates. Si légères. Si atypiques que le temps d'un instant, elle se croit dans un rêve. Et même au moment où cet échange prend fin, ses yeux restent clos. Depuis quand fait-il des trucs pareils avec sa bouche ?- Il faudrait que tu ailles faire tes valises pour quelques jours, déclare-t-il, coupant net le
Voici maintenant plusieurs heures que les occupants de cette table ovale débattent sur les agissements d'Hayden Alexandesco. Aperçu au Nord, au Sud, à l'Est et à l'Ouest, il ne fait que provoquer la mort. Pourtant, au vu de cette situation désastreuse, Chad n'arrive pas à se concentrer. Des images malsaines défilent en chaîne dans son esprit : Phœbé et lui en train de coucher ensemble. Il n'a aucune idée de quoi découlent ces visions, mais elles s'avèrent être plus que gênantes dans ces circonstances.En sortant du bâtiment la nuit tombée, l'Alpha soupire. La situation empire et bientôt, il n'aura d'autre choix que de finir ce qu'il a commencé. Cette besogne devait déjà être de l'histoire ancienne, mais il a fallu que ces imbéciles l'emprisonnent, car de ses mains il a anéanti une famille entière. De ses mains, il a tué chaque membre de la famille royale vampirique. De ses mains, il a détruit le règne Alexandesco. Et le seul compromis qu'ils ont trouvé pour empêcher la guerre a été de
Leurs corps, l'un contre l'autre. Ses baisers voraces et possessifs. Ses longs baisers dans son cou. Ses doigts sur sa peau. Ses pensées en vrac. Une attente insoutenable de chacune de ses caresses, de chacun de ses baisers brûlants qui font vibrer tout son être. En ouvrant ses yeux clos, Phœbé découvre comme pour la première fois le regard d'or de Chad. Plus foncés par ses pupilles dilatées, plus sauvages par son excitation.- Regarde-toi, Mía, gronde-t-il. Si avenante. Si serrée. Si chaude. La forteresse est détruite, Mía... Tu es à moi.Le gémissement qui s'échappe d'entre ses lèvres à ce moment confirme ses dires. Elle est à lui.En ouvrant les yeux en sursaut, Phœbé croise le regard de la dernière personne qu'elle désire voir. Chad. Ses prunelles scintillent de malice comme s'il sait que son rêve a tourné en un film érotique dont elle et lui ont été les acteurs.- B... bonjour, bégaie-t-elle en détournant les yeux.- Bonjour, Mía. Puis-je savoir ce qui t'a valu un sommeil aussi a