AlinaJe ne dors pas.Ou peut-être que si.Mais ce n’est pas un sommeil ordinaire.C’est une suspension.Un fil tendu entre deux mondes.Mon corps est là, ancré contre Damon, sa chaleur douce, régulière, rassurante.Sa main s’est posée sur mon flanc sans y penser . ou peut-être que si.Sa paume épouse la courbe de ma hanche.Elle respire avec moi.Elle écoute.Et dans le silence entre nos souffles,j’entends plus que son cœur.J’entends celui du Royaume.Il bat.Lourd. Lointain.Mais présent.Il bat dans mes os.Il pulse dans mes paumes.Il monte sous ma peau comme une marée ancienne.Je ferme les yeux.Et j’y suis.Une lande ouverte.Large. Ventée.Le ciel est bas, gris nacré, constellé de cendres flottantes.L’odeur est celle du feu passé :celle de la suie, du fer froid, des larmes déjà sèches.Sous mes pieds nus, la terre est tiède.Vivante.Mais marquée.Devant moi s’étend le Royaume… après.Pas détruit , non.Mué.Comme une peau tombée.Comme un vieux nom oublié.Des ruines s’é
AlinaLe soleil s’est couché sans bruit.Comme si même lui, ce soir, n’osait troubler le silence que les Anciennes ont laissé derrière elles.Le palais est figé.Les couloirs, vides.Les torches, à peine vacillantes.Même les ombres semblent en prière.Je suis remontée seule, lentement.Chaque marche était un poids.Pas une fatigue . Non.Une densité nouvelle.Comme si chaque pierre du palais se souvenait de ce que j’étais devenue, et me regardait passer en silence.Damon n’a rien dit.Il a suivi mes pas, à distance, sans bruit.Il ne me touche pas encore.Mais son regard, lui, ne m’a pas quittée pas un instant.Je le sentais :il ne savait pas s’il m’aimait encore comme avant…ou s’il m’aimait plus fort malgré lui.La chambre est plongée dans une pénombre ambrée.Les rideaux tirés.Un feu discret ronronne dans l’âtre, jetant des reflets d’ambre et de braise sur les murs.L’air est chaud, mais chargé.Épais, presque vibrant.Je me déshabille sans hâte.Une à une, les couches tombent.
AlinaElles arrivent au lever du jour.En silence.Pas une voix.Pas un pas de trop.Juste le murmure de la mousse qu’elles foulent.Juste la terre qui semble s’écarter sur leur passage, comme si elle les reconnaissait.Elles viennent de loin.Des montagnes où nul ne vit plus.Des marécages où les lampes s’éteignent seules.Des forêts qui ont oublié le nom des saisons.Elles sont les restes d’un âge que les livres n’osent pas évoquer.Je les ai vues en rêve, tant de fois.Leurs silhouettes drapées de noir, de cendre, de lune.Leurs mains ridées comme l’écorce des premiers arbres.Leurs visages recouverts de symboles que je ne peux lire mais que mon ventre reconnaît.Elles n’ont pas de nom.Ou plutôt : elles sont au-delà des noms.Elles sont celles qui reviennent quand le monde vacille.Les veuves des temps premiers. Les gardiennes du seuil. Les mères de l’avant-mémoire.Les déchues bénies.Les survivantes du Tout-premier Feu.Et ce matin, elles entrent dans la cour du palais, une à un
AlinaJe dors.Ou je crois dormir.Mais quelque chose m’appelle.Ce n’est pas un son. Ce n’est pas un rêve.C’est plus ancien que le langage, plus dense que la peur. Une onde sourde, venue de l’intérieur — ou d’en dessous. Une vibration tellurique, lente, profonde, comme si la terre elle-même frémissait sous mes pieds nus.Et dans mon ventre, il y a un tressaillement.Pas un mouvement normal.Pas une caresse du bébé.Un sursaut.Un recul.Un refus presque.Comme si la vie qui pousse en moi avait, elle aussi, perçu l’appel.Comme si elle savait avant moi que quelque chose s’est mis en marche, là-dessous.Je me redresse d’un coup.Le silence dans la chambre est étrange, chargé. Le genre de silence qui précède les séismes.L’obscurité, douce, semble veiller ou écouter.Damon dort, le bras replié au-dessus de sa tête, les lèvres entrouvertes. Une mèche noire lui barre le front. Il respire paisiblement, comme s’il ne sentait pas la tension suspendue dans l’air.Mais moi, je n’y arrive plus
AlinaLe matin est arrivé sans bruit.Un matin irréel, suspendu, comme s’il s’excusait de venir troubler la magie de la nuit.Je me suis réveillée dans ses bras, blottie contre lui, mon visage niché dans le creux chaud de son torse. Le battement de son cœur me berçait encore, profond, régulier, aussi rassurant qu’un serment silencieux.Autour de nous, la forêt s’éveillait lentement, caressée par une brume pâle qui flottait entre les arbres comme un voile ancien. Le chant des oiseaux naissait à peine, timide, comme s’ils attendaient que nous ouvrions les yeux pour se remettre à vivre.Mais en moi, quelque chose avait déjà changé.Quelque chose de profond. D’irrévocable.Je le sentais dans mon souffle, plus ample.Dans mes membres, plus légers.Dans mon ventre, surtout ce centre nouveau de gravité, de feu et de mystère.Une chaleur douce, pulsante, lovée là, juste sous mes côtes.Pas une douleur. Pas un symptôme.Un battement. Un appel. Une vie.Je reste allongée un moment, incapable de
AlinaLe ciel est une toile de feu et d’or, embrasant l’horizon alors que le soleil décline lentement derrière la cime des arbres. L’air est doux, chargé de l’humidité légère du lac et du parfum des pins qui bordent la clairière. Un vent tiède caresse ma peau, soulevant doucement les mèches de mes cheveux alors que je suis assise au bord de l’eau, les pieds nus effleurant la surface miroitante du lac. De petits cercles se forment autour de mes orteils, troublant l’image parfaite du ciel qui se reflète dans l’eau.Mon cœur bat étrangement vite, malgré le calme ambiant. Après tout ce que nous avons traversé la guerre, les pertes, la douleur il est difficile de croire que nous en sommes enfin là. Vivants. Libres. Ensemble.Derrière moi, une branche craque dans l’herbe. Mes sens s’éveillent instantanément, reconnaissant le pas léger mais sûr qui s’approche. Avant même qu’il ne parle, je ressens sa présence. Cette chaleur familière qui pulse dans mes veines, cette tension électrique qui n’