LOGINKaïla
La journée s’est étirée dans un silence pesant, une lourde atmosphère de fausse convivialité flottant dans l’air. La nuit est tombée, mais elle ne m’a pas apporté de paix. Si seulement je pouvais me défaire de ce sentiment d’étouffement, si seulement je pouvais m’échapper… Mais je suis là, enchaînée par mon propre sang, mes propres liens familiaux, avec une lourdeur dans le cœur que personne ne semble vouloir comprendre.
Je m’éclipse dans l’ombre du grand hall de la meute, là où les rires et les voix se font plus lointains, où tout semble plus calme, plus supportable. À cet instant, je ne sais plus si je cherche la solitude pour me soulager de ce fardeau invisible, ou si c’est la solitude qui m’a choisie, m’enveloppant comme un manteau de douleur.
Je crois que j’ai juste besoin de souffler un peu, de me retrouver face à moi-même sans ce regard constamment braqué sur moi, sans ces murmures qui me glacent la peau. Un cri éclate soudainement au loin, un rire, peut-être, mais ce n’est pas le mien. Je fronce les sourcils, surprise par ce bruit qui m’arrache de ma torpeur. J’entends des pas qui résonnent dans le couloir, une silhouette familière se découpe dans la pénombre.
Aisha.
Elle me cherche, je le sais. Chaque pas qu’elle fait résonne comme un jugement, chaque mouvement, comme une remise en place. Je n’ai pas le courage de lui faire face. Pas maintenant. Pas avec tout ce qui s’est passé. Elle veut me retrouver, sûrement pour m’humilier encore une fois, pour me rappeler ma place, cette place en bas, à l’ombre de sa grandeur.
Je me faufile à travers les couloirs, espérant qu’elle ne me voie pas. Mais je sens déjà son regard perçant, l’incertitude de ses pas qui s’approchent. Je n’ai pas la force de supporter ses reproches encore une fois. Je n’ai pas la force de lui offrir ce qu’elle attend de moi : de l’humilité, de la soumission, un silence que je ne peux plus tenir.
– Kaïla.
Elle murmure mon nom avec une exaspération palpable, un frisson d’agacement dans sa voix. Je me stoppe net, mes doigts crispés sur le coin de la porte, mais je ne me retourne pas. Je le sais, elle va m’attraper, me rattraper comme elle le fait toujours.
– Pourquoi t’es-tu cachée ?
Elle s’approche, son parfum de vanille et de rose se mêlant à l’air glacial du couloir.
– Tu crois vraiment qu’ils vont te comprendre ?
Je sens sa main se poser sur mon épaule, mais je reste immobile, comme pétrifiée. Ses doigts me brûlent à travers le tissu de ma robe. La chaleur qu’elle dégage est trop forte, trop insistante. Elle veut me marquer. Me faire sentir qu’il n’y a aucune issue.
Je veux répondre, lui dire que je ne suis pas faible, que je suis plus que ce qu’elle pense de moi. Mais mes mots se perdent dans ma gorge, engloutis par cette peur étrange qui m'envahit à chaque fois qu’elle est proche de moi. La peur de son jugement. La peur de ne jamais être assez.
– Tu devrais partir. Quitter cette meute. Tu n’es pas faite pour ça.
Elle souffle ces mots comme une vérité qu’elle veut m’imposer, une réalité que je ne peux fuir. Ses yeux brillent d’une lueur froide, mais aussi d’une certaine pitié. Elle se tient droite, implacable, attendant que je lui obéisse comme toujours.
Je serre les poings dans mes poches, me préparant à répondre, à lui faire comprendre qu’elle n’a pas raison, que je ne suis pas une erreur. Mais la porte derrière moi s'ouvre soudainement, me surprenant, me forçant à sursauter.
Je me retourne, enfin.
Il est là.
Aric.
Il entre, tel un roi dans une salle qu’il domine, son regard balayé par la lumière tamisée du couloir. Il porte une aura qui semble englober tout ce qui l’entoure, une puissance indéniable qui fait taire tout ce qui se trouve autour de lui. Il m’a vue. Ses yeux se sont posés sur moi, sans hésiter, sans détourner le regard. Ses prunelles glissent sur mon visage avec une douceur que je n’avais pas imaginée. Une douceur presque incompréhensible pour moi. Ce n’est pas la façon dont on me regarde habituellement. Non. Ce n’est pas de la pitié, ce n’est pas de l’indifférence. C’est… autre chose.
Aisha le remarque aussi. Elle se tourne vers lui, son expression se fermant en une seconde, un voile de convoitise traversant brièvement ses traits. Mais elle sait mieux que quiconque qu’Aric ne la regarde pas de la même manière. Elle est l’alpha de notre meute, elle détient le pouvoir dans ce clan, mais Aric, lui, est un autre type de souverain. Un souverain plus grand que tout ce qu’elle pourrait imaginer. Il n’a pas besoin de se soumettre à son statut ou à son jeu de pouvoir. Et c’est précisément ce qui la rend nerveuse.
– Aric.
Sa voix est plus douce, plus mielleuse maintenant, bien que j’y perçoive une pointe d’agacement.
– Tu viens enfin nous rejoindre.
Elle s’avance vers lui, mais quelque chose dans le regard d’Aric la fait hésiter. Ce n’est pas de l’intérêt. Ce n’est pas de l’envie. Juste… un vide.
Je ne comprends pas ce qu’il se passe, mais je sens que cet homme, ce grand souverain, a une emprise sur la pièce, sur tout ce qui nous entoure. Son regard ne quitte pas le mien. Je voudrais reculer, m’éclipser à nouveau, me cacher dans l’ombre comme je l’ai toujours fait. Mais il y a quelque chose dans sa présence qui m’empêche de le faire. Quelque chose qui me pousse à rester. Un souffle léger dans l’air, comme une promesse silencieuse.
– Kaïla, n’est-ce pas ?
Sa voix est calme, profonde, mais il y a une question sous-jacente. Il sait mon nom. C’est un fait simple, mais en cet instant, cela me frappe plus que je ne le voudrais. Il sait qui je suis, alors que je suis si invisible dans cette meute.
Je déglutis, une bouffée d’angoisse m’envahissant.
– Oui…
Il hoche légèrement la tête, et dans ses yeux, je lis une sorte de reconnaissance. Ce n’est pas de la pitié. Ce n’est pas de l’indifférence. C’est… quelque chose d’autre. Peut-être de la curiosité. Peut-être une sorte d’empathie, même.
Je ne comprends pas pourquoi il me regarde ainsi, pourquoi il semble si… différent des autres. Mais une part de moi, une part profondément enfouie, veut que cela signifie quelque chose. Une part de moi, cette petite voix dans mon esprit, s’accroche à l’idée que peut-être, peut-être qu’il n’est pas comme eux. Peut-être que je n’ai pas à être seule.
Je croise son regard , et je me sens… vue.
La SouveraineLe premier conseil de notre règne conjoint s'achève. Les visages des généraux et des conseillers, hier encore marqués par la peur et la défiance, sont maintenant empreints d'une respectueuse stupeur. Ils ont vu l'Équilibre. Ils ont vu la colonne d'obsidienne et d'or, symbole de mon union avec Aisha. Les questions se sont heurtées au mur serein de notre certitude, et les objections sont mortes dans les throats devant la simple évidence de notre pouvoir complémentaire.Alors que les lourdes portes de la salle du trône se referment sur le dernier courtisan, une vague de fatigue, non pas physique, mais émotionnelle, m'envahit. Des heures à être un symbole, une idée vivante. Le poids de la couronne est lourd, même lorsqu'elle est partagée.« Tu as bien grogné, petite flamme », murmure Kayla dans mon esprit, sa présence comme une caresse contre ma fatigue. « Mais même la reine des cendres a besoin de se reposer. Va. Ton rocher t'attend. »Je tourne la tête. Tarek est déjà là.
La SouveraineLe silence qui suit la tempête est plus lourd que le fracas des combats. Il est fait de poussière qui retombe, de cendres chaudes et du souffle haletant de deux sœurs enfin réunies.Ma main est toujours serrée contre celle d'Aisha. Nos doigts sont entrelacés, et en eux circule un pouvoir que je n'avais jamais osé imaginer. Ce n'est plus le feu dévorant ou l'ombre vorace, mais quelque chose de nouveau, de plus ancien et de plus stable. Une énergie dorée et ambrée, striée de veines d'ébène, palpite autour de nous.« Elles dansent bien ensemble, maintenant, les deux moitiés », murmure la voix de Kayla dans mon esprit. Je la sens qui tourne autour de nous, invisible à tous sauf à moi, son pelage luisant mi-flamme, mi-ombre. « Mais méfie-toi, petite flamme. La sœur d'ombre a longtemps marché seule. Ses habitudes ont la vie dure. »Je caresse mentalement ses oreilles, trouvant un réconfort immédiat dans sa présence familière. « Elle fait partie de nous maintenant, Kayla. Toi a
La SouveraineLe palais tremble.Chaque colonne, chaque pierre, chaque fibre du lieu résonne avec la pulsation de ma magie. Le feu m’appelle, m’enlace, m’absorbe. Il n’est plus un outil, mais une extension de ma volonté , de ma rage.Face à moi, Aisha ne recule plus. Ses yeux, d’un bleu glacial, défient les miens. Sa propre aura, sombre et mouvante, s’élève comme un brouillard d’ombre. Elle ne veut plus se cacher. Elle vient pour me détruire.Kayla, aux aguets, tourne autour d’elle, la gueule entrouverte, le poil hérissé. Le vent de magie soulève la poussière et les cendres. Deux forces contraires s’affrontent, l’une née du feu, l’autre de la nuit.— Assez, Aisha, dis-je d’une voix qui vibre dans l’air. Tu joues à un jeu dont tu ignores les règles.— Et toi, tu as oublié qui t’a appris à marcher, ma sœur, réplique-t-elle en avançant d’un pas. Tout ce que tu es… c’est moi qui t’ai aidée à le devenir.Sa main s’élève. L’air s’assombrit. Une brume noire s’enroule autour de ses doigts, dé
La SouveraineL’air est lourd dans mes appartements. Les vitres fêlées laissent passer le vent du Nord, glacé, qui mord ma peau. Je m’avance, Kayla à mes côtés , dans mon esprit , silencieuse comme une ombre. Son pelage noir reflète à peine la lumière rouge qui émane de moi. Elle sent ce que je ressens : l’inquiétude, la tension, le frisson brûlant du pouvoir qui monte en moi.Je tends la main, et la flamme qui dort au creux de ma paume s’éveille. Elle serpente entre mes doigts, vive et imprévisible, comme une bête qui teste sa cage. Chaque souffle me fait vibrer, chaque pulsation de ma magie résonne dans mes veines comme une musique interdite. La ville m’a vue brûler, mais ce n’était qu’un avant-goût. Ce que je suis capable de créer maintenant dépasse tout ce qu’ils ont connu.Kayla grogne doucement. Je la regarde : elle sait. Elle sent Aisha. Ma sœur. Celle qui croit pouvoir se dresser contre moi. Sa présence est partout dans le palais, comme une ombre qui se glisse dans les recoins
La SouveraineLes couloirs du palais sont encore tièdes du feu. L’air porte une odeur d’encens et de cendre. À chaque pas, mes bottes s’enfoncent dans la poussière dorée laissée par la lumière , celle qui a consumé la moitié de la ville. Je marche lentement, droite, les mains croisées dans le dos. Autour de moi, les serviteurs détournent les yeux, certains s’agenouillent en silence. Je sens leur peur. Leur dévotion. Et cela m’enivre.Je sais qu’il me suit. Je l’entends respirer, lourdement, à quelques mètres derrière. Il ne parle pas. Pas encore. Mais sa présence est une brûlure dans mon dos.Je m’arrête devant la grande porte du hall d’audience. Les vitraux ont éclaté sous le souffle de la lumière. Le vent s’y engouffre, portant des cendres qui dansent autour de nous comme des âmes errantes.Je me retourne enfin. Il est là , le visage marqué par la fatigue, les vêtements tachés de suie. Ses yeux, surtout, me frappent. On y lit à la fois la peur et le désir, la fidélité et la r
Kaïla : La SouveraineL’air vibre.Je sens la fièvre du peuple avant même d’entendre leurs cris.Sous les hautes fenêtres du palais, la ville entière s’est levée , une marée d’humains prosternés, les bras tendus vers le ciel où l’étoile blanche brûle encore. Chaque battement de mon cœur répond à cette clameur. Chaque souffle est un feu qui me traverse.Des prêtres marchent pieds nus dans la poussière, portant des torches faites de leurs propres vêtements. Des femmes hurlent des prières jusqu’à l’épuisement. Certains tombent à genoux, d’autres dansent dans les rues comme possédés. L’éclat du ciel coule dans leurs yeux et les rend fous.Je me tiens sur le balcon, immobile, vêtue du manteau de lumière que les servantes ont tissé au matin. Le tissu semble respirer. Il pulse, comme s’il répondait à quelque chose au-dedans de moi.— Sa Majesté doit se retirer, dit une voix derrière moi. Le peuple n’est plus… stable.Je me retourne. C’est un capitaine. Son armure est salie de suie et de sang







