LOGINLa soirée s’est poursuivie dans une ambiance festive, mais moi, je n’ai pas été capable de m’y intégrer. Même les sourires forcés des membres de ma famille, qui se réjouissent de la venue d’Aric, ne parviennent pas à me réchauffer. Au contraire, ils me laissent un goût amer dans la bouche. Une sorte de vide qui s’accroche à moi comme une seconde peau. Je suis là, présente, mais invisible. Au fond de la pièce, je reste à l’écart, à l’abri des regards, et je m’y sens… plus en sécurité.
Mais cette sécurité, c’est une illusion. Ce que je ressens, ce sont les chaînes invisibles qui m’entourent. Ma famille. Ma propre meute. Ils sont là, avec leurs rires et leurs paroles, mais chaque mot qu’ils échangent, chaque regard jeté dans ma direction me rappelle ce que je suis. Une étrangère. Un poids. Une erreur.
Ma sœur aînée, Aisha, se tient près de la table, son regard perçant balayant la pièce. Je la sens m’observer. Je connais son regard. Ce regard acéré, dédaigneux, rempli d’une arrogance froide qu’elle sait faire passer pour de la pure indifférence. Ce n’est pas de l’indifférence. C’est de la haine. De l’envie. Et elle me hait pour ce que je suis, pour ce que je représente. Elle est la lumière, la perfection dans cette meute. Tout ce que je ne suis pas. Elle est l’alpha, l'héritière de tout ce que notre père a bâti, l’idéale. Et moi ? Moi, je suis une erreur, un fardeau qu’ils sont condamnés à porter. Elle me l’a dit des centaines de fois, avec des mots tout simples, mais tellement lourds.
– Pourquoi ne peux-tu pas juste être comme nous, Kaïla ?
Elle me le dit toujours sur un ton presque calme, mais c’est la froideur de ses yeux qui frappe le plus. Elle n’a jamais eu besoin de crier pour me détruire. Tout ce qu’elle fait, c’est m’ignorer, me rabaisser en un regard, en une parole distante. Et chaque fois, chaque parole qu’elle me jette comme une pierre dans l’âme, je la sens me briser un peu plus.
Un petit cri me fait tourner la tête. C’est un bruit étouffé, une voix à peine audible, mais je sais que c’est ma mère. Elle me regarde d’un air las, comme si ma simple présence l’irritait.
– Ma fille, viens ici.
Sa voix est douce, mais il y a cette froideur qu’elle cache derrière une fausse affection. Je m’approche, résignée, et elle me dévisage de haut en bas. Je frissonne sous son regard glacé.
– Tu vois, Aisha est à la hauteur de nos attentes. Pourquoi ne peux-tu pas faire de même ? Pourquoi dois-tu toujours être différente, Kaïla ?
Chaque mot est une gifle, chaque question une claque invisible qui s’enfonce dans mon cœur. Je veux fuir, me cacher, me faire oublier. Mais je ne peux pas. Pas maintenant. Pas ici. Je suis piégée dans ce cercle, dans ce fardeau familial qui me colle à la peau.
Je me fais plus petite, plus discrète. La voix de ma mère résonne encore dans ma tête, tandis que je me tourne pour m’éloigner d’elles. Mais le poids de la honte, de l’humiliation, est trop lourd pour que je puisse m’échapper si facilement.
Soudain, un rire éclate derrière moi, aigre et moqueur. C’est de mon frère, Malik. Il me rejoint, sa silhouette grande et imposante se faufilant parmi la foule. Il me jette un regard moqueur avant de s’approcher de moi. Ses gestes sont lents, mesurés, comme s’il prenait plaisir à voir ma souffrance.
– Tu crois vraiment qu’ils vont t’accepter ?
Il rit, cette fois plus fort, de cette manière qui me fait grincer des dents.
– Tu n’es qu’une petite chose, Kaïla. Ils ne t’aiment pas. Ils te tolèrent. C’est tout.
Je veux lui répondre. Lui dire que je n’ai pas besoin de leur approbation, que je n’ai pas besoin de leur amour. Mais les mots restent coincés dans ma gorge, lourds, impossibles à sortir. Pourquoi me battre ? Pourquoi crier quand je sais que ma voix n’a aucun écho ici, que ma souffrance ne touche personne ?
Malik se penche un peu plus près de moi, son souffle me caressant la peau.
– Tu sais, Kaïla, un jour, tu finiras par te rendre compte que tu n’es rien. Un jour, tu seras tellement insignifiante que même ton ombre te tournera le dos.
Il se redresse alors, un sourire sadique se dessinant sur ses lèvres.
– Mais ce jour-là, tu seras toute seule, et tu ne pourras blâmer personne d'autre que toi-même.
Je serre les poings, mais je garde le silence. Parce qu'il a raison. Je suis seule. Toujours seule. Et plus je tente de m’échapper, plus mes liens se resserrent.
Je me retourne, prenant une grande inspiration pour me calmer, mais la scène qui se déroule sous mes yeux me fige sur place. Aric est là, au centre de la pièce, sa silhouette majestueuse dominant les autres. Il ne me voit pas. Pas encore. Mais sa présence suffit à me transpercer. Comme un rayon de soleil qui perce les nuages. Il est au sommet, il est l’alpha. Et moi… moi, je suis ici, à l’écart, sans importance.
Un autre rire éclate, cette fois plus proche. Aisha s’est approchée de lui, tout sourire, l’air presque complice, comme si elle espérait attirer son attention. Mais lui, il n’a d’yeux que pour la meute, il est un roi parmi des sujets. Alors pourquoi m’a-t-il regardée tout à l’heure ? Pourquoi ai-je ressenti cette étrange sensation d’être vue, même pour une fraction de seconde ?
Je secoue la tête, forçant mes pensées à se concentrer sur autre chose. Il ne s’agit pas de lui. Il s’agit de moi, de ce que je suis, de ce que ma famille me fait devenir.
Les paroles de Malik résonnent en boucle dans ma tête, et je me demande si un jour j’arriverai à m’échapper de tout cela. À m’échapper de cette meute, de cette famille, qui me rejette. Mais à cet instant, je sais qu’il est trop tôt. Pas maintenant. Pas encore.
Je me détourne à nouveau, incapable de rester là une seconde de plus. Mais chaque pas m’éloigne d’eux, et chaque pas me rapproche de ma propre solitude.
La SouveraineLe premier conseil de notre règne conjoint s'achève. Les visages des généraux et des conseillers, hier encore marqués par la peur et la défiance, sont maintenant empreints d'une respectueuse stupeur. Ils ont vu l'Équilibre. Ils ont vu la colonne d'obsidienne et d'or, symbole de mon union avec Aisha. Les questions se sont heurtées au mur serein de notre certitude, et les objections sont mortes dans les throats devant la simple évidence de notre pouvoir complémentaire.Alors que les lourdes portes de la salle du trône se referment sur le dernier courtisan, une vague de fatigue, non pas physique, mais émotionnelle, m'envahit. Des heures à être un symbole, une idée vivante. Le poids de la couronne est lourd, même lorsqu'elle est partagée.« Tu as bien grogné, petite flamme », murmure Kayla dans mon esprit, sa présence comme une caresse contre ma fatigue. « Mais même la reine des cendres a besoin de se reposer. Va. Ton rocher t'attend. »Je tourne la tête. Tarek est déjà là.
La SouveraineLe silence qui suit la tempête est plus lourd que le fracas des combats. Il est fait de poussière qui retombe, de cendres chaudes et du souffle haletant de deux sœurs enfin réunies.Ma main est toujours serrée contre celle d'Aisha. Nos doigts sont entrelacés, et en eux circule un pouvoir que je n'avais jamais osé imaginer. Ce n'est plus le feu dévorant ou l'ombre vorace, mais quelque chose de nouveau, de plus ancien et de plus stable. Une énergie dorée et ambrée, striée de veines d'ébène, palpite autour de nous.« Elles dansent bien ensemble, maintenant, les deux moitiés », murmure la voix de Kayla dans mon esprit. Je la sens qui tourne autour de nous, invisible à tous sauf à moi, son pelage luisant mi-flamme, mi-ombre. « Mais méfie-toi, petite flamme. La sœur d'ombre a longtemps marché seule. Ses habitudes ont la vie dure. »Je caresse mentalement ses oreilles, trouvant un réconfort immédiat dans sa présence familière. « Elle fait partie de nous maintenant, Kayla. Toi a
La SouveraineLe palais tremble.Chaque colonne, chaque pierre, chaque fibre du lieu résonne avec la pulsation de ma magie. Le feu m’appelle, m’enlace, m’absorbe. Il n’est plus un outil, mais une extension de ma volonté , de ma rage.Face à moi, Aisha ne recule plus. Ses yeux, d’un bleu glacial, défient les miens. Sa propre aura, sombre et mouvante, s’élève comme un brouillard d’ombre. Elle ne veut plus se cacher. Elle vient pour me détruire.Kayla, aux aguets, tourne autour d’elle, la gueule entrouverte, le poil hérissé. Le vent de magie soulève la poussière et les cendres. Deux forces contraires s’affrontent, l’une née du feu, l’autre de la nuit.— Assez, Aisha, dis-je d’une voix qui vibre dans l’air. Tu joues à un jeu dont tu ignores les règles.— Et toi, tu as oublié qui t’a appris à marcher, ma sœur, réplique-t-elle en avançant d’un pas. Tout ce que tu es… c’est moi qui t’ai aidée à le devenir.Sa main s’élève. L’air s’assombrit. Une brume noire s’enroule autour de ses doigts, dé
La SouveraineL’air est lourd dans mes appartements. Les vitres fêlées laissent passer le vent du Nord, glacé, qui mord ma peau. Je m’avance, Kayla à mes côtés , dans mon esprit , silencieuse comme une ombre. Son pelage noir reflète à peine la lumière rouge qui émane de moi. Elle sent ce que je ressens : l’inquiétude, la tension, le frisson brûlant du pouvoir qui monte en moi.Je tends la main, et la flamme qui dort au creux de ma paume s’éveille. Elle serpente entre mes doigts, vive et imprévisible, comme une bête qui teste sa cage. Chaque souffle me fait vibrer, chaque pulsation de ma magie résonne dans mes veines comme une musique interdite. La ville m’a vue brûler, mais ce n’était qu’un avant-goût. Ce que je suis capable de créer maintenant dépasse tout ce qu’ils ont connu.Kayla grogne doucement. Je la regarde : elle sait. Elle sent Aisha. Ma sœur. Celle qui croit pouvoir se dresser contre moi. Sa présence est partout dans le palais, comme une ombre qui se glisse dans les recoins
La SouveraineLes couloirs du palais sont encore tièdes du feu. L’air porte une odeur d’encens et de cendre. À chaque pas, mes bottes s’enfoncent dans la poussière dorée laissée par la lumière , celle qui a consumé la moitié de la ville. Je marche lentement, droite, les mains croisées dans le dos. Autour de moi, les serviteurs détournent les yeux, certains s’agenouillent en silence. Je sens leur peur. Leur dévotion. Et cela m’enivre.Je sais qu’il me suit. Je l’entends respirer, lourdement, à quelques mètres derrière. Il ne parle pas. Pas encore. Mais sa présence est une brûlure dans mon dos.Je m’arrête devant la grande porte du hall d’audience. Les vitraux ont éclaté sous le souffle de la lumière. Le vent s’y engouffre, portant des cendres qui dansent autour de nous comme des âmes errantes.Je me retourne enfin. Il est là , le visage marqué par la fatigue, les vêtements tachés de suie. Ses yeux, surtout, me frappent. On y lit à la fois la peur et le désir, la fidélité et la r
Kaïla : La SouveraineL’air vibre.Je sens la fièvre du peuple avant même d’entendre leurs cris.Sous les hautes fenêtres du palais, la ville entière s’est levée , une marée d’humains prosternés, les bras tendus vers le ciel où l’étoile blanche brûle encore. Chaque battement de mon cœur répond à cette clameur. Chaque souffle est un feu qui me traverse.Des prêtres marchent pieds nus dans la poussière, portant des torches faites de leurs propres vêtements. Des femmes hurlent des prières jusqu’à l’épuisement. Certains tombent à genoux, d’autres dansent dans les rues comme possédés. L’éclat du ciel coule dans leurs yeux et les rend fous.Je me tiens sur le balcon, immobile, vêtue du manteau de lumière que les servantes ont tissé au matin. Le tissu semble respirer. Il pulse, comme s’il répondait à quelque chose au-dedans de moi.— Sa Majesté doit se retirer, dit une voix derrière moi. Le peuple n’est plus… stable.Je me retourne. C’est un capitaine. Son armure est salie de suie et de sang







