J’ouvrais les yeux lentement. Une douleur sourde me vrillait le crâne, comme si quelqu’un y avait enfoncé une tige de fer rougie.
Mon corps me paraissait anormalement lourd, engourdi, comme s’il avait été vidé de toute son énergie. Mon regard, encore flou, balaya l’espace autour de moi.
Des murs blancs.
Des tuyaux.
Des machines qui émettaient un bip régulier, presque hypnotique.
Un hôpital.
Je suis à l’hôpital.
Mais… pourquoi ?
J’essayai de me redresser erreur. Une douleur fulgurante me transperça la poitrine. J’étouffai un gémissement et retombai aussitôt, le souffle court.
Tout était confus dans ma tête. J’avais l’impression d’avoir oublié quelque chose d’important. Ou tout, en fait.
Puis des images floues commencèrent à affleurer. Une route. Des phares. Un choc. Et… une voix.
Oui, une voix douce, légèrement tremblante, qui me disait de tenir bon. Une femme. Je ne voyais pas son visage, mais je me souvenais de sa chaleur, de la manière dont elle m’avait tenu la main.
La porte s’ouvrit soudain. Une femme en blouse blanche entra avec un sourire soulagé.
— « Ah, vous êtes réveillé, enfin ! » dit-elle en s’approchant.
— « Où suis-je ? » murmurai-je d’une voix rauque.
— « À l’hôpital. Vous avez eu un accident. Vous ne vous souvenez pas ? »
Je plissai les yeux. Et là, l’image me revint d’un coup. La voiture. L’impact. Et cette voix, encore elle… J’avais failli mourir. J’aurais pu y passer si…
Je la regardai sans répondre tout de suite, essayant d’assembler les morceaux.
— « Je peux avoir un peu d’eau, s’il vous plaît ? »
— « Bien sûr. »
Elle s’éloigna puis revint avec un verre. Elle m’aida à boire doucement, patiemment, puis déposa le verre sur la petite table à roulettes.
— « Une dame vous a ramené ici. Vous étiez inconscient, blessé, et vous n’aviez aucun papier d’identité sur vous. Est-ce que vous pouvez nous dire votre nom ? »
Je me raidis légèrement.
Non.
Pas maintenant.
S’ils savaient qui j’étais, ils appelleraient immédiatement mes parents. Ils viendraient me chercher. Et ça, je ne le voulais pas. Je ne le pouvais pas.
Je raclai ma gorge et mentis sans trembler :
— « Je m’appelle Alex. »
Elle me regarda une seconde, surprise sans doute par mon hésitation, mais elle hocha simplement la tête.
— « Très bien, monsieur Alex. Reposez-vous. C’est la nuit maintenant. Je passerai vous surveiller de temps à autre. Vous êtes encore très faible. »
Elle tapota doucement mon drap, réajusta l’oreiller, puis fit demi-tour vers la porte.
Avant qu’elle ne sorte, elle jeta un dernier regard sur les machines, se tourna et ferma la porte lentement avant de partir.
Je me suis retrouvé encore seul et j'ai fermé les yeux. J'avais atrocement mal à la tête.
Je voulais juste faire une petite balade.
Rien de plus. Juste prendre l’air, rouler un peu, sentir le vent me gifler, croire que j’étais libre, que j’avais encore un semblant de contrôle sur ma vie.
Mais voilà.
Me voilà cloué à un lit d’hôpital, le corps meurtri, le cœur lourd. J’ai mal partout, et pas seulement physiquement.
Cette foutue moto.
Depuis que je l’ai achetée, elle ne m’apporte que des emmerdes. Je me suis toujours dit que c’était mon seul espace de liberté. Maintenant, je me demande si ce n’est pas une malédiction que je me traîne. Ou peut-être que c’est moi, le problème. Ma foutue impulsivité.
Et mes parents…
Je les entends déjà. Leurs voix indignées, leur regard glacé, leur colère maquillée sous des airs de déception. Eux, ils doivent être en train de retourner la ville entière.
Non, pire.
Je parie qu’ils ont déjà mis la police à mes trousses. Pour eux, je suis leur « précieux fils », l’héritier parfait qui n’a pas le droit à l’erreur. Leur honneur avant tout. Leur image. Leur nom.
Mais qu’en est-il de moi, de ce que je ressens ? De ce que je fuis ?
Je sais qu’ils me cherchent. Ils doivent croire que j’ai été enlevé. Qu’on m’a fait du mal.
Mais la vérité, c’est que j’avais juste besoin de respirer. Et maintenant, je suis ici. Invisible. Anonyme. Fragile.
Et je compte bien le rester.
Ils ne doivent pas savoir où je suis. Je ne veux pas les voir débarquer ici, m’étouffer sous leurs ordres, me ramener de force dans leur prison dorée.
Je vais sortir de cet hôpital. Me faire discret. Effacer ma trace. Et ils ne sauront jamais où je suis.
Ni qui je suis.
Ici, je ne suis plus Ewan.
Je suis Alex.
Et Alex n’a pas de famille.
J’ouvrais les yeux lentement. Une douleur sourde me vrillait le crâne, comme si quelqu’un y avait enfoncé une tige de fer rougie.Mon corps me paraissait anormalement lourd, engourdi, comme s’il avait été vidé de toute son énergie. Mon regard, encore flou, balaya l’espace autour de moi.Des murs blancs.Des tuyaux.Des machines qui émettaient un bip régulier, presque hypnotique.Un hôpital.Je suis à l’hôpital.Mais… pourquoi ?J’essayai de me redresser erreur. Une douleur fulgurante me transperça la poitrine. J’étouffai un gémissement et retombai aussitôt, le souffle court.Tout était confus dans ma tête. J’avais l’impression d’avoir oublié quelque chose d’important. Ou tout, en fait.Puis des images floues commencèrent à affleurer. Une route. Des phares. Un choc. Et… une voix.Oui, une voix douce, légèrement tremblante, qui me disait de tenir bon. Une femme. Je ne voyais pas son visage, mais je me souvenais de sa chaleur, de la manière dont elle m’avait tenu la main.La porte s’ouvr
J’ai pénétré dans le hall de l’hôpital, un peu perdue, le cœur encore battant de tout ce que je venais de vivre. Une infirmière s’est approchée de moi :— Il a été conduit aux urgences. Je n’ai même pas eu le temps de répondre. Je me suis mise à marcher vite, presque à courir. Mes pas résonnaient dans les couloirs trop blancs, trop froids. Le bouquet de fleurs dans mes mains pendait lamentablement. Les pétales étaient froissés, certains déjà fanés. Je n'avais pas pris soin de lui, emportée par l'urgence… Mais tant pis, je le donnerai quand même à grand-mère. Elle comprendra. Elle comprend toujours.Un médecin m’attendait à l’entrée du service d’urgences.— C’est vous qui l’avez amené ? me demanda-t-il calmement.— Oui. J’étais là, sur le trottoir, quand il a eu l’accident. La voiture a pris la fuite. Alors j’ai cherché de l’aide, et une dame m’a aidée à l’emmener ici. — Est-ce que vous le connaissez ? Je baissai les yeux.— Non… Je ne connais même pas son nom. Le médecin hocha la
Il faisait déjà nuit, et j’étais épuisée. Deux jours. Ça faisait deux jours que je n’avais pas mis les pieds à l’hôpital pour voir ma grand-mère. Elle n’a que moi. Juste moi.Elle ne m’en voudrait pas, je le savais… Mais ça ne m’empêchait pas de me sentir coupable.Alors, j’ai pris un petit bouquet de fleurs fraîches, pour me faire pardonner. Pour l’embrasser, lui dire que je suis là, même si j’avais été un peu absente.Je fermai soigneusement la boutique, tournai la clé, et traversai la route.Comme souvent à cette heure-là, les taxis se faisaient rares. La rue devenait calme, presque inquiétante. Les gens rentraient chez eux. Les lumières des boutiques s’éteignaient une à une. Moi, j’étais là, debout, à l’arrêt, les bras croisés sur mon bouquet, guettant le moindre phare.Et puis…Un bruit sourd. Un fracas. Un cri étouffé.J’ai levé les yeux, instinctivement.Et là, sous mes yeux, l’horreur.Une moto. Une voiture. Une collision brutale. Si violente, si soudaine que j’ai mis quelques
Je fermai lentement mon ordinateur portable, après avoir relu pour la troisième fois le même contrat. Aucun détail ne m’échappe. Pas le droit à l’erreur. Jamais.Je me levai, lissai mon pantalon de costume, attrapai ma montre posée sur le bureau et la fixai à mon poignet d’un geste précis. Mon téléphone glissa dans ma poche intérieure, puis je passai la main sur ma veste pour en ajuster la coupe. Parfait. Toujours parfait.Je m’appelle Ewan Rasson. J’ai vingt-neuf ans. Je suis le fils unique, l’héritier du prestigieux empire Rasson. Sur le papier, c’est impressionnant. Dans la réalité… c’est un carcan.On imagine que naître avec une cuillère en argent dans la bouche, c’est vivre dans un conte de fées. Mais non. C’est plutôt vivre dans une pièce verrouillée, surveillé en permanence.Être héritier, ça veut dire suivre chaque dossier à la loupe. Être irréprochable. Toujours impeccable. Toujours prêt. Comme un robot bien huilé, dressé à la perfection.Pendant que mon père médite dans les
Je me tenais derrière le comptoir de ma boutique, les mains pleines de pétales et de rubans colorés, un sourire aux lèvres. Le parfum enivrant des lys, des pivoines et des roses remplissait l’air, m’apaisait un peu, chaque jour.Il y avait quelque chose de rassurant à voir les gens entrer ici avec leurs cœurs pleins d’émotions : certains venaient pour célébrer une naissance, d’autres pour offrir un pardon, quelques-uns pour dire adieu. Moi, je vendais l’espoir, l’amour, la consolation, empaquetés dans du papier kraft.Ce n’était pas le métier dont j’avais rêvé. Petite, j’imaginais des choses folles, des aventures loin d’ici, des voyages, des scènes pleines de lumière. Et pourtant, la vie m’avait menée là, entre les vases et les épines.Je n’avais pas choisi d’être fleuriste. C’est la nécessité qui avait décidé pour moi.Chaque bouquet que je vendais servait à payer une ordonnance, un scanner, un médicament rare. Ma grand-mère était hospitalisée depuis des mois maintenant. Elle m’avait