MasukElio
Je l’avais enfermée là, au cœur de mon empire de silence et de pouvoir, et pourtant c’était elle qui me hantait. Sofia. Ce prénom, simple, presque fragile, résonnait dans mes pensées comme une injure lancée à ma raison. Comment une comptable insignifiante avait-elle pu se retrouver au centre de cette tempête ? Au centre de moi ?
Je n’étais pas homme à perdre le contrôle. Pas homme à laisser une simple proie dicter les règles du jeu. Et pourtant, chaque seconde passée dans cette pièce me rapprochait dangereusement d’un territoire inconnu : celui où l’obsession frôlait la folie.
Quand je l’avais vue, immobile dans ce fauteuil, attachée mais debout dans son regard, j’avais senti quelque chose d’étrange. Une rareté. Une force brute cachée sous une peau d’apparente douceur. Elle ne tremblait pas, elle ne suppliait pas. Elle brûlait de défi.
Et ce défi me fascinait.
Je fis un pas vers elle, sentant le poids de l’histoire, des règles non dites, des lois du silence qui régissaient mes domaines. Elle incarnait pourtant un chaos inattendu, une brèche dans ce monde maîtrisé.
— Tu as une heure, Sofia. Cette phrase avait été un verdict et une promesse.
Je la voyais se redresser, ferme, les yeux brûlants d’une lumière que je ne contrôlais pas. Cette femme refusait de se plier. Refusait de devenir un pion dans ma partie.
Mon rire, sec, avait crevé l’air. Je l’avais décrite comme rare, avec du cran. Mais au fond, c’était plus que ça. C’était une force brute que je ne pouvais ignorer. Elle allait me servir, oui, mais pas seulement parce que je le voulais. Elle allait me forcer à revoir mes propres limites.
J’observai la clé USB dans ma main. Cet objet insignifiant pour d’autres représentait la clé de notre destin. Le levier qui la liait à moi, pour le meilleur ou pour le pire.
Je m’assis, tentant de masquer la tempête intérieure qui bouillonnait. Comment pouvais-je mêler cette logique froide, celle du pouvoir, avec ce tumulte imprévu ? Sofia n’était pas un simple pion. Elle était une révolution.
Elle avait choisi la guerre en refusant de signer. Et c’était peut-être la meilleure décision qu’elle puisse prendre.
Parce que la guerre ne se gagnait pas toujours avec des armes visibles. Parfois, elle se gagnait avec le feu qui brûlait au fond des âmes.
Je me levai à nouveau, m’approchai, lentement, presque en défi. Je voulais qu’elle sente, qu’elle comprenne. Refuser n’était pas une option. C’était un défi à mon empire. Une déclaration de guerre.
— Alors tu vas comprendre ce que ça signifie, Sofia. Je murmurai ces mots comme une menace, mais aussi comme une promesse.
Je voyais sa peur, ce tremblement presque imperceptible. Mais je voyais aussi sa détermination, sa rage silencieuse. C’était un jeu dangereux, mais j’aimais le danger.
Chaque bataille avait besoin d’un adversaire à sa hauteur. Et elle venait d’entrer dans l’arène.
Le temps défilait. Chaque minute pesait comme un coup de marteau sur mon esprit. Je sentais mes propres failles se creuser, comme si cette femme, par sa simple présence, bouleversait mes fondations.
J’avais bâti cet empire sur la peur, sur le contrôle absolu. Mais face à elle, ce contrôle vacillait.
Je voulais la briser. Je voulais la posséder. Je voulais comprendre pourquoi, malgré tout, elle me résistait.
Son refus était un défi que je ne pouvais ignorer. Et peut-être… un début.
Dans ce monde de ténèbres, de trahisons et d’alliances fragiles, Sofia était une énigme. Une lumière crue qui venait percer l’obscurité.
Je me promis que cette histoire ne finirait pas par une simple soumission. Parce que la guerre qu’elle avait choisie, je l’avais aussi choisie.
Et la partie ne faisait que commencer.
Je m’éloignai un instant, passant mes mains dans mes cheveux, sentant l’adrénaline qui me montait. Chaque fibre de mon corps vibrait d’une tension inconnue, aussi excitante que dangereuse. Ce jeu, ce face-à-face silencieux, ce duel de volontés… c’était la seule chose capable de me faire sentir vivant ces derniers temps.
J’avais l’habitude des soumissions, des compromissions forcées, des alliances bâties sur la peur ou le chantage. Mais elle ? Elle était différente. Pas par son rang ou ses capacités, non. Par son feu intérieur. Par cette lumière crue qui refusait de s’éteindre.
Je repensai à la façon dont elle avait saisi le téléphone, au message qui l’avait glacée. Cette clé, ce document, ce contrat… je ne pouvais lui laisser une seule seconde pour respirer. Elle devait comprendre l’enjeu. Le poids de la signature.
Pourtant, malgré toutes mes précautions, elle ne se laissait pas dompter.
Un rire rauque m’échappa, involontaire, tandis que je me remémorais son regard, défiant, presque provocateur.
Il y avait un paradoxe cruel entre elle et moi : moi, maître de mille secrets, d’un empire bâti sur la peur ; elle, fragile comptable, mais armée d’une volonté aussi tranchante qu’une lame.
Je savais que cette bataille allait changer bien plus que nos destins.
Elle allait faire vaciller mes certitudes.
Elle allait réveiller des parts de moi que j’avais cru ensevelies sous des tonnes de contrôle et de sang.
Je me redressai, déterminé. Ce n’était pas une simple négociation, ni un caprice du pouvoir. C’était une guerre de volontés. Et je ne comptais pas perdre.
J’allai jusqu’à la porte, prêt à refermer ce chapitre. Mais un dernier regard en arrière suffit à faire vaciller un instant mon masque d’impassibilité.
Elle était là, immobile, dans ce fauteuil, mais son regard... son regard brûlait encore.
Je compris alors que ni elle ni moi ne sortirions indemnes de cette confrontation.
Le jeu venait de commencer.
Et dans ce jeu, il n’y aurait ni pitié ni répit.
Seulement des ombres et des volontés.
Je respirai profondément. Le pouvoir, cette nuit, avait un nouveau nom.
Sofia.
Cinq hivers ont passé.La maison en bois a pris ses marques. Une véranda a été ajoutée, où Sofia passe ses après-midi à lire ou à observer les oiseaux du lac. Des boîtes de fleurs, vides en cette saison, bordent le perron. Une vie. Simple. Presque normale.Je suis assis à mon bureau, face à la grande baie vitrée. Je n'écris plus de stratégies ou de comptes-rendus de trahison. J'écris nos mémoires. Un récit crypté, plein de noms codés et de lieux inventés. Personne ne le lira. C'est juste une façon de vider le poison. De donner une sépulture aux fantômes.Sofia entre, posant une tasse de thé fumant près de ma main.—Tu es avec eux, encore, murmure-t-elle.Elle sait. Elle lit sur mon visage les batailles que je revis.— Toujours, je réponds en posant ma main sur la sienne.Ses doigts ont les jointures un peu déformées par l'arthrose précoce. Les séquelles du froid, des nuits passées à trembler. Nos corps portent les stigmates, visibles et invisibles.Nous parlons rarement du passé. Les
Le temps a passé. Combien ? Des mois. Une année, peut-être. Nous avons cessé de compter. Nous habitons une petite maison en bois, au bord d’un lac si vaste qu’on dirait une mer intérieure. L’hiver est long et rude, le silence, presque absolu. Personne ne nous connaît. Nous sommes Marcus et Léa, les nouveaux venus, un peu étranges, si discrets.Ce matin-là, je me lève tôt. Le gel a dessiné des fleurs de givre sur les vitres. Élio – Marcus – dort encore. Ses traits se sont adoucis. Les ombres sous ses yeux se sont estompées. Parfois, dans son sommeil, il murmure. Des noms. Luca. Marco. Des mots incompréhensibles. Je me glisse hors du lit, enroulée dans un plaid, et je vais à la fenêtre.Dehors, le monde est immobile, figé dans une blancheur éclatante. La neige a tout recouvert, effaçant les traces, purifiant le paysage. Je pose ma main contre la vitre froide. La solitude ici est un poids, mais c’est un poids que nous portons à deux. Nous avons appris le silence. Pas le silence lourd de
Les nouveaux papiers arrivent par courrier diplomatique. Deux passeports, des permis de conduire, des cartes d'identité. Des noms étrangers qui sonnent faux sur nos langues. Je suis « Marcus ». Elle est « Léa ». Nous avons une histoire : un couple de consultants, brûlés par le rythme effréné de la ville, partis recommencer une vie simple, ailleurs.L'ironie est amère. L'histoire n'est pas si éloignée de la vérité.Marco a fait son choix. Il ne vient pas avec nous. Il a pris sa part de l'argent – une partie qu'Élio a insisté pour lui donner malgré tout – et s'en va vers le sud, retrouver des cousins en Italie. Son départ est sobre, une étreinte brève et forte avec Élio, un baiser sur ma joue.— Prenez soin de vous, les vieux, murmure-t-il, la voix rauque.—Toi aussi, frère, répond Élio.Il n'y a rien d'autre à dire. Tout est dans le regard. La gratitude, la douleur, la promesse de ne jamais oublier.Puis il part. La maison safe semble encore plus vide.Le jour du départ, une voiture ba
Quelques jours plus tard. La routine de la maison safe s’est installée, une routine étrange, faite de silence et de regards par la fenêtre. Les agents changent, anonymes, professionnels. Ils nous apportent de la nourriture, des vêtements simples, des livres. Aucun journal. Aucune nouvelle du monde.Puis, un matin, Maître Kessler revient. Son costume est le même, mais son attitude a changé. Il n’a plus l’air d’un rat qui mord. Il a l’air… grave.— L’accord est finalisé, annonce-t-il dans le petit salon. Les charges sont officiellement abandonnées. Le programme de protection est activé.Un soulagement immense, presque douloureux, m’envahit. Sofia, à côté de moi, pousse un petit soupir, comme si elle retenait son souffle depuis des semaines.— Et nos nouvelles vies ? demande-t-elle, sa voix un peu tremblante.— Les documents sont en cours de finalisation. Ça prendra encore quelques jours.Il marque une pause. Son regard se pose sur moi.— Il y a autre chose, Élio. Vos biens. Ceux qui n’o
La décision est tombée. Un murmure, d'abord, porté par le gardien au visage moins fermé. Puis confirmé par Maître Kessler, les yeux rougis par la fatigue mais brillants d'une victoire contenue. L'accord est accepté. Sous conditions. Sous surveillance. Mais accepté.Les formalités prennent des jours. Signatures, contre-signatures, protocoles de sécurité. On nous transfère, Sofia, Marco et moi, dans un lieu tenu secret, une maison safe du gouvernement, perdue dans la campagne. Ce n'est pas la liberté, pas encore. C'est un entre-deux, une bulle hors du temps, sous la garde d'agents anonymes.La maison est petite, propre, impersonnelle. Mais il y a des fenêtres. Et derrière ces fenêtres, il y a des arbres, des champs, un ciel immense.Le premier soir, après avoir mangé un repas fade sous le regard impassible des gardes, nous nous retrouvons, Sofia et moi, sur le petit canapé du salon. Marco est monté se coucher, épuisé par des mois de tension. Les agents sont postés à l'extérieur.Nous so
Élio—La salle de conférence est d'un gris impersonnel,la table luisante comme un miroir terni. L'air y est conditionné, aseptisé, à l'opposé de l'air fétide de la cellule. D'un côté de la table : Maître Kessler et moi, menotté. De l'autre : l'Inspecteur Valois, le procureur au visage sévère, et un troisième homme, silencieux, en costume sombre, dont la simple présence émane une autorité qui glacé le sang. Le supérieur de Valois. Celui qui décide vraiment.Valois ouvre le bal, les doigts joints sur la table.—Alors, Kessler. Vous nous avez fait venir pour un spectacle. J'espère que ça en vaut la peine.Mon avocat sourit, un sourire de requin qui sent l'occasion.—Plus que ça, inspecteur. Je pense que vous apprécierez le scénario.Il pousse une clé USB vers le centre de la table.—Dedans, vous trouverez les noms de six intermédiaires financiers du Bureau, avec les numéros de comptes associés à Genève, les montants des trois derniers transferts, et les noms des bénéficiaires initiaux q