Ariane
Je suis encore là. Assise sur ce canapé, à fixer les ombres qui dansent sur les murs. Rafael est parti depuis une heure. Peut-être deux. Je ne sais pas.
Mon corps est immobile, mais mon esprit hurle.
Tout ce que je croyais connaître s’effondre.
Je suis une Guérisseuse. La dernière. Une cible.
Et Caïn…
Je repense à son regard, à cette façon dont il a murmuré mon nom. Il y avait quelque chose dans sa voix. Pas seulement du désir. Pas seulement un piège.
Un lien.
L’idée me glace.
Pourquoi ai-je l’impression qu’il me connaît mieux que moi-même ?
Une bouffée d’air froid me ramène à la réalité. La fenêtre est restée entrouverte. Je me lève lentement, mes jambes engourdies. Dehors, la nuit est épaisse, presque liquide.
Je devrais dormir.
Mais je sais déjà que le sommeil ne viendra pas.
Alors je sors.
---
Les rues sont calmes, bercées par le bourdonnement lointain de la ville. J’avance sans but, cherchant un sens à ce chaos dans mon esprit.
Puis je le sens.
Un frisson, une caresse invisible sur ma peau.
Quelqu’un me suit.
Mon cœur se serre.
J’accélère le pas, bifurque dans une ruelle. L’air est plus lourd ici, chargé d’une tension que je ne comprends pas.
Et puis une voix résonne.
— Pourquoi tu fuis, petite étoile ?
Je me fige.
Là, devant moi, Caïn se tient dans l’ombre, appuyé contre le mur comme s’il m’attendait depuis toujours.
Son sourire est un piège, un croissant de lune carnassier.
— Je ne fuis pas.
Ma voix est plus ferme que je ne l’aurais cru.
Il arque un sourcil, amusé.
— Ah ? Alors tu es venue me chercher ?
Il s’éloigne du mur, avance lentement, chaque pas un murmure contre le pavé.
— Ça tombe bien. Moi aussi, je te cherchais.
Mon corps me hurle de reculer, mais mes pieds restent ancrés au sol.
— Pourquoi ? demandé-je.
Caïn s’arrête juste devant moi, si près que je peux sentir son odeur. Quelque chose de sombre et d’étrangement familier.
— Parce que je sais ce que tu es.
Il effleure une mèche de mes cheveux.
— Et je sais ce que tu peux devenir.
Je repousse sa main d’un geste brusque, ma poitrine se soulevant sous l’effet de la colère.
— Arrête ça.
Il rit doucement, mais il y a autre chose dans son regard.
De la faim.
— Tu ressens cette brûlure, n’est-ce pas ?
Mon corps se raidit.
— Quelle brûlure ?
Caïn approche ses lèvres de mon oreille, son souffle effleurant ma peau.
— Celle qui commence à ronger ton âme.
Je recule brusquement, mon cœur battant à tout rompre.
— Tu es fou.
Il ne me retient pas. Il me regarde juste, ses prunelles sombres brûlantes d’un éclat que je ne peux pas comprendre.
— Peut-être.
Puis il sourit.
— Mais bientôt, Ariane…
Il penche légèrement la tête, et sa voix se fait velours.
— Tu viendras à moi de ton plein gré.
Puis il disparaît, aussi silencieux que l’ombre elle-même.
Et je reste là, seule avec cette vérité que je ne veux pas entendre.
Parce qu’au fond de moi, une partie de moi sait qu’il a raison.
---
Rafael
Je l’attends.
Assis sur le rebord de la fenêtre, les poings serrés.
Quand Ariane franchit enfin la porte, je vois tout de suite qu’elle a changé. Son regard est plus sombre. Plus troublé.
Je me lève, m’approche.
— Où étais-tu ?
Elle sursaute, ne m’ayant pas vu dans l’ombre.
— Je marchais.
Je fronce les sourcils.
— Seule ?
Elle ne répond pas immédiatement.
Puis elle ment.
— Oui.
Une colère sourde monte en moi.
Je sais qu’elle a vu Caïn.
Et pire encore…
Je sais qu’il a laissé son empreinte en elle.
— Ne mens pas, Ariane.
Elle relève le menton, son regard se durcissant.
— Et si je n’ai pas envie de tout te dire ?
Je serre la mâchoire.
— Alors tu es plus en danger que tu ne le crois.
Elle secoue la tête, visiblement fatiguée.
— Je suis fatiguée des secrets, Rafael.
— Moi aussi.
Elle me fixe, cherchant quelque chose en moi. Puis elle soupire.
— Je vais dormir.
Elle tourne les talons, me laissant seul dans cette pièce devenue trop étroite.
Je frappe le mur du poing, incapable d’apaiser la rage en moi.
Caïn.
Je vais devoir l’éliminer avant qu’il ne la prenne.
Avant qu’il ne la corrompe.
Avant qu’elle ne soit trop loin pour que je puisse la sauver.
Ariane
Le sommeil ne vient pas.
Je reste allongée sur le lit, le regard rivé au plafond, écoutant le silence de l’appartement.
Chaque fois que je ferme les yeux, je ressens encore le souffle de Caïn contre ma peau, ses mots glissant comme du poison dans mon esprit.
"Tu viendras à moi de ton plein gré."
Je secoue la tête, refusant de laisser cette pensée s’enraciner.
Mais une part de moi le sait.
Quelque chose a changé.
Quelque chose brûle en moi.
Et ça ne partira pas.
---
Lorsque j’émerge de la chambre, Rafael est déjà debout, accoudé à la table, une tasse de café entre les mains. Il ne dit rien quand il me voit. Il me scrute, m’évalue.
— Tu as mal dormi.
Ce n’est pas une question.
Je prends une inspiration et attrape une tasse propre, espérant que la chaleur du café me ramènera un semblant de normalité.
— Tu m’espionnes maintenant ?
Rafael pose sa tasse avec un bruit sourd.
— Tu étais agitée. Je l’ai senti.
Je me tends.
— Sentir quoi ?
Son regard s’assombrit.
— L’ombre qui te ronge.
Un frisson me parcourt.
Je détourne les yeux, les doigts crispés autour de ma tasse.
— Tu es en train de dire que Caïn m’a fait quelque chose ?
Il ne répond pas tout de suite.
Puis il dit, lentement :
— Je suis en train de dire qu’il a laissé une marque sur toi.
Ma gorge se serre.
— Une marque ?
Il acquiesce.
— Ce n’est pas visible. Mais je le ressens. Il t’a touchée, et il a laissé quelque chose en toi.
Un goût amer envahit ma bouche.
Je serre les poings.
— Et tu peux l’enlever ?
Le silence s’étire. Trop long. Trop pesant.
— Non.
Mon cœur rate un battement.
— Qu’est-ce que ça veut dire ? murmuré-je.
Il inspire profondément.
— Ça veut dire qu’il a créé un lien. Qu’il peut te trouver. Qu’il peut t’influencer.
L’air devient plus lourd, plus oppressant.
— Tu veux dire qu’il peut me contrôler ?
Rafael serre la mâchoire.
— Pas encore.
— Mais il essaiera.
Il hoche lentement la tête.
La peur s’enroule autour de moi comme une liane glacée.
Je recule, cherchant un appui.
— Et toi ? Tu peux faire quoi contre ça ?
ArianeJe suis encore secouée par la vision. Mon souffle est court, mes doigts tremblent contre le sol froid du manoir.Rafael me soutient, mais je sens sa tension, sa méfiance brûlante dirigée vers Isolde.— Qu’est-ce que tu lui as fait ?Il se redresse, menaçant, prêt à attaquer.Isolde ne bouge pas.— Je lui ai simplement montré ce qu’elle a toujours su.Je ferme les yeux, essayant d’éloigner les images qui dansent encore derrière mes paupières.Un champ de bataille.Un homme masqué.Un serment oublié.— C’était un souvenir…Les mots m’échappent dans un souffle.Pas un rêve.Pas une illusion.Un fragment de quelque chose de réel.Rafael serre la mâchoire.— Ce n’est pas possible. Elle n’a aucun souvenir de ça. Aucun lien avec cette époque.Isolde soupire.— Les âmes ne suivent pas les lois du temps, Rafael. Ce que nous avons été, ce que nous avons fait… tout nous suit, d’une vie à l’autre.Je me redresse lentement, le cœur battant toujours aussi fort.— Et Caïn dans tout ça ?Son n
ArianeElle marque une pause.— Et de celui de Caïn.Le nom résonne comme une menace.Mon cœur s’emballe.Je recule instinctivement.— Je ne veux pas avoir de lien avec lui.Isolde ne cille pas.— Ce n’est pas à toi de décider.La panique monte en moi.— Pourquoi ?Isolde me fixe, impassible.Puis elle dit, d’une voix posée :— Parce que vos âmes sont liées depuis le commencement.La pièce semble rétrécir autour de moi.Je secoue la tête, refusant cette idée.— Non.Mais Isolde continue, implacable.— Tu ressens son appel, n’est-ce pas ?Mon souffle se bloque.Oui.Chaque nuit. Chaque seconde.Une ombre invisible qui effleure ma peau, une voix dans mon esprit qui murmure mon nom.Et cette brûlure…Cette foutue brûlure qui ne s’éteint pas.Je croise le regard de Rafael.Il sait.Il l’a toujours su.Mais il n’a rien dit.La colère explose en moi.— Pourquoi tu ne m’as rien dit ?!Sa mâchoire se contracte.— Parce que je voulais te protéger.Je ris, un rire amer.— Me protéger ? De quoi
ArianeRafael passe une main sur son visage, visiblement contrarié.— Pas grand-chose, tant que tu ne le repousses pas toi-même.Je ris jaune.— Et comment je fais ça ?— En arrêtant de penser à lui.— Tu crois que c’est si facile ?Il plante son regard dans le mien.— Non.Un silence tendu s’installe.Puis il se lève brusquement, fait les cent pas dans la pièce.— On doit quitter cet endroit.— Pourquoi ?— Parce qu’il sait où tu es maintenant.Une boule d’angoisse se forme dans mon estomac.— Tu veux dire qu’il pourrait débarquer ici ?— S’il le voulait, il l’aurait déjà fait.Sa voix est dure.— Mais il préfère attendre. Te laisser venir à lui.Je secoue la tête, essayant de chasser la peur qui menace de m’engloutir.— Où on va ?Rafael hésite.Puis il dit :— Chez quelqu’un qui peut nous aider.La route est silencieuse.Nous roulons depuis plus d’une heure, traversant la ville pour en sortir, s’enfonçant dans une campagne noyée de brume.Je regarde le paysage défiler, mes pensées
ArianeJe suis encore là. Assise sur ce canapé, à fixer les ombres qui dansent sur les murs. Rafael est parti depuis une heure. Peut-être deux. Je ne sais pas.Mon corps est immobile, mais mon esprit hurle.Tout ce que je croyais connaître s’effondre.Je suis une Guérisseuse. La dernière. Une cible.Et Caïn…Je repense à son regard, à cette façon dont il a murmuré mon nom. Il y avait quelque chose dans sa voix. Pas seulement du désir. Pas seulement un piège.Un lien.L’idée me glace.Pourquoi ai-je l’impression qu’il me connaît mieux que moi-même ?Une bouffée d’air froid me ramène à la réalité. La fenêtre est restée entrouverte. Je me lève lentement, mes jambes engourdies. Dehors, la nuit est épaisse, presque liquide.Je devrais dormir.Mais je sais déjà que le sommeil ne viendra pas.Alors je sors.---Les rues sont calmes, bercées par le bourdonnement lointain de la ville. J’avance sans but, cherchant un sens à ce chaos dans mon esprit.Puis je le sens.Un frisson, une caresse invi
RafaelJe la retrouve assise sur un banc, le visage pâle et les yeux hantés.Sans un mot, je m’accroupis devant elle.— Qu’est-ce qui s’est passé ? demandé-je d’une voix douce.Elle me regarde, et dans ses prunelles, je vois la peur.— Elle était là.Mon cœur rate un battement.— L’ombre ?Elle hoche la tête.Je serre les poings.— Qu’est-ce qu’elle t’a fait ?Ariane passe une main tremblante sur son bras, comme si elle pouvait encore sentir son emprise.— Elle m’a montré… quelque chose. Des souvenirs. Des visions. Je ne comprends pas.Je soupire.— Ça commence.Elle fronce les sourcils.— Quoi ?Je me lève lentement.— Elle essaie de te posséder.Ariane pâlit.Je tends la main vers elle.— Viens. On ne peut pas rester ici.Elle hésite, puis attrape mes doigts.Et en cet instant, je fais une promesse silencieuse.Peu importe ce qui arrive.Je ne la laisserai pas tomber.ArianeRafael ne lâche pas ma main.Il m’entraîne hors du parc, son regard fouillant l’obscurité autour de nous comm
Ariane Un silence pesant s’installe.Puis il reprend :— Vous êtes une guérisseuse, Ariane. Mais votre don ne se limite pas à soigner les blessures du corps.Je déglutis avec difficulté.— Vous avez le pouvoir de purifier.L’air me manque.— C’est pour ça qu’elle vous traque. Elle vous veut, mais elle vous craint aussi.Mon cœur bat à tout rompre.— Et vous ? demandé-je.Un éclat passe dans ses yeux.— Je suis ici pour vous offrir un choix.Je croise les bras, malgré la peur qui serre mon ventre.— Quel choix ?Il sourit de nouveau.— Me rejoindre.Je sens un frisson glacé descendre le long de mon échine.— Pourquoi ferais-je ça ?— Parce que seule, vous ne survivrez pas.Mon sang se glace.Il s’avance encore, et cette fois, je recule instinctivement.— L’ombre est patiente. Mais elle est aussi avide. Elle ne s’arrêtera pas tant qu’elle ne vous aura pas engloutie.Sa voix est douce, presque envoûtante.— Acceptez mon aide, Ariane. Et vous aurez une chance.Un silence pesant tombe ent