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Chapitre 6 : L'Éveil dans les Décombres

Author: Déesse
last update Last Updated: 2025-11-16 04:01:17

Élianor 

La nuit m’a avalée. Après avoir fui la salle des fêtes, les rires collés à la peau comme une brûlure, je n’ai pas eu la force de rentrer chez moi. Affronter le regard de Liora, les questions feutrées de mes parents ? Impossible. Mon corps n’était plus qu’une coquille vide, vibrante de honte.

Je me suis retrouvée devant un bar miteux en périphérie de la ville, un endroit où la lumière était faible et les regards indifférents. J’ai poussé la porte. L’odeur de bière rance et de tabac froid m’a accueillie. C’était parfait.

Je me suis installée au comptoir, et j’ai commandé un verre. Puis un autre. L’alcool brûlait ma gorge, mais c’était une douleur simple, propre, qui noyait l’autre, celle, déchirante, de la trahison de Raphaël. Chaque gorgée était un baume empoisonné qui effaçait un peu plus le souvenir de son sourire, de ses mots doux, de ses mensonges.

Les lumières du bar sont devenues floues. Les voix se sont transformées en un bourdonnement lointain. Je ne pensais plus. Je ne sentais plus. J’étais un naufrage qui se laissait couler, ivre de douleur et de whisky bon marché. Des silhouettes sont venues me parler. Des rires gras. Des mains qui ont effleuré mon épaule. C’était flou, lointain. Je ne me souviens pas d’un visage en particulier. Juste d’une présence masculine, d’une voix grave qui disait des choses que je n’écoutais pas. Je me suis accrochée à cette présence anonyme comme à une bouée dans ma mer de détresse. C’était préférable à la solitude, à l’effroyable vacuité.

Puis, plus rien. Un trou noir.

La lumière du jour me transperce les paupières comme une lame. Une douleur sourde pulse à mes tempes, et une nausée acre se tord dans mon estomac. Je suis allongée. Ce n’est pas mon lit.

L’odeur est la première chose qui me frappe. Ce n’est pas l’odeur de ma chambre. C’est une odeur d’homme, de sueur, de renfermé, de tabac froid. Une odeur inconnue.

J’ouvre les yeux, lentement, la tête lourde. Le plafond est bas, fissuré. La pièce est petite, en désordre. Des vêtements sales traînent sur une chaise. Une bouteille de bière vide est posée sur la table de nuit.

Et je suis nue.

Un froid glacial, bien plus terrible que la gueule de bois, me saisit soudain. Je me redresse d’un coup, le cœur battant à tout rompre, le drap remonté jusqu’au menton. Le mouvement réveille une douleur lancinante, diffuse, entre mes cuisses. Une douleur que je n’avais jamais connue.

Mon regard affolé balaie la pièce. Il n’y a personne.

Mais sur l’oreiller à côté de moi, une trace. L’empreinte d’une tête. L’oreiller est froissé. Et sur le drap, une tache. Une petite tache brunâtre, rouille, qui ressemble à du sang séché.

Le sang.

La réalité me frappe de plein fouet, violente, obscène.

Je n’étais jamais rentrée chez moi. Je m’étais soûlée. Un homme m’avait emmenée ici. Et cette douleur… cette tache…

Je ne suis plus vierge.

Le souffle me manque. La pièce se met à tourner. La nausée monte, irrépressible, et je me penche au-dessus du lit, vomissant un mélange d’alcool et de bile sur le sol crasseux. Mon corps tout entier tremble, secoué de sanglots silencieux, hoquetants.

C’était censé être beau. C’était censé être un don, un acte d’amour. Pas ça. Pas dans l’oubli éthylique, avec un inconnu dont je ne me souviens même pas du visage, dans un lit sordide. J’ai été dépouillée de ça aussi. On m’a volé mon premier fois comme on m’a volé ma dignité.

Je me lève, chancelante, enroulée dans le drap souillé. Je ramasse mes vêtements éparpillés sur le sol. Ma robe, celle que j’avais mise pour « ma surprise », est froissée, tachée. Chaque geste est une agonie. Chaque respiration me rappelle l’odeur de cette pièce, l’odeur de cet homme, l’odeur de ma propre déchéance.

Je m’habille à la hâte, les doigts tremblants. Je ne veux pas rester une seconde de plus ici. Je sors de la chambre, traverse un petit salon miteux, et me retrouve dans la rue, en plein jour. La lumière du soleil est cruelle, indécente.

Je marche, les jambes flageolantes, le corps douloureux, l’âme en lambeaux. La honte de la veille, la trahison de Raphaël, est maintenant recouverte, écrasée par une honte plus profonde, plus intime, plus sale.

Je rentre chez moi en catimini. Heureusement, personne n’est là. Je monte directement dans la salle de bain, je me regarde dans le miroir. Mes yeux sont cernés, mon visage est tuméfié par les pleurs et l’alcool. Je me déshabille et je me glisse sous la douche brûlante. Je me frotte, je me frotte jusqu’à ce que la peau soit rouge, à vif, comme pour arracher la souillure, l’odeur, le souvenir de cette nuit.

Mais ça ne part pas. La douleur entre mes cuisses est un rappel constant. La tache sur le drap est gravée au fer rouge dans ma mémoire.

Je me suis crue au fond du puits après la trahison de Raphaël. Je me trompais. Il m’avait seulement poussée jusqu’au bord. Cette nuit, dans ce lit inconnu, j’ai touché le fond. Un fond boueux, glacial, où plus rien ne compte. Où l’on est plus rien.

Je m’effondre au fond de la baignoire, l’eau chaude ruisselant sur mon corps qui n’est plus tout à fait le mien. Et dans le grondement de l’eau, un nouveau serment se forge, plus sombre, plus définitif que tous les autres. Un serment de silence, de survie. Et de vengeance.

Cette ville, ces gens, m’ont tout pris. Ma dignité, mon innocence, mon espoir.

Un jour, je reviendrai. Et je leur prendrai tout en retour.

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