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Chapitre 7 — Le Feu et l'Abîme

Auteur: Déesse
last update Dernière mise à jour: 2025-11-05 19:48:41

Kaël

Le silence qui suit ses mots est plus lourd que les pressions des fosses marines. Chaque particule d’air entre nous est chargée d’un destin en suspens. Mon propre regard est un champ de bataille où se heurtent l’instinct du guerrier et la fureur de l’homme trahi.

Je parle, ma voix un gravier roulé par la tempête.

—Et tu es venue ici pour quoi, Sirène ? Cherches-tu mon approbation ? Mes condoléances ? Un dernier souvenir avant de te jeter dans les bras glacés de ton roi ?

Chaque mot est un coup, que j’assène avec une froideur calculée. Je veux la blesser, comme je suis blessé. Je vois son cœur se tordre dans son regard, mais elle refuse de baisser les yeux. Sa fierté me fascine et m’exaspère.

—Je suis venue parce que ce lieu est le seul qui soit réel. Tout le reste n’est qu’un songe, une prison de nacre.

Un rire bref, sans aucune joie, m’échappe.

—Réel ? Rien de tout cela n’est réel, Éliane. C’est une folie. Une maladie que nous partageons. Tu crois que ton petit chagrin de princesse cloîtrée a la moindre importance face à des millénaires de haine ? Face à la colère de mes guerriers qui ont perdu leurs pères à cause des vôtres ?

J’avance, et la puissance contenue dans mon corps de centaure est un poids que je lui jette à la figure. Je veux qu’elle plie. Je veux qu’elle ait peur.

—Ton mariage est une affaire politique. Le mien sera un jour une affaire de devoir. Nous sommes des pièces sur un échiquier, pas les héros d’un de ces contes que tu racontes à ta sœur.

La rage monte en elle, je la vois brûler dans ses yeux verts. C’est mieux que la douleur. C’est vivant.

—Alors pourquoi es-tu ici, Kaël ? Pourquoi rôdes-tu sur cette plage, nuit après nuit, si tout cela n’est qu’une illusion ?

Je me cabre, mon ombre l’engloutit. L’odeur de sa peau, du sel et des profondeurs me rend fou.

—Parce que je hais ce que tu représentes ! Je hais cette paix fragile que ton peuple nous impose ! Je hais le son de ta voix qui hante mes nuits ! Et je hais le fait que tu sois la seule chose à laquelle je pense depuis que je t’ai vue !

C’est un aveu tordu, déformé par la colère, mais c’est la vérité. Avant qu’elle ne puisse répondre, je me penche, ma main, rude et chaude, s’enroule dans ses cheveux, l’attirant vers moi. Ce n’est pas un baiser, c’est une reprise. Une revendication. Ma bouche sur la sienne est une déclaration de guerre. Elle se bat un instant, ses poings se cognant contre mon torse de pierre, puis elle capitule, répondant à mon feu par son propre abîme. Elle mord ma lèvre, le goût cuivré de mon sang envahit nos bouches. Un grognement sourd, presque animal, vibre dans ma poitrine.

— Je te hais, murmuré-je contre sa bouche, à bout de souffle.

—Je te hais aussi, halète-t-elle, ses doigts agrippés à mes bras.

C’est un mensonge. Un mensonge que nos corps refusent. Ma main quitte ses cheveux, trace un sillon brûlant le long de son cou, de son épaule, puis s’attarde sur la courbe de sa hanche. Un frisson la parcourt. Elle est une sirène, une créature des profondeurs, et moi, un être de la terre. Nous sommes monstrueux.

— Tu n’as jamais connu d’homme, dis-je. Ce n’est pas une question.

—Non, souffle-t-elle.

Mon regard plonge dans le sien, cherchant une dernière résistance. Elle ne m’offre que le vertige de son propre consentement. Elle ne veut pas de douceur. Elle veut l’empreinte de ma réalité. Je la prends. Je suis brutal et lent, sauvage et terriblement attentif. Son corps est une terre inconnue. La douleur est un éclair dans ses yeux, rapidement submergé par une marée montante de sensation. Elle crie, de stupéfaction. Je la vois se briser et se reconstruire à chaque mouvement. Elle s’accroche à moi, ses ongles s’enfonçant dans ma peau.

Je vois les étoiles tourner au-dessus de nos têtes, je sens le sable humide et la chaleur de son corps sous le mien. Je murmure son nom, encore et encore, comme une incantation. « Éliane. » Ce n’est plus la princesse. C’est la femme. La Sirène. La mienne.

Quand la vague finale nous emporte, c’est un cataclysme. Un silence de fin du monde. Je reste sur elle, mon front contre son épaule, mon corps épuisé par l’effort et le combat intérieur.

Pendant un long moment, il n’y a que le bruit des vagues.

Puis, je me retire. Le froid de la nuit sur ma peau me rappelle la trahison. Je me lève, tournant mon regard vers l’horizon.

— Maintenant, pars, dis-je, ma voix redevenue un bloc de granit.

—Kaël…

—Pars ! tonne-je sans la regarder. Retourne dans ta cage de nacre. Épouse ton roi des abysses. Oublie cette nuit. Oublie-moi.

Je l’entends se redresser. Son silence est une blessure ouverte.

—C’est tout ? Après ce qui vient de se passer… tu n’as « rien à foutre » de moi ?

Je me tourne. Mon visage est un masque, mais mes yeux brûlent.

—Tu as voulu de la réalité, Princesse. La la voici. Je suis le roi des Centaures. Tu es la promise du Roi des Abysses. Ce qui s’est passé ici n’était qu’un dernier acte de rébellion. Une erreur. Maintenant, la réalité nous rattrape. Et elle n’a que faire de nos sentiments.

Je la vois se fissurer. J’ai pris son corps, et je rejette son âme. C’est la seule façon de la sauver. De nous sauver. Elle se lève, rassemblant autour d’elle les lambeaux de sa dignité. Son regard plonge dans le mien, y déversant toute sa haine, tout son amour.

— Une erreur, répète-t-elle d’une voix blanche. Alors que ce soit la dernière que nous commettons.

Sans un mot de plus, elle se tourne et replonge dans les flots. L’eau salée l’engloutit, emportant son goût, mais pas la brûlure de mon rejet. J’ai été son premier homme. Et je viens de briser le cœur de la femme que j’ai fait naître, la laissant seule face à l’abîme. Je reste là, immobile, jusqu’à ce que l’aube me trouve, aussi vide et froid que la couronne que je porte.

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