Se connecterÉliseLe silence qui suit mes mots est épais, lourd, comme une chape de plomb. Il absorbe le bip régulier du moniteur cardiaque, le murmure lointain du couloir.— Tu n’es pas mon mari.La phrase résonne encore dans l’air aseptisé, une déclaration de guerre chuchotée.Les deux hommes sont pétrifiés, devenus des statues de tension et d’incrédulité.Arnold est le premier à bouger. Un tic presque imperceptible au coin de sa lèvre. Ses doigts, qui serraient la barre du lit, se desserrent lentement, avec une précision menaçante. Son regard, un instant ébranlé, se recompose en une froideur de glacier. Il ne me regarde plus avec une sollicitude feinte, mais comme un stratège qui voit son meilleur pion se retourner contre lui.— Élise, ma chère, commence-t-il, sa voix un velours empoisonné. La commotion a été très grave. Les médecins ont prévenu que des confusions, des souvenirs déformés…— Ce n’est pas une confusion. Ma propre voix est plus ferme maintenant, portée par une colère froide qui m
LiamUn bourdonnement sourd. Une odeur âcre de désinfectant qui pique les narines. Une lumière blafarde, trop crue, qui me transperce les paupières closes.Je rouvre les yeux. Le plafond blanc et bas de l’hôpital se met au point. Une douleur sourde pulse à ma tempe. Mon corps est lourd, engourdi.Et puis, je les vois.Deux silhouettes flottent au bord de mon champ de vision, deux pôles opposés d’un même cauchemar.À ma droite, Liam. Pâle, les traits tirés, ses vêtements froissés. Il a l’air d’un homme qui a perdu la guerre. Ses yeux, cernés d’ombre, sont fixés sur moi, pleins d’une angoisse que je ne lui connaissais pas.À ma gauche, Arnold. Immaculé, costume sombre parfaitement coupé, une expression de sollicitude grave et maîtrisée. Une main posée, possessive, sur la barre d’acier du lit.La vue de ce dernier fait remonter un flash de terreur pure, un écho de la scène chez lui, de cette perte de connaissance soudaine. Mais derrière cette peur immédiate, quelque chose d’autre se déch
LiamLa nuit était froide, et je n'étais plus qu'une silhouette dissimulée dans l'embrasure d'une porte cochère, face à l'entrée de service du « Céleste ». L'odeur des poubelles et de l'asphalte humide avait remplacé l'air vicié de ma chambre d'hôtel. J'étais à mon poste. Un guetteur. Un prédateur à l'affût.La livraison de vin avait eu lieu. Un homme en bleu de travail avait poussé un diable chargé de caisses, sous l'œil indifférent du vigile. Rien d'autre. Aucune trace d'Élise. Aucun signe de l'homme au costume noir. Juste le va-et-vient routinier d'un palace gastronomique.Les heures passaient, rythmées par le passage sporadique des voitures et les battements sourds de mon propre cœur. Le froid gagnait mes os, mais une autre froideur, plus profonde, s'installait en moi. Celle du vide.Dans le silence et l'immobilité forcée de cette vigie, les questions sont revenues, plus insistantes, plus percutantes que jamais. Elles n'étaient plus à propos d'Élise, ou d'Arnold. Elles étaient à p
LiamLa ville est un puits de bruit dans lequel je descends chaque jour un peu plus profond. Depuis que j'ai posté la vidéo, trois longs jours se sont écoulés. Trois jours d'une attente angoissante, à vérifier frénétiquement les notifications sur mon téléphone, espérant désespérément une piste, un indice, un espoir.Les réactions ont été nombreuses, mais vaines. Des messages de soutien, des conseils bien intentionnés, des théories farfelues, et l'inévitable lot de moqueries. Rien de concret. Rien qui ne mène à Élise. L'espoir commence à céder la place à un désespoir froid et tenace. Une sensation que je ne comprends pas, qui me ronge de l'intérieur. Je la détestais, je le sais. Je le répète comme un mantra. Mais son absence… son absence est devenue un vide physique, une chambre d'écho où ne résonnent que mes pires craintes. Pourquoi est-ce que son silence me fait si mal, alors que sa présence me mettait en rage ? Je ne le comprends pas. C'est une énigme plus torturante que tout le res
Élise La journée se déroule comme un film aux couleurs trop vives, projeté sur un écran de brouillard. La substance qui apaise ma tête émousse également les arêtes du monde, mais elle n'efface pas la lucidité froide qui s'est installée en moi. Elle l’enveloppe, la protège.Arnold conduit, une main sur le volant, l'autre posée sur mon genou. Une possession constante, un rappel silencieux de ma condition. Je regarde défiler le paysage par la vitre. Des buildings, des parcs, des visages. Rien ne déclenche le moindre écho, la moindre résonance familière. C'est un décor, une scène sur laquelle je joue un rôle.Notre premier arrêt est un café minuscule, niché au fond d'une ruelle. L'air est épicé d'odeurs que je ne reconnais pas.—« Le meilleur café de la ville », annonce-t-il avec un sourire de propriétaire. « Tu adorais y venir. »Je bois la boisson noire et sucée. Le goût est fort, étranger. Je fais semblant de savourer, un sourire aux lèvres.—C'est vrai, c'est délicieux, dis-je, ma vo
Élise La conscience revient à moi par vagues successives, lourdes et confuses. La première sensation est la chaleur. Une chaleur corporelle, enveloppante, presque étouffante. Puis le poids. Un bras musculeux posé en travers de ma taille, me clouant au matelas. La mémoire de la nuit dernière me frappe de plein fouet, non pas comme un souvenir, mais comme une nausée physique. Mon corps est meurtri, ma peau porte encore l'empreinte de ses mains, de sa bouche.Je garde les yeux fermés, feignant le sommeil, cherchant un refuge dans le mensonge à mon tour. La migraine, déjà présente à mon réveil, pulse à mes tempes, un marteau sourd qui bat la mesure de mon angoisse. Chaque pulsation est un rappel de la fracture dans mon esprit, de la bataille entre deux réalités.Je sens son souffle régulier sur ma nuque. Il est réveillé. Je le devine à la tension dans son bras, à la façon dont ses doigts effleurent ma hanche, une possession tranquille et assurée.— Tu es réveillée, murmure-t-il, sa voix







