로그인Eléni
Une semaine s'est écoulée. Une semaine de silence tendu, de regards lourds de sens, de nuits agitées où je revois les flammes des braseros danser dans ses yeux. Il a respecté sa parole : il ne m'a pas touchée. C'est une torture bien plus raffinée.
Ce matin, il a annoncé que nous sortions. Une bouffée d'espoir insensée m'a envahie. Voir autre chose que ces murs, ces visages de domestiques impassibles.
L'espoir a été de courte durée.
La voiture nous a conduits non pas dans les rues animées d'Athènes, mais sur l'Acropole, après les heures d'ouverture au public. Les touristes étaient partis. Seul le vent murmurait entre les colonnes brisées.
Nous sommes seuls, au sommet du monde, devant le Parthénon. La pierre ancienne, baignée par la lumière dorée du crépuscule, est d'une beauté à vous couper le souffle. C'est le cœur battant de ma Grèce. Et il me l'offre en cage privée.
— Ils construisaient pour les dieux, dit Léandros, debout à mes côtés, les mains dans les poches de son manteau. Ils s'élevaient au-dessus de leur condition humaine en créant de la beauté éternelle. Mais même les dieux étaient possessifs, jaloux. Ils prenaient ce qu'ils voulaient.
Je serre les poings dans les poches de ma veste. Il a choisi cet endroit pour une raison. Tout est toujours un stratagème avec lui.
—Tu te compares aux dieux, maintenant ?
— Je me compare aux forces de la nature. Implacables. Inévitables.
Il se tourne vers moi, le vent jouant dans ses cheveux noirs. Son regard est intense, absorbant la lumière du couchant.
—Regarde autour de toi, Eléni. La puissance. L'endurance. La beauté qui survit aux millénaires. C'est l'héritage dont je suis le gardien. Et dont tu fais maintenant partie.
— Je ne suis qu'une de tes possessions. Une statue de plus dans ta collection privée.
— Une statue n'a pas de feu intérieur. Toi, si. Et ce feu m'appartient.
Il avance d'un pas. Nous sommes seuls au monde, dans ce lieu sacré. La ville s'étend à nos pieds, une carte de lumières tremblotantes. Libre. Je suis si proche de la liberté que je pourrais la toucher, et pourtant, elle est à des années-lumière.
— Pourquoi m'as-tu amenée ici ? chuchoté-je.
— Pour te rappeler la hauteur de laquelle tu es tombée. Et celle à laquelle tu peux encore t'élever. À mes côtés.
Sa main se lève et effleure une colonne du Parthénon, caressant la pierre usée par le temps.
—Cette pierre a vu des empires s'effondrer. Elle a vu des hommes libres et des esclaves. La frontière entre les deux est souvent une question de perspective.
Son regard revient vers moi, perçant.
—Ton restaurant, ta vie à Plaka... c'était une petite existence. Ici, avec moi, tu peux avoir l'éternité.
— L'éternité dans une cage est toujours une cage.
— Une cage, murmure-t-il en se rapprochant, peut être le lieu le plus sûr du monde. Elle protège des dangers extérieurs. Elle protège... de soi-même.
Il est si proche maintenant que je sens la chaleur de son corps à travers nos vêtements. Le vent semble porter son parfum, ce mélange enivrant de cuir et de pouvoir.
— Tu trembles, constate-t-il.
— C'est le vent.
— Mensonge.
Sa main quitte la colonne et se pose contre ma joue. Le contact est électrique. Je devrais reculer. Je devrais le frapper. Mais je suis pétrifiée, hypnotisée par le paysage grandiose et par l'homme qui me tient en son pouvoir.
— Je pourrais t'embrasser ici, devant les dieux et les hommes. Personne ne nous verrait. Personne n'oserait intervenir.
Son pouce trace le contour de mes lèvres. Mon cœur bat la chamade, un tambour sauvage qui résonne dans tout mon corps. La peur et le désir se mélangent en un cocktail enivrant et toxique.
— Mais je ne le ferai pas. Parce que je veux que ce soit toi qui viennes à moi. Que ce soit toi qui brises cette dernière distance.
Ses yeux plongent dans les miens, cherchant la faille, l'étincelle de capitulation.
—Tu es à moi, Eléni. Ton corps le sait. Ton âme l'apprendra.
Il baisse la tête, ses lèvres frôlent les miennes. Un souffle. Une promesse. Une menace. Je retiens mon souffle, le corps tendu comme la corde d'un arc, partagée entre l'envie de céder et la terreur de le faire.
Mais il se retire. Juste à temps.
— Nous devons rentrer, dit-il, comme si de rien n'était. La nuit tombe.
Il se détourne et commence à descendre le sentier, me laissant seule devant le temple en ruines.
Je reste là, tremblante, le goût de son souffle encore sur mes lèvres. La ville en contrebas scintille, moqueuse. Je porte la main à ma bouche, comme pour capturer cette sensation volée.
Il a raison. Je suis tombée de très haut. Et la chute n'est pas terminée.
Parce qu'à cet instant, devant le Parthénon, j'ai réalisé une vérité terrifiante : une partie de moi ne veut pas remonter. Une partie de moi veut voir jusqu'où cette chute peut me mener.
Et cette partie... cette partie a eu peur qu'il s'éloigne.
EléniUne semaine s'est écoulée. Une semaine de silence tendu, de regards lourds de sens, de nuits agitées où je revois les flammes des braseros danser dans ses yeux. Il a respecté sa parole : il ne m'a pas touchée. C'est une torture bien plus raffinée.Ce matin, il a annoncé que nous sortions. Une bouffée d'espoir insensée m'a envahie. Voir autre chose que ces murs, ces visages de domestiques impassibles.L'espoir a été de courte durée.La voiture nous a conduits non pas dans les rues animées d'Athènes, mais sur l'Acropole, après les heures d'ouverture au public. Les touristes étaient partis. Seul le vent murmurait entre les colonnes brisées.Nous sommes seuls, au sommet du monde, devant le Parthénon. La pierre ancienne, baignée par la lumière dorée du crépuscule, est d'une beauté à vous couper le souffle. C'est le cœur battant de ma Grèce. Et il me l'offre en cage privée.— Ils construisaient pour les dieux, dit Léandros, debout à mes côtés, les mains dans les poches de son manteau.
EléniLa terrasse est baignée d'une lumière lunaire qui argenté la mer. Des braseros flambent à intervalles réguliers, projetant des ombres dansantes sur le marbre. Leur chaleur est une illusion, elle ne pénètre pas le froid qui s'est installé en moi.Léandros m'a fait porter une robe noire, longue, fendue sur le côté. Un tissu fluide qui épouse mes formes comme une main possessive. Un collier de diamants, froid et lourd, entoure mon cou. Son collier. Je me sens parée pour un autel.Il est déjà là, debout près de la balustrade, un verre à la main. Il se retourne à mon approche. Ses yeux, dans la pénombre, sont deux braises ardentes.— Tu es magnifique, dit-il simplement.Les mots ne sont pas un compliment. C'est une constatation. Comme on admire un tableau que l'on vient d'acheter.Je m'assois sans un mot. Le dîner est servi, un festin silencieux. Le vin est un rouge profond, presque noir. Je bois une gorgée, puis une autre, cherchant son feu liquide pour réchauffer ma froideur intéri
EléniLes jours se sont fondus en une seule, longue et étouffante éternité. La villa est ma géhenne dorée. Chaque pièce parfaite, chaque vue imprenable, est un rappel de mon emprisonnement. Je suis un oiseau dans une volière de verre et de marbre, et Léandros est le faucon qui tournoie inlassablement au-dessus de moi.Il n’a pas tenté de me toucher à nouveau depuis ce dîner. Non, sa méthode est plus insidieuse. C’est une guerre d’usure.Il exige ma présence à chaque repas. Il me questionne sur mon enfance, sur mon père, sur les recettes du Kyrios. Il veut s’immiscer dans mes souvenirs, les souiller de sa présence. Je réponds par des monosyllabes, gardant mes trésors cachés. Mais il est patient. Il creuse.Ce matin, je me suis réfugiée dans la bibliothèque, une pièce immense aux étagères montant jusqu’au plafond, remplie de livres rares qui sentent le vieux papier et le savoir. Un semblant de paix. J’ai pris un livre de poésie grecque ancienne, cherchant une échappatoire dans les mots
EléniLa robe rouge est une seconde peau, une armure de soie qui moulre chaque courbe que je préférerais cacher. Elle est d'une beauté obscène. Daphné a insisté pour m'aider à la mettre, ses doigts froids et efficaces contre mon dos nu. Maintenant, je me tiens devant le miroir de la suite, et une étrangère me regarde. Une prisonnière parée pour le sacrifice.Huit heures sonnent, un carillon discret et lointain qui semble glacer l'air. Je descends l'escalier en colimaçon, ma main tremblante sur la rampe de marbre froid. Chaque pas est un effort. Chaque battement de cœur résonne comme un tambour de guerre dans ma poitrine.La salle à manger est un temple moderne. Une table en ébène, si longue qu'elle semble s'étirer jusqu'à l'infini, est dressée avec une précision chirurgicale. Des couverts en argent, des cristaux qui captent la lumière des bougies. Et au bout, lui.Léandros est assis, décontracté, un verre de whisky à la main. Il ne porte pas de veste, sa chemise blanche est ouverte au
EléniNeuf heures sept. Mes doigts serrent la poignée de mon sac de voyage, si fort que mes jointures blanchissent. J'ai dit à ma mère que je partais pour un stage de cuisine en Italie. Un mensonge qui m'a brûlé la langue. J'ai embrassé Nikos, pâle et silencieux, en lui murmurant que tout irait bien. Un autre mensonge.Une berline noire et luisante, discrète et sinistre, est garée en face du Kyrios. L'un des hommes de la veille, impassible, me fait signe d'entrer. Je jette un dernier regard au restaurant, à la lumière du matin qui caresse les murs de pierre. Mon cœur se brise en mille morceaux.Le trajet est un silence oppressant. Nous quittons le dédale familier de Plaka, gravissons les collines jusqu'à la Riviera. Les maisons deviennent des villas, puis des forteresses. La voiture s'engage entre de hauts murs, passe une grille qui se referme dans un grincement métallique. Un bruit de prison.Et puis, la maison apparaît.Ce n'est pas une maison. C'est un manifeste de puissance. Un pa
EléniLe goût du sel et de l’huile d’olive est encore sur mes lèvres. Dans la cuisine du Kyrios, l’air est chaud, familier, bercé par le murmure des clients et le crépitement de la friture. C’est l’âme de mon père, ici. C’est tout ce qu’il me reste.Et c’est à ce moment précis que la porte s’ouvre, balayant d’un coup la chaleur et les sourires.Ils ne sont pas entrés en criant. Leur silence était bien plus terrifiant. Deux hommes, larges comme des portes, vêtus de costumes sombres qui ne dissimulaient pas la menace qui émanait d’eux. Ils se sont écartés, et lui est entré.Léandros Markos.Je n’avais jamais vu qu’une photo de lui, dans la presse économique. En personne, c’était une onde de choc. Grand, taillé dans le marbre et l’arrogance. Son regard, de ce gris orageux de la mer Égée avant la tempête, a balayé la salle avant de se poser sur moi. Il a traversé le restaurant comme une lame, indifférent au silence soudain qui s’était abattu.— Eléni Petrakis.Ma voix s’est coincée dans m