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Prise de poste

 

Montluçon de nos jours…

J’étais de retour dans ma bonne vieille ville de Montluçon. On était entre ville et campagne et le département de l’Allier regorgeait de magnifiques châteaux de toutes les époques. Ce que j’aimais en arrivant, c’était observer les vaches charolaises paître dans les prés et la fameuse cuvette au fond de laquelle la ville de Montluçon était comme posée. Chaque fois que je revenais dans ma ville natale, un souvenir douloureux de ma vie refaisait surface. L’année de mes dix-huit ans, mes parents avaient perdu la vie dans un accident de voiture dans les côtes de Châtelard. C’était une épreuve de les traverser, cela continuait de me bouleverser. J’étais la seule survivante de ce tragique évènement. J’ai longtemps culpabilisé d’être encore de ce monde, sans eux.

Après l’accident, j’avais quitté la ville et tous mes amis d’enfance pour monter à la capitale, en fac d’Histoire et tenter d’oublier...  

Nous étions en juin, début de l’été, la ville était plus joyeuse et les passants plus nombreux sur le boulevard de Courtais, où les habitants étaient nombreux à profiter des belles journées ensoleillées pour se mettre aux terrasses des cafés.

Fraîchement diplômée en Histoire médiévale, je venais rejoindre mon oncle Adrien qui était employé comme gardien au château de Montluçon, le fameux château des ducs de Bourbon. Celui-ci venait d’ouvrir récemment ses portes au public après plusieurs mois de travaux de rénovation, mon oncle avait réussi à m’obtenir un emploi saisonnier à l’office de tourisme en tant que guide touristique. Bref, c’était le rêve pour moi.

Seulement, je n’étais pas rassurée : les faits divers qui alimentaient le journal La Montagne depuis quelques semaines n’étaient pas très réjouissants. Plusieurs jeunes et jolies femmes avaient été retrouvées mortes dans le quartier du vieux Montluçon, et cela me faisait froid dans le dos.

— Vite ! Dépêche-toi, Alix, ou tu vas être en retard pour ton premier jour de boulot ! m’indiqua Adrien.

— Oui, ne t’inquiète pas, on est à deux pas du château ! rétorquais-je.

— Tiens, prends ce spray lacrymogène au poivre, on ne sait jamais. Avec les meurtres de ces derniers temps, je ne suis pas serein de te savoir dans les rues toute seule.

— Merci. Mais, tu sais, j’ai pris des cours de self-défense à Paris…

— Me voilà rassuré ! dit-il avec une grimace.

J’avais tout juste eu le temps de manger un morceau de brioche et de boire mon café. Heureusement, Adrien habitait une jolie maison médiévale rénovée, nichée près de la place de la Poterie, à deux pas de l’église Notre-Dame et du château.

 J’aimais bien ce quartier ancien avec ses boutiques typiques et ses belles maisons médiévales à colombages, mêlant bois et pierres de taille. Les jours de marché, on pouvait presque voyager dans le temps en contemplant les étals des marchands dispersés çà et là dans les rues qui serpentaient jusqu’au château. J’aimais les odeurs, les clameurs.

— Hé ! Alix, réveille-toi ! Ce n’est pas le moment de rêvasser, tu es attendue à 8 h 45 précises, je te rappelle ! Les visites commencent à 10 h !

— Heu oui, excuse-moi, j’y vais ! Quel est le nom de la personne déjà ?

— Ho là, t’es tête en l’air ! Madame Vaire-Vache, je te l’ai dit cent fois !

— Oui, en même temps, avec un nom comme celui-là…

Remontant la rue qui menait au château, je passais devant la prison. Le château offrait son spectacle seulement lorsqu’on dépassait le portail imposant. Il était vraiment majestueux et unique en son genre, avec sa tour de l ’horloge et sa galerie boisée à l’italienne. J’aurais aimé pouvoir voyager dans le temps pour l’admirer au temps de sa splendeur, au Moyen Âge, avec sa quarantaine de tours, ses remparts, cela devait être un spectacle magnifique ! Il ne reste malheureusement aucune gravure de cette époque, juste quelques textes décrivant son architecture…

En arrivant dans la cour du château, je me sentais étrange, comme si quelqu’un m’observait à travers les fenêtres du 1er étage. En levant les yeux, il me sembla voir une ombre disparaître. Un corbeau était posé sur la rambarde du 1er étage, il s’envola à mon approche. Je détestais ces volatiles…

Une femme assez austère d’environ une cinquantaine d’années, vêtue d’un tailleur-pantalon noir, m’attendait sous la fameuse galerie en bois. Elle était très pâle, ses cheveux poivre et sel noués en chignon rappelaient les grands-mères bourbonnaises d’autrefois.

La femme me fixait avec un regard noir dédaigneux… Ça promet, pensais-je.

— Bonjour.

— Bonjour madame.

— Vous devez être mademoiselle Dangicourt ? Je suis madame Vaire-Vache, conservatrice du musée du château. Suivez-moi, je vais vous donner quelques dépliants et des papiers à remplir. Ensuite, vous visiterez seule, j’ai du travail qui m’attend !

— Heu, oui, mais les visites commencent bien aujourd’hui ?

— Non, changement de programme, vous devez connaître parfaitement l’histoire du château et des ducs de Bourbon avant de vous lancer dans les visites. Elles commenceront samedi.

— Donc, ça ne me laisse que deux jours…

— Cela vous pose un problème ? dit-elle sèchement.

— Heu non, c’est très bien, mentis-je.

Elle parlait d’un ton très sec tout en plissant ses grands yeux sombres tandis que nous marchions d’un pas énergique. La boutique de l’accueil comportait un comptoir et les étagères en fer forgées débordaient d’objets en tout genre arborant le blason des Bourbons : des mugs, des portes-clés un peu kitch ; c’est là que la conservatrice me tendit un dépliant et quelques papiers qu’elle sortit d’un dossier en cuir noir.

— Voilà, vous me remplirez ces documents plus tard. Ici, vous avez une bibliothèque avec des livres sur l’histoire des seigneurs de Bourbon, vous pouvez en emprunter à votre guise dans le cadre de votre travail. Et, dernier conseil : n’hésitez pas à raconter des anecdotes de votre invention, les touristes en raffolent ! Pour information, en ce moment, dans la salle d’apparat, il y a une exposition sur la mode médiévale.

— Entendu, merci pour ces renseignements, madame.

— Je vous laisse, j’ai une réunion. Tenez, voilà vos clés, visitez les lieux afin de vous en imprégner, mais attention à ne pas aller sur la terrasse du donjon, il y a eu des travaux et, par endroits, elle n’est pas très stable. À plus tard !

— Oui, merci, je ferai attention ! Au revoir, madame.

Voilà, je me retrouvais seule avec le château rien que pour moi !

J’allais pouvoir jouer à la princesse, mais j’étais surtout curieuse de découvrir les pièces rénovées et les trésors qu’elles recelaient !

À l’aide du plan qu’elle m’avait remis, je décidais de me rendre à la chapelle du château. Cette pièce avait reçu la meilleure restauration d’après les photos avant- après de la brochure.

Lorsque je sortis de la boutique, je vis un poids lourd garé sur l’esplanade et des gens qui s’affairaient à décharger une sorte de sarcophage en pierre blanche, un corps allongé semblait être sculpté dessus. Mon oncle était avec eux. Curieuse, je m’approchais pour voir de plus près.

— Tiens, Alix, que fais-tu ici ? Je te croyais déjà en train de faire des visites ?

— Non, madame Vaire-Vache souhaite que je connaisse l’histoire des Bourbons parfaitement avant de me lancer. Mais, que fais-tu ?

— Des archéologues ont découvert le gisant d’un ancien duc de Bourbon en faisant des fouilles du côté de Souvigny. Ils le déposent ici pour l’étudier dans les salles de conservation au deuxième étage.

— Ah bon ? Madame Vaire-Vache ne m’a pas parlé de cela tout à l’heure.

— Ah, elle a sûrement dû oublier, c’est une femme très occupée, tu sais…

— Oui, sûrement, je te laisse, je vais visiter les lieux.

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