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Visite du château

 

Mon oncle m’avait recueilli chez lui de la mort de mes parents jusqu’à mon départ pour Paris et avait veillé sur mon maigre héritage en attendant mon retour. C’était le frère de mon père, on était très proche. Il avait la cinquantaine, toujours célibataire, ne s’étant jamais marié.

Il s’entretenait physiquement et il était plutôt bel homme : brun, le teint légèrement hâlé, les yeux noisette. Il avait quelques cicatrices sur le torse, je n’ai jamais su comment il s’était fait cela. Je repensais à cette vision dans la chapelle… Ce n’était pas une hallucination, cet homme était bien là en chair et en os, devant moi ! J’étais bien décidée à mener mon enquête et découvrir le pourquoi du comment de cette rencontre surprenante…

Nous déjeunâmes au restaurant des Douze Apôtres dans le vieux Montluçon, à deux pas du château. J’adorais cet endroit et le patron avait toujours le mot pour rire ! J’étais tout de même perturbée par cet homme : qui était-il ? Que faisait-il dans la chapelle ? Il hantait mon esprit à présent, je devais découvrir son identité à tout prix.

L’après-midi, je repris ma visite du château par le corps de logis, celui-ci était immense, la galerie à l’italienne en bois était magnifique. Elle avait été construite au XVe siècle, détruite sous la Révolution puis restaurée dans les années 1930. La grande salle de réception était occupée par l’exposition sur la mode médiévale. Je m’imaginais portant l’une de ces robes en velours aux fils d’or, tout comme les Dames nobles de cette époque, assistant à une joute avec des chevaliers en armure.

Aucune trace du bel inconnu, quelle déception ! J’observais et touchais le tissu d’une des robes lorsque j’entendis une voix dans mon esprit : « Vous seriez magnifique avec cette robe ». Je parcourus la pièce du regard sans distinguer aucune présence. Bizarre, j’avais l’impression de devenir folle. Je sortis rapidement, refermant bien la porte derrière moi. Je rentrais directement chez mon oncle. Il était sorti pour accueillir un nouveau locataire tard dans la soirée. Le journal était posé sur la table de la salle à manger avec en gros titres sur la première page : « Meurtres dans le Vieux Montluçon ». Je parcourus les premières lignes en tremblant. Une nouvelle jeune fille avait été retrouvée morte, tuée de plusieurs coups de couteau. Quelle horreur, moi qui croyais qu’il n’arrivait jamais rien ici !

Dans la soirée, je reçus un texto de Justine, ma meilleure amie du lycée Madame de Staël, on avait fait les quatre cents coups ensemble.

Justine : Salut ma belle ! De retour sur Montlu ! Trop hâte de te revoir ! RDV au Paddock ce soir à 19 h !

J’avais envie de lui raconter ma rencontre avec l’homme mystérieux, même si j’avais un peu peur de passer pour une folle !

 Alix : OK, j’y serai j’ai quelques trucs à te raconter, à toute !

Dix-neuf heures pétantes, le bar était bondé, beaucoup de mecs se pressaient près du comptoir. Justine me faisait de grands signes, elle occupait une table en fond de salle.

— Coucou, toi ! Trop contente de te revoir, ça fait un bail ! dit Justine ne pouvant cacher son enthousiasme.

— Oui, c’est clair ! répondis-je.

— Alors, qu’est-ce que tu racontes ?

— Bien, j’ai un boulot de guide au vieux château pour la saison estivale.

— Waouh ! C’est trop cool ça, la chance ! Moi, je suis ouvreuse au Palace…

— Oui, c’est super d’avoir un emploi dans un monument de la ville. On y fait de drôles de rencontres aussi…

J’en avais trop dit, Justine fit son regard malicieux, je n’allais pas tarder à passer à l’interrogatoire !

— Ah ! toi, tu as quelque chose de croustillant à me raconter ! Je te connais par cœur ! Alors c’est qui ? Je veux tout savoir dans les détails !

— On ne peut rien te cacher ! Oui, c’était bizarre, j’ai vu un type dans la chapelle du château ce matin.

— Ah Ah ! Je le savais ! Alors ? C’est tout ? Il est comment ? Raconte ! Elle sautait sur son tabouret tellement elle était impatiente de savoir la suite.

— Oui, bon, je l’ai pas vu longtemps, mais il était vraiment canon : grand, bien sapé, sexy, un look un peu hors du temps.

— Ouais, bon à croquer quoi ! ajouta Justine, excitée comme une puce.

— Oui, c’est sûr... Sauf qu’il a disparu en une fraction de seconde.

— Hein ? Que veux-tu dire ? Il t’a vu et il s’est sauvé ?

— Je ne sais pas trop, c’est étrange, mon oncle est arrivé, j’ai poussé un cri de surprise et en regardant vers l’endroit où était l’homme, il avait disparu.

— C’est fou cette histoire ! Mais, je suis sûre que tu vas le revoir, si cela se trouve, il a un job d’été comme toi !

— J’en doute, il était trop bien habillé pour être guide ou faire un job d’été… Enfin, c’est comme ça !

— Je vais mener l’enquête ma belle, Montluçon est une petite ville, tout se sait ! Compte sur moi pour découvrir le nom de ton homme-mystère ! Et puis, un Apollon comme lui, on le remarque !

— Oui, tu es la meilleure, je peux compter sur toi, c’est certain !

Il était environ 23 h lorsque je rentrais à la maison, j’étais fatiguée. Je m’écroulais sur mon lit.

 Mon homme-mystère occupait toutes mes pensées même si je l’avais à peine entrevu, il avait eu sur moi un effet magnétique… Bref, il fallait que je le revoie absolument, c’en était presque vital. C’était bien la première fois qu’un garçon me faisait ressentir de tels sentiments rien qu’en pensant à lui, j’avais la gorge nouée et je peinais à respirer. Je crois que j’avais enfoui tout cela au plus profond de mon âme depuis mon histoire avec Alex en Terminale, j’avais tellement souffert de cette rupture… Depuis, j’avais eu seulement des histoires sans lendemain, je mettais des barrières, ne voulant en aucun cas souffrir.

Ne trouvant pas le sommeil, je parcourus le dépliant que m’avait donné la conservatrice du musée, ainsi qu’un livre sur les seigneurs et ducs de Bourbon. D’après l’arbre généalogique de ces familles nobles, certaines lignées avaient donné des rois à la France. L’histoire tragique d’un jeune seigneur marqua particulièrement mon esprit : Archambault VI, dit « le Pupille », n’avait pas pu prendre ses fonctions de seigneur en raison de son âge à la mort de son père, et son oncle en avait profité pour accaparer son héritage et prendre sa place.

Cette nuit-là, mon sommeil fut très agité, le bel inconnu était omniprésent dans mes rêves…

Au réveil dans la cuisine d’Adrien :

— Oh là, tu en fais une drôle de tête, dit Adrien en ricanant presque…

— Oui, j’ai très mal dormi cette nuit.

— Ah, c’est encore à cause de cette vision. N’y pense plus, ça arrive. On s’imagine souvent voir des choses dans ces lieux chargés d’histoire.

— Oui, tu as sûrement raison, c’est certainement mon imagination qui m’a joué des tours.

— Voilà, bien dit !

— Alors, ce nouveau locataire, il est beau gosse ?

— Tu le croiseras de temps en temps, il passera par la cour intérieure, elle est commune avec mes appartements. Mais j’en doute, il a l’air assez renfermé et plutôt sauvage. C’est le fils d’un riche propriétaire de la région de Moulins.

— Ah génial, un aristo, fils à papa quoi ! Non, c’est bon, j’ai assez donné avec les mecs à problèmes…

— Bon, j’y vais. À plus tard au château !

Quelques semaines avaient passées. J’étais au point avec les visites guidées du château et ce poste me plaisait vraiment, je m’imaginais attendant mon prince charmant arrivant sur son destrier… Bref, la fille romantique à souhait... Mais dans la vie, il n’y avait pas de prince charmant, pas d’homme idéal non plus, et j’avais un peu de mal avec le XXIe siècle, je ne me sentais pas à ma place dans cette époque...

J’étais devenue incollable sur les différents seigneurs et ducs de Bourbon, et je m’amusais même à inventer des anecdotes marrantes, comme me l’avait conseillé madame Vaire-Vache. Celle-ci était toujours aussi austère et j’avais l’impression qu’elle ne me portait pas dans son cœur, son regard me pétrifiait. Je n’avais pas revu l’homme-mystère depuis mon arrivée. Le fameux locataire de mon oncle jouait les hommes invisibles, je l’avais aperçu deux fois par la fenêtre de ma chambre, il avait toujours une capuche de sweat sur la tête, si bien que je n’avais jamais aperçu son visage. J’avais l’impression qu’il devait travailler de nuit, j’entendais des pas dans la cour à des heures tardives. Ou alors c’était un gros fêtard et il sortait beaucoup la nuit. Néanmoins, un évènement allait bientôt changer ma vie… Un certain bal costumé…

 

 

 

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